samedi 28 juin 2014

Y comme ypérite

Ypérite, le mot figure sur la fiche matricule de Jean Fourcade, une simple feuille qui résume sept longues années passées sous les drapeaux, dont cinq années pleines en campagne contre l'Allemagne, durant la Première Guerre mondiale.

J'ai déjà brièvement évoqué le parcours militaire des frères de Julia dans le billet intitulé K comme Kaiser Guillaume II. Permettez-moi de revenir aujourd'hui plus en détail sur le cas de Jean.

Fiche matricule de Jean Fourcade
Source AD Pyrénées-Atlantiques

Sa fiche matricule rappelle qu'il est né le 19 octobre 1889 à Pau et qu'il est le fils de Théodore Fourcade et d'Eugénie Caperet, domiciliés 20 rue des Arts. Elle comporte également une description sommaire : cheveux et sourcils noirs, yeux gris foncé, taille 1,66 m. Je passe sur le "front haut", le "nez moyen" et le "menton rond" qui ne m'ont jamais paru très parlants ; en cette matière, rien ne vaut la photo.

Mon grand-oncle sous les drapeaux

Classé dans la première partie de la liste par le Conseil de révision, Jean effectue deux ans de service militaire comme soldat de 2e classe au 18e régiment d'infanterie en garnison à Pau. Incorporé le 5 octobre 1910, il est libéré le 26 septembre 1912 avec un certificat de bonne conduite.

Retour à la vie civile, dans la chemiserie familiale, pour deux ans à peine. La mobilisation générale est décrétée le 2 août 1914, le voilà de nouveau sous l'uniforme. Le 6 août, le régiment quitte la gare de Pau pour monter directement au front.

Mais ne comptez par sur la fiche matricule pour vous fournir des détails sur le parcours de vos ancêtres militaires. Il faut se reporter aux journaux des marches et opérations (JMO) pour avoir le récit des événements auxquels chaque unité a participé. Hélas, ce précieux document n'existe plus pour le 18e régiment d'infanterie. On trouvera néanmoins sur Internet(1) les batailles dans lesquelles le régiment a été engagé : Charleroi, la Marne, le Chemin des Dames, Verdun, Craonne… la liste est longue !

Jean Fourcade sous l'uniforme vers 1917
Archives personnelles

La fiche matricule de Jean Fourcade comporte néanmoins trois indications importantes : une blessure, une citation et une décoration.

Intoxiqué au gaz ypérite

De quoi s'agit-il ? L'ypérite, autre nom du gaz moutarde, figure dans la liste des armes chimiques. À base de chlore et de soufre, elle a un effet vésicant et provoque de graves brûlures aux yeux, à la peau et aux muqueuses. Sans parler des effets dévastateurs sur le moral des troupes. Elle fut employée par les Allemands pour la première fois en 1915 dans la région d'Ypres, en Belgique, ce qui lui valut sa dénomination d'ypérite.

Jean Fourcade est intoxiqué par ce gaz le 22 avril 1918 à Tricot (Oise) et évacué le même jour. La fiche matricule indique qu'il souffre d'une kératite, c'est-à-dire d'une inflammation de la cornée à l'œil droit, et d'une conjonctivite, c'est-à-dire d'une inflammation de la muqueuse qui tapisse l'intérieur de la paupière, à l'œil gauche.

Les lésions devaient être sérieuses, car il ne sortira de l'hôpital qu'un mois plus tard, le 29 mai 1918 ; et retournera "aux armées" dès le 9 juin.

Cité à l'ordre de la brigade

Deuxième indication précieuse sur la fiche matricule, la mention suivante :
"Cité à l'ordre de la Brigade N°109 du 20.1.19. Chargé d'assurer la liaison entre l'I.D.(2) et son régiment pendant les durs combats de Guron(3) du 16 au 20 Sept. 1918 a parfaitement accompli sa mission malgré des bombardements sévères."

Cette citation lui vaudra une décoration.

Croix de guerre avec étoile de bronze

C'est une décoration instaurée par la loi du 2 avril 1915 pour récompenser les combattants qui ont accompli une action remarquable.

Il s'agit d'une croix à quatre branches, avec deux épées croisées. En son centre, à l'avers la tête de la République, coiffée du bonnet phrygien et d'une couronne de laurier. Au revers 1914-1915, puis successivement, car la guerre a duré plus longtemps que prévu, 1914-1916, 1914-1917, enfin 1914-1918.

Le ruban est vert avec des rayures rouges verticales et comporte une étoile de bronze, d'argent ou de vermeil, ou une palme de bronze ou d'argent suivant l'importance et le nombre de citations.

Croix de guerre 1914-1918
(sans étoile ni palme sur la photo) 

Compte tenu de sa citation à l'ordre de la brigade, Jean Fourcade est donc décoré de la Croix de guerre avec étoile de bronze. Il ne sera mis en congé illimité de démobilisation que le 2 août 1919 ! A-t-il stationné avec son régiment dans la région de Mulhouse, après l'armistice ? C'est vraisemblable, mais ce n'est qu'une supposition.

J'ai eu récemment l'occasion d'interroger l'une de ses petites-filles : elle m'a indiqué que son grand-père (mon grand-oncle) parlait fort peu de tout cela. Elle savait qu'il avait donné sept ans de sa jeunesse à l'armée, elle savait également qu'il avait été "gazé", mais elle ignorait tout de cette citation et de cette décoration. Jean faisait partie de ces innombrables héros discrets de la Première Guerre mondiale.

Il restait néanmoins mobilisable en cas de nouveau conflit. Simplement, comme il s'était marié en 1920, sa classe de mobilisation (à ne pas confondre avec la classe de recensement) reculait au fur et à mesure qu'augmentait le nombre de ses enfants. C'est pourquoi l'année 1909 est rayée et remplacée par 1903 en haut de sa fiche matricule.

Il ne fut définitivement dégagé de ses obligations militaires que le 15 octobre 1938, moins d'un an avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale ! Il avait alors quarante-neuf ans. Il vécut encore de nombreuses années, dans la bonne ville de Pau où sa sœur Julia venait lui rendre visite de temps en temps.


Jean Fourcade et sa soeur Julia
Archives personnelles



(1) Je vous conseille en particulier le site suivant : http://chtimiste.com

(2) I.D. est l'abréviation d'infanterie divisionnaire, unité qui regroupe plusieurs régiments.

(3) C'est du moins ce que je déchiffre sur le document, sans aucune certitude. Pinon serait plus vraisemblable, compte tenu de la date de l'événement.

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