Ceux qui ont souscrit un abonnement à GeneaNet connaissent
sans doute les alertes généalogiques par individus : toutes les semaines,
un message signale les nouvelles entrées dans la base de données qui ont un rapport
avec nos ancêtres les plus lointains de notre arbre, ceux qui sont en bout de
ligne en quelque sorte.
J'ai donc reçu ces derniers jours une alerte concernant le
couple Mathurin Pinier et Marie Brossard, qui pour moi portent les numéros Sosa
184 et 185. Si j'en crois mes papiers, je n'avais guère travaillé sur eux
depuis mes tous débuts en généalogie, lorsque je cherchais surtout à remonter
le plus loin possible, sans trop me soucier des fratries, papillonnant de
branche en branche, au gré de mes découvertes.
J'ai appris depuis lors à être plus méthodique !
J'imprimai donc la fiche de Mathurin Pinier sur laquelle figuraient les
informations fournies par GeneaNet :
- La
date et le lieu de sa naissance,
- Les
noms et prénoms de ses parents,
- Les
noms et prénoms d'un de ses enfants, avec des dates qui se révèleront
d'ailleurs erronées (nul n'est parfait),
- Les
nom et prénom d'un de ses frères.
Cette fiche allait me servir de journal de recherches. En
effet, à ce stade, je ne saisis aucune information dans ma propre base de
données, sans les avoir vérifiées auparavant (vous savez, ma fameuse obsession
des pièces justificatives, héritée de mon ancien métier).
Mathurin Pinier étant apparemment né à Saint-Clément de la
Place, bourgade située à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest d'Angers, me
voilà sur le site des Archives départementales du Maine-et-Loire, l'un de mes
préférés pour sa richesse, sa clarté et sa facilité d'accès.
Je trouvai assez rapidement l'acte de baptême à la date
indiquée, le 19 mai 1735. Mais s'agissait-il bien de mon ancêtre ?
Dans un premier temps, rien ne permettait de l'affirmer. Nos aïeux ont fait
beaucoup d'enfants qui, une fois parvenus à l'âge adulte, ont fait de même, et
c'est ainsi que l'on se retrouve vite avec quantité d'oncles et de cousins qui
portent tous plus ou moins les mêmes prénoms !
Je me mis donc en quête de l'acte de mariage de Mathurin
Pinier et de Marie Brossard, qui pourrait me confirmer l'identité des parents
de Mathurin. La cérémonie est souvent célébrée dans la paroisse de l'épouse, ce
qui complique un peu les choses, mais rien n'interdisait de penser que mon
ancêtre avait choisi cette dernière dans son propre village. Bingo ! Voici
l'acte en question, à Saint-Clément de la Place, le 27 janvier 1756.
L'acte me confirme le nom des parents, Mathurin Pinier et Anne Joubert, et
l'année de naissance du marié, en indiquant qu'il a vingt-et-un ans.
Puisque la chance me souriait, pourquoi ne pas poursuivre la
lecture des pages suivantes et reconstituer la fratrie complète, autour de mon
ancêtre René Pinier (Sosa 92), né en octobre 1760 au même endroit ?
Je vous passe les détails. Après exploitation systématique
des informations fournies par GeneaNet, en cliquant sur les noms de la première
fiche, et la lecture des registres paroissiaux et d'état civil correspondants,
voici le fruit de mes recherches :
- Des
informations complètes sur le couple Mathurin Pinier et Marie Brossard,
c'est-à-dire les dates et lieux de leur baptême, de leur mariage et de
leur sépulture,
- Des
informations complètes sur une sœur de Mathurin Pinier,
- Des
informations complètes sur ses parents,
- Les
noms et prénoms de ses quatre grands-parents avec la date-butoir de leur
décès,
- La
liste a priori complète des enfants du couple, avec au minimum leur date de
baptême et de sépulture,
- L'identification
d'un certain nombre de parents et alliés présents aux différentes
cérémonies.
Je puis désormais affirmer que Mathurin Pinier et son épouse
Marie Brossard, originaire du village voisin de La Pouëze, se sont mariés à
Saint-Clément lorsqu'ils avaient respectivement vingt ans et vingt-six ans. Le
couple a donné naissance à cinq enfants, quatre garçons et une fille : le
premier s'appelle Mathurin, comme son père et son grand-père, les suivants
Jean, René, Toussaint et Marie.
Mathurin Pinier était métayer à la Fournerie, comme son père
fut métayer à la Morellerie dans la même paroisse, et comme son fils René, mon
ancêtre direct, sera métayer à la Glénais, dans la paroisse du
Louroux-Béconnais, non loin de là.
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Source Photo Pin Creative Commons |
Et c'est ainsi que nous arrivons à ce funeste mois de
novembre 1765. En quelques jours, cinq membres de la même famille vont être
inhumés dans le cimetière du lieu :
- D'abord
Toussaint, le 1er novembre (sinistre coïncidence), âgé de
trois ans,
- Puis
Marie, née le 3 novembre et inhumée le 4,
- Puis
leur père Mathurin, le 6 novembre, à l'âge de trente ans,
- Puis
leur mère, Marie Brossard, le 9 novembre, à trente-six ans,
- Finalement
Mathurin fils, le 15 novembre, à l'âge de huit ans.
La grand-mère, Anne Joubert, avait elle aussi été portée en
terre, dans le même cimetière de Saint-Clément de la Place, quelques mois
auparavant, le 10 juillet 1765. Elle avait alors cinquante-sept ans.
Le grand-père, Mathurin Pinier, né en 1700, survivra à cette
hécatombe pendant une dizaine d'années, avant de mourir le 21 novembre
1775, à l'âge respectable pour le siècle de soixante-quinze ans.
Des enfants qui meurent dans les heures qui suivent leur
naissance, des mères qui ne survivent que quelques jours à un accouchement,
cela était relativement courant au XVIIIe siècle, compte tenu de
l'hygiène et de la médecine de l'époque. Mais les trois autres décès ? Que
s'est-il passé exactement ?
On est tenté de penser à une épidémie. J'ai donc cherché
dans le livre de Thierry Sabot(1), puis sur
Wikipédia et dans le Dictionnaire historique de Maine-et-Loire de Célestin
Port. Je n'ai rien trouvé de précis.
Wikipédia qualifie les années 1765 à 1777 d'"années
froides et pluvieuses". Thierry Sabot
évoque bien une épidémie de grippe, mais dans la page qui concerne plutôt les
années 1760 à 1764. Célestin Port reste muet sur la question dans les rubriques
concernant Saint-Clément de la Place et la paroisse voisine de Saint-Jean des
Marais. il précise au passage que le nom de cette dernière "ne
s'explique guère dans un pays de rochers et de rares sources" (ce vocable m'avait d'abord fait penser à des
fièvres).
J'ai à nouveau consulté les registres paroissiaux pour
tenter d'y déceler quelques indices. Du 27 octobre au 15 novembre
1765, huit décès ont eu lieu, tous de personnes jeunes ou dans la force de
l'âge : outre les cinq membres de la famille Pinier, j'ai noté Marguerite
Menard (seize ans), René Brossard (trente-trois ans, beau-frère de Mathurin
Pinier), et Pierre Menard
(dix-huit ans, frère de Marguerite Menard).
Chose curieuse, il n'y a ensuite plus aucun acte dans le
registre entre le 30 novembre 1765 et le 17 janvier 1766, soit durant
plus d'un mois et demi. Puis la vie de la paroisse semble reprendre son cours
"normal", avec le même curé, Jean-Michel Corbin, et le même vicaire,
J. Crasnier.
J'ai également jeté un œil sur le registre de Saint-Jean des
Marais, où officie le curé Jean-François Corbin : je constate la même
absence d'acte entre le 1er décembre 1765 et le 12 janvier
1766, mais le village a manifestement moins de paroissiens, donc sans doute
moins de cérémonies.
Pour moi, le mystère reste entier. Quelqu'un pourrait-il
m'éclairer sur cette question ?