En feuilletant les pages d'un registre paroissial, je tombe
sur cette mention insolite :
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AD Manche Buais 1745-1754
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"Le 2e jour de novembre 1751 le
tonnerre tomba
sur le clocher de Buais endommagea une des jambes
de force decouvrit tout à l'entier la fleche et le dôme
la reparation en a couté sept cens livres suivant
l'adjudication qui en a été faitte & mise à prix par le s(ieu)r
prieur ce fut sur les neuf heures du soir que le
tonnerre tomba, partagea le cocq par la moitié on
en a mis un neuf, La France couvreur en ardoise
d(emeura)nt à Landivy a couvert de neuf le bois quarré
le dôme & la fleche. L'année 1752 le bled seigle
valant quatre livres le boisseau le 9 may 1752."
Le scripteur est avare en ponctuation, ce qui est fréquent à
l'époque. Nous sommes à Buais, à deux lieues au sud de Notre-Dame-du-Touchet,
dans l'actuel département de la Manche. Deux lieues de plus vers le sud, et
nous voilà à Landivy, dans le département de la Mayenne, d'où venait l'artisan
qui a refait la toiture ravagée par l'orage.
Je note l'insistance du prieur curé sur le coût des travaux et le remplacement de la girouette, au point d'exprimer
le pouvoir d'achat de la livre en boisseaux de seigle, pour que chacun mesure
l'importance de la somme.
Mais, au fait, comment étaient financés les travaux
d'entretien, de réparation, d'embellissement des édifices religieux sous
l'Ancien Régime ? Et, d'une manière plus générale, quelles étaient les
ressources du clergé dans les paroisses avant la Révolution ?
Les ressources du
clergé
Elles sont principalement de deux ordres : les
bénéfices ecclésiastiques et la dîme.
Les premiers sont des biens fonciers, attachés à une
fonction ecclésiastique, pratique qui remonte, semble-t-il, au Moyen-Âge. Ces
biens produisent des revenus : on parle de mense(1)
épiscopale pour les évêques, de mense abbatiale pour les abbés, de prébende
pour les chanoines et de mense paroissiale pour les curés.
Ces revenus fonciers se distinguent du casuel, qui
correspond aux rétributions accordées par les fidèles à l'homme d'église pour
l'exercice de certains ministères (baptêmes, mariages, funérailles,
bénédictions). Ce casuel est bien entendu extrêmement variable d'une paroisse à
l'autre, en fonction du nombre de paroissiens et de leur générosité, au point
que des tarifs furent petit à petit instaurés pour les différentes cérémonies.
Lorsque le bénéfice ecclésiastique n'est pas directement
attaché à une cure, mais relève d'une abbaye ou d'un chapitre, une part appelée
portion congrue est prélevée pour rémunérer la cure : de 1629 à
1768, elle fut de 300 livres par an pour les desservants d'une paroisse et
de 150 livres pour ses vicaires. Elle fut portée à 500 livres en
1768, puis à 700 livres en 1786 (et moitié moins pour les vicaires). La
pratique a disparu, mais l'expression est restée dans le langage courant.
L'autre ressource importante est la dîme : il
s'agit d'un impôt en nature prélevé par l'Église sur les produits agricoles,
pour l'entretien des ministres du culte. Le bénéficiaire, appelé décimateur, en
confie le plus souvent la perception à un fermier des dîmes, moyennant une
somme convenue. À charge pour lui de revendre les produits prélevés sur les
récoltes.
La perception de la dîme s'effectue sur le champ et en
nature, ce qui veut dire que l'agent est présent au moment même de la récolte
pour effectuer le prélèvement : gerbes de blé ou de seigle, lin, chanvre,
fruits, légumes, raisin, agneaux, laine…
Le taux de prélèvement est théoriquement de 10 %, d'où
le nom de dîme(2), mais
il est en réalité extrêmement variable d'une paroisse à l'autre, selon les
produits. La dîme est partagée entre l'évêché et la paroisse (en général, un
quart à l'évêché et trois quarts à la paroisse).
Le financement des
travaux
Il est régi selon un principe de base : dans chaque
église, le chœur est à la charge des décimateurs et la nef à la charge des
paroissiens. Et le clocher, me direz-vous ? cela dépend de son
implantation !
C'est le moment d'évoquer la fabrique, ce groupe de
laïcs, marguilliers ou fabriciens, chargé d'administrer les biens de la
paroisse, de s'occuper de l'entretien, des réparations, de l'achat du mobilier…
La fabrique gère les recettes courantes (casuel, quêtes, location des bancs)
ainsi que les donations et les fondations (lorsqu'un paroissien alloue par
testament une somme pour la célébration de messes anniversaires, par exemple).
Selon leur importance et leur localisation, les travaux
d'une église peuvent donc être financés par la dîme ou sur les fonds gérés par
la fabrique.
Il arrive également que le curé ou l'évêque fasse appel à la
piété des fidèles par des quêtes exceptionnelles, assorties ou non d'indulgences.
Un impôt exceptionnel peut même être autorisé par le
pouvoir politique, selon toute une procédure (requête auprès de l'intendant,
assemblée générale des paroissiens, nomination d'experts, établissement de devis,
adjudication, nomination de collecteurs de l'impôt, établissement du rôle…).
Enfin, des bienfaiteurs financent parfois tout ou partie des
dépenses : construction de chapelles, pose de verrières, achat de vases
sacrés ou de vêtements liturgiques.
Et voilà comment la lecture d'une mention insolite dans un
registre m'a permis, de fil en aiguille, d'avoir une vue plus claire sur les
ressources financières des paroisses sous l'Ancien Régime.
Sources
La construction des
églises paroissiales du XVe au XVIIIe siècle, article
de Marc Venard dans la Revue d'histoire de l'Église de France, année 1987,
volume 73, n°190, pp. 7 à 24, sur le site Persée
Dictionnaire de
l'Ancien Régime, sous la direction de Lucien Bély, PUF, 1996
(1) Du latin mensa, table pour les repas,
nourriture.
(2) Du latin decima, dixième partie.