Je n'ai pas connu mon grand-père paternel, mort longtemps
avant ma naissance, et je disposais jusqu'à présent de peu d'éléments à son
sujet : deux ou trois photos, une alliance avec la date de mariage gravée
sur la face interne, un titre de rente viagère pour la vieillesse, deux
bulletins de déclaration de pension à l'administration fiscale, deux courriers
de la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (CMP) datés de 1936 et
une plaque en cuivre pour imprimer des cartes de visite avec son adresse.
Cet inventaire à la Prévert m'a permis de collecter dans un
premier temps ses actes de naissance, de mariage et de décès. Puis de me rendre
aux Archives de Paris pour y trouver sa fiche matricule, dénicher l'acte de
mariage religieux, consulter les tables de successions et absences et déchiffrer
la déclaration de mutation par décès.
J'avais néanmoins le sentiment de ne pas avoir épuisé toutes
les ressources… En faisant une recherche sur Internet, j'ai découvert que la
RATP disposait d'
archives
historiques ouvertes au public. Un
article de l'Association
Histoire et Mémoire ouvrière en Seine-Saint-Denis détaillait les fonds et
indiquait notamment l'existence de dossiers du personnel des sociétés qui ont
précédé la création de la RATP : Compagnie du chemin de fer métropolitain
de Paris (CMP), Compagnie Nord-Sud, Société des transports en commun de la
région parisienne (STCRP).
Les dossiers du
personnel
L'ensemble couvre la période de 1900, date de mise en exploitation
de la première ligne de métro, à 1960.
J'ai donc téléphoné au numéro indiqué sur le site de la RATP
et mon interlocutrice, la responsable des archives, m'a aimablement indiqué la
procédure à suivre. J'ai confirmé ma demande par courriel le jour même, j'ai
reçu en réponse un formulaire à remplir et quelques jours plus tard un coup de
fil m'indiquait que le dossier demandé était à ma disposition. Rendez-vous fut
pris pour lundi dernier.
La médiathèque est située au sous-sol de la Maison de la
RATP, à deux pas de la gare de Lyon, entre la rue de Bercy et le quai de la Rapée.
Distraite par une distribution de tracts à l'entrée du vaste hall du bâtiment,
j'ai loupé l'Accueil et je suis descendue directement à la médiathèque en
suivant les flèches… pour trouver porte close ! Au bout de quelques
minutes, une personne m'a aperçue derrière la paroi vitrée et m'a fait entrer.
Ouf ! J'avais enfin entre les mains le dossier tant espéré et j'allais en
savoir davantage sur mon grand-père paternel.
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Source Archives historiques de la RATP |
Le contenu d'un
dossier
Naïvement, je ne m'attendais pas à recueillir autant
d'informations contenues dans une chemise somme toute assez mince. Jugez plutôt.
Tout d'abord, une photo d'identité de mon grand-père jeune,
en uniforme de l'entreprise, avec son numéro matricule sur les pattes de col. Le
cliché nécessitera quelques retouches, pour faire disparaître les traces de
trombone. L'occasion de mettre à profit le guide Restaurer ses photos de famille(1),
acquis récemment.
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Portrait de Frédéric Chancé Source Archives historiques de la RATP |
La lettre de candidature manuscrite, adressée à Monsieur le
Directeur de l'Exploitation du Chemin de fer métropolitain, curieusement non
datée.
Une feuille de renseignements sur laquelle figure la liste des
entreprises qui ont employé mon grand-père avant son entrée à la CMP. Noms,
adresses, dates d'entrée et de sortie, bref, une mine à exploiter et de quoi
reconstituer l'ensemble de sa carrière.
Deux certificats médicaux.
Un permis provisoire de "receveur d'automobile"
(?) à en-tête de la Préfecture de police et de la CMP. Il est daté du
27 septembre 1902 et valable deux mois.
Divers courriers, certains dactylographiés et d'autres
manuscrits sur des formulaires à en-tête de la CMP. Dans l'un d'eux, mon
grand-père sollicite un certificat de ses appointements et indemnités, à
fournir à la Préfecture, son fils (mon père) ayant été admis comme boursier au
collège Chaptal. Il précise fièrement que celui-ci a été reçu 27e
sur 216 candidats.
Un livret individuel, détenu en temps normal par le chef de
service, qui contient, outre les renseignements d'état civil, les mutations,
maladies et blessures, congés et punitions (!).
Une fiche de suivi des congés et maladies, instructive à la
fois sur les conditions de travail dans l'entreprise entre 1902 et 1920 et sur
la santé de mon grand-père.
Une fiche de suivi des punitions, avec des colonnes prévues
pour les observations, les réprimandes, les blâmes, les avertissements. La
colonne des motifs est à lire attentivement car elle est révélatrice, entre
autres choses, de l'obsession de l'entreprise pour le respect des horaires des
rames de métro.
Quelques récépissés et documents administratifs divers.
Enfin une lettre manuscrite de ma grand-mère paternelle,
datée du 28 août 1920. En l'absence de son mari, désormais à la retraite,
elle répond à l'entreprise qui réclame un solde dû relatif à l'habillement.
J'en déduis que la société faisait payer à ses employés l'uniforme qu'elle leur
imposait.
Mon grand-père entra à la CMP comme "garde" en
septembre 1902, avant de devenir chef de train (à ne pas confondre avec le
conducteur) en octobre 1903. Il relevait du service du Mouvement, alors que les
conducteurs relevaient du service de la Traction(2).
Je dis ça, mais il va falloir me documenter davantage sur le sujet…
Mon grand-père fut mis à la retraite le 1er
juillet 1920, à l'âge de cinquante-cinq ans, et fut maintenu dans son emploi
comme agent auxiliaire jusqu'au 1er août suivant, date à laquelle il
démissionna. Il était resté dix-huit ans dans la compagnie.
Ici comme dans les autres services d'archives, j'ai eu
l'autorisation de photographier les pièces qui m'intéressaient. Deux heures
plus tard, je repartais satisfaite et depuis lors j'ai une pensée pour mon
grand-père chaque fois que je monte dans une rame du métro.
(1) Robert Correll, Restaurer ses photos de
famille, Eyrolles, 2015, 254 pages
(2) Jean Tricoire, Un siècle de métro en
14 lignes, De Bienvenüe à Météor, Éditions La vie du Rail, 1999,
351 pages