Les généalogistes comme les amateurs de photographies
anciennes connaissent tous ces tirages moyen format où les invités de la noce,
debout sur plusieurs rangs, entourent les jeunes mariés au centre de l'image et
leurs parents figés dans une pose avantageuse. C'est un classique du genre.
Logiquement, le mariage de ma grand-mère maternelle n'aurait
pas dû échapper à la règle. Elle s'est mariée à Pau en 1900 : le mariage
civil a eu lieu le 22 novembre à cinq heures du soir, à l'Hôtel de ville,
et le mariage religieux deux jours plus tard, en l'église Saint-Martin, à
quelques pas du boulevard des Pyrénées.
Julia entre à l'église au bras de son père |
Les deux seules photos qui relatent l'événement sont pour le
moins originales. La première a été prise avant la cérémonie. Le photographe,
placé dans l'allée centrale, a saisi l'instant décisif où Julia pénètre dans
l'église au bras de son père. Le visage du cocher à l'arrière-plan complète le
triangle formé par les trois personnages. Il est juché sur le siège de la
voiture qui vient de les déposer devant le porche et il tient dans ses mains
les rênes et le fouet qui lui permettent de guider les chevaux.
Théodore Fourcade, quarante-cinq ans, habit noir et cravate
blanche, fleur à la boutonnière, les mains gantées tenant le haut-de-forme, a
l'air grave. Il conduit sa fille à l'autel. Julia avance les yeux baissés, sans
doute intimidée par la foule qui se presse de part et d'autre du tapis déroulé
à ses pieds. Elle n'a que dix-huit ans. Sa taille incroyablement fine est mise
en valeur par le contre-jour qui illumine le voile derrière elle.
La sortie de l'église |
La seconde photo a été prise à l'issue de la cérémonie.
Cette fois, le photographe opère depuis un endroit surélevé, de façon à obtenir
une vue d'ensemble. Il a déclenché au moment où le couple franchit le porche.
Le bicorne du Suisse et le reflet de sa hallebarde se détachent sur le fond
sombre. Le cortège n'est pas visible, mais une foule se presse à l'extérieur
pour apercevoir les jeunes mariés. Une voiture les attend. Les chevaux arborent
des rubans et une silhouette sous un parapluie indique l'humidité du temps
automnal.
Ces photos constituent la trame d'un véritable reportage.
Sont-elles destinées à alimenter la rubrique mondaine du journal local ?
Je l'ignore. Certes, les deux familles appartiennent à un milieu social
relativement aisé.
Le père de la mariée est négociant chemisier. Son magasin,
situé en centre ville à l'angle de la rue des Arts (1) et de la rue Nouvelle-Halle (2), a entre
autres clients le prince de Galles. Le marié, Maurice Maitreau, est pour sa
part greffier au Tribunal civil d'Oloron-Sainte-Marie. Son père, capitaine
d'infanterie à la retraite, chevalier de la Légion d'honneur, a quelques biens,
dont il fait régulièrement l'inventaire dans un carnet destiné à sa fille
Marie. Son principal souci, alors qu'il a près de quatre-vingts ans :
respecter une stricte égalité entre ses deux enfants.
Quoi qu'il en soit, ces deux photos nous invitent au cœur de
l'événement, avec infiniment plus de force que le traditionnel cliché de
groupe. Qu'en pensez-vous ?
(1) Actuelle rue Valéry-Meunier
(2) Actuelle rue
du Maréchal-Foch