mardi 28 avril 2020

Une ancêtre récalcitrante

Anne Jacqueline Hamel, épouse de Louis Restaux, fait partie de mes ancêtres à la sixième génération. Pourquoi est-elle récalcitrante ? parce que c'est la seule à ce niveau qui résiste à mes recherches : impossible de mettre la main sur son acte de mariage, qui a dû être célébré aux premières heures de la Révolution. Pas davantage de succès avec les actes de naissance ou de baptême de ses enfants.

La lignée Hamel s'interrompt donc brusquement, faute d'éléments permettant de remonter plus en amont le cours du temps.

Les faits

Quelles sont les bribes d'information en ma possession ? Son époux, Louis Restaux, est originaire de Buais, un bourg situé à l'extrême sud du département de la Manche, aux confins de la Normandie et de la Mayenne, dans ce bocage où les champs et les prairies sont encore entourés d'arbres et de haies. 

Il y a vu le jour en mars 1766 dans une famille de cultivateurs déjà qualifiés de propriétaires ; son père signe d'une main ferme l'acte de baptême, tout comme lui-même signera plus tard divers registres.

Le couple formé par Louis Restaux et Anne Jacqueline Hamel a trois enfants identifiés :
  •  L'aîné, prénommé Louis Julien Toussaint, se marie à Buais en juillet 1813 ; il aurait alors "vingt-trois ans quelques mois", ce qui situe sa naissance vers 1790, et il serait originaire de la commune de Husson.

  • Vient ensuite Anne, mon ancêtre directe, qui épouse Louis Martin Chancé à la mairie de Notre-Dame-du-Touchet le 20 février 1815 (et à l'église seulement onze mois plus tard, allez savoir pourquoi) ; l'officier de l'état civil précise qu'elle est née à Husson le 8 mai 1792.

  • Enfin le plus jeune, François, est témoin lors du mariage d'un de ses cousins en 1814 et lors du mariage de sa sœur Anne en 1815, mais n'a pas le temps de fonder une famille puisqu'il décède au domicile de ses parents en juin 1817 ; l'âge qui lui est attribué dans ces divers actes permet de situer sa naissance entre 1792 et 1794.

Dernière information de source sûre, Anne Jacqueline Hamel rend son dernier soupir à Buais, au hameau de la Mercerie, le 9 avril 1822 et elle est inhumée le lendemain dans le cimetière du lieu. Son époux, Louis Restaux, se présente à la mairie pour la déclaration de décès. Il indique qu'elle avait alors soixante-sept ans, ce qui situerait sa naissance vers 1755. Je remarque au passage que le mari a une bonne dizaine d'années de moins que sa femme. Après tout, pourquoi pas ?

Les premières recherches

Pour compléter la fiche d'Anne Jacqueline Hamel, il me faudrait son acte de mariage pour identifier de façon certaine ses parents ou, à tout le moins, les actes de baptême de ses enfants, dans la mesure où les parrains et marraines des premiers nés sont souvent leurs grands-parents. Munie de ces informations, je pourrais ensuite consulter les registres des paroisses alentour à la recherche de l'acte de baptême d'Anne Jacqueline.

Facile, me direz-vous ! Commençons donc par le baptême d'Anne Restaux, pour lequel j'ai une date et un lieu précis. Et, qui sait, de proche en proche, je remonterai le fil de l'histoire.

Las, les registres de Husson disponibles en ligne ne concernent que la période de 1794 à 1892… et encore ! il faut le dire vite : le premier registre, rédigé par le curé et censé couvrir la période de 1794 à 1799, contient surtout des actes des trois dernières années, ainsi que la transcription tardive d'actes plus anciens, sans aucune garantie d'exhaustivité. Cela peut parfaitement se comprendre, compte tenu de l'époque révolutionnaire troublée, mais je n'y relève rien qui puisse m'aider.

Les premières pistes

Tentons une recherche sur le site de Geneanet. Le patronyme Hamel est fort répandu, notamment en Normandie, mais en limitant les recherches au département de la Manche et avec ce double prénom, les réponses se limitent à quatre pistes pour la période qui m'intéresse :
  •  Une première Anne Jacqueline Hamel, née le 15 septembre 1755 à Saint-Clément-Rancoudray, village au nord-est de Mortain, à plus d'une vingtaine de kilomètres de Buais et à peu près autant de Husson,
  • Une deuxième Anne Jacqueline Hamel, née le 1er novembre 1761, également à Saint-Clément-Rancoudray,
  • Une troisième Anne Jacqueline Hamel, née le 12 février 1754 à Martigny, au nord de Saint-Hilaire-du-Harcouët, à environ dix-sept kilomètres de Buais, mais décédée quelques jours après son baptême, elle ne peut avoir épousé mon ancêtre Louis Restaux,
  • Enfin, une quatrième Anne Jacqueline Hamel, née le 3 janvier 1754 au Teilleul, village mitoyen de Buais et de Husson, l'option de loin la plus intéressante. 

Carte générale de la France de Cassini, feuille n°96, détail
Source Gallica
Je commence donc les investigations par cette dernière, afin de voir si divers indices pourraient conforter mon hypothèse.

Les informations collectées

Cette Anne Jacqueline Hamel qui attire mon attention a vu le jour au Teilleul, chez un couple de fermiers, Michel Hamel et Catherine Chalot, qui ont reçu la bénédiction nuptiale le 22 février 1753, dans leur paroisse commune du Teilleul. Même si, au moment de son mariage, Catherine Chalot résidait depuis quelques années dans celle de Notre-Dame-du-Touchet. Anne Jacqueline est apparemment l'aînée d'une fratrie qui ne compte pas moins de sept filles. Sept, bigre !

Les six premières sont nées au Teilleul. Les baptêmes se succèdent à un rythme plutôt soutenu : janvier 1754, mars 1755, octobre 1756, janvier 1758, novembre 1759, décembre 1761, avant de marquer une pause. D'après l'âge qui lui est attribué à son décès, la plus jeune, Michelle, serait née quelques années plus tard, en 1767… à Husson. Tiens, tiens !

Tant qu'à faire et puisque le confinement m'offre de longues plages de temps pour les recherches en ligne, autant jeter un œil sur les événements concernant toutes ces demoiselles. Peut-être y trouverai-je des indices.

Deux d'entre elles, Marie et Julienne, n'ont pas laissé d'autre trace que celle de leur baptême. Une troisième, Madeleine, n'a vécu que quelques mois. Mais si, pour l'instant, je laisse de côté Anne Jacqueline, trois de ses sœurs au moins ont atteint l'âge adulte, se sont mariées et ont eu des enfants, sans jamais s'éloigner beaucoup du Teilleul. Françoise épouse en 1782 un certain Michel Mesenge, déjà qualifié de propriétaire, lequel signe avec force fioritures. Catherine épouse François Henry Boudin qui manie également la plume avec dextérité et Michelle épouse Pierre Jehan, cultivateur. Si le premier de ces mariages a eu lieu au Teilleul, les deux autres sont introuvables, mais validés par le fait qu'ils ont donné lieu à descendance.

Je pousse plus loin les investigations. Je vous fais grâce des détails, mais la lecture attentive des actes de naissance, de baptême et de mariage de cette progéniture permet de constater les liens étroits entre les paroissiens du Teilleul et ceux de Husson. Et de récolter au passage quelques indices.

Les indices concordants

J'ai désormais acquis la quasi-certitude que la fille de Michel Hamel et l'épouse de Louis Restaux sont une seule et même personne. Quels sont les éléments qui plaident en faveur de cette hypothèse ?

Le fait que toutes deux sachent signer, tout d'abord, ce qui n'est pas si fréquent à l'époque. La fille de Michel Hamel est la marraine de sa nièce Jeanne Michelle Mesenge en décembre 1792, au Teilleul. Elle a alors trente-huit ans. L'épouse de Louis Restaux est la marraine de sa petite fille Fannie Anne Chancé à Notre-Dame-du-Touchet en 1816, alors qu'elle a soixante-deux ans. Si les deux signatures ne sont pas parfaitement identiques (ce qui peut se comprendre à près d'un quart de siècle de distance), elles présentent néanmoins de fortes similitudes.

Signature du 13 décembre 1792
Signature du 8 octobre 1816

Les liens entre la famille Restaux, originaire de Buais, et la famille Hamel originaire du Teilleul, ensuite. Anne Le Dauphin, épouse de Michel Boudin, est par exemple la marraine d'une sœur de Louis Restaux à Buais en novembre 1774 et elle est également la marraine d'un neveu d'Anne Jacqueline Hamel au Teilleul en août 1789.

La proximité de Husson et du Teilleul, enfin, comme je l'ai évoqué plus haut. À tel point d'ailleurs que depuis 2016 la commune nouvelle du Teilleul englobe désormais les anciennes communes de Ferrières, Heussé, Husson et Sainte-Marie-du-Bois.

Bref, je considère que la fille de Michel Hamel, née au Teilleul en janvier 1754 est bien la même personne que l'épouse de Louis Restaux, décédée à Buais en avril 1822. Pour valider définitivement ce choix, il faudrait trouver un contrat de mariage, c'est-à-dire se rendre aux Archives départementales de la Manche, à Saint-Lô, et consulter les minutes notariales : irréalisable, pour le moment.

En attendant des jours meilleurs, j'ai quand même mis à jour mon arbre généalogique ; il vient de s'enrichir de trois ancêtres supplémentaires côté Hamel et de neuf ancêtres, sur quatre générations, côté Chalot ! Avec son lot de nouvelles énigmes à résoudre…