lundi 28 octobre 2013

Rayures estivales


Pour clore ce mois de la photo généalogique, je vous propose aujourd'hui cet instantané, sans doute saisi par mon père.

Archives personnelles

Nous sommes à Trouville durant l'été 1949. Ma grand-mère, de dos, regarde les exploits des joueurs de tennis, tandis que ma mère me recoiffe. Trois générations, trois tenues vestimentaires, trois façons de porter les rayures estivales.

Julia, qui de sa vie ne mit un pantalon ni ne prit un bain de mer, arbore un élégant tailleur de couleur claire, avec de fines rayures tennis, et de splendides chaussures bicolores, bien peu pratiques pour fouler le sable de la plage. Concession aux mœurs nouvelles, elle a accepté de sortir sans chapeau et je ne suis même pas sûre qu'elle ait pris son sac et ses gants ! Pas possible, ces accessoires ont dû rester sous le parasol !

Ma mère a tranché pour un modernisme de bon aloi : short de toile blanche, fine ceinture de cuir et pull col en V, les manches négligemment retroussées sur les avant-bras, pieds nus dans le sable et lunettes de soleil pour pallier sa myopie.

Pour ma part, je suis affublée d'un maillot à bretelles et d'un gilet à manches ballon, à mon avis tricotés par ma grand-mère. Ce ne sont ni les premiers, ni les derniers d'une série qui prit heureusement fin quelques années plus tard. Avec des couleurs plus ou moins réussies, selon les saisons. Et la laine mouillée, croyez-moi, çà gratte.

L'été 1949 fut, paraît-il, particulièrement chaud et ensoleillé. Il s'agit pourtant là d'une lumière voilée, qui estompe les ombres et fait ressortir le bronzage. Fin de vacances sur la côte normande ? Beau souvenir, en tous cas.

Mais, j'y songe : j'ai à peu de choses près aujourd'hui l'âge qu'avait Julia, lorsque cette photo a été prise. Bon, je vous laisse, je vais compter les jeans qui encombrent mon placard…

lundi 21 octobre 2013

Photo de famille

Archives personnelles


Ma grand-mère Julia est entourée de ses quatre enfants. L'aînée, Suzanne, est déjà une jeune fille, alors que Paul porte encore des culottes courtes, même s'il arbore un col dur sur son veston.

Les jumelles, Geneviève et Marie-Thérèse, nées en avril 1913, ne doivent guère avoir plus de trois ans : notez les rubans dans les cheveux et la médaille de baptême, retenue par une chaîne et une petite broche sur la collerette de dentelle.

Il y manque Jacqueline, née en juillet 1918. Nous sommes donc en 1915 ou 1916, au cœur de la grande guerre.

lundi 14 octobre 2013

Des chevaux et des hommes


Je vous propose aujourd'hui deux photos, assez semblables dans leur esprit, tirées de mes archives personnelles.

Sur la première, figure mon grand-père maternel. Et, miracle, elle comporte une légende au dos : "Maurice Maitreau et Pompon au chemin du Salié près de l'hippodrome à Pau en 1912", sans doute rédigée par sa sœur Marie. Mais méfions-nous. Maurice aurait donc un peu plus de quarante ans au moment où la photo a été prise, ce qui me surprend, au vu des autres portraits dont je dispose : sur ce cliché, je lui aurai donné facilement dix ans de moins ! J'admire au passage sa moustache conquérante, la cravate et le col à coins cassés, ainsi que le canotier crânement porté. Et si cette photo était antérieure à son mariage, célébré en novembre 1900 ?

Mon grand-père, Maurice Maitreau

Le tirage, contrecollé sur carton, fait partie d'un lot de photos anciennes données à ma mère par sa cousine Andrée, la propre fille de cette fameuse Marie. Je me souviens fort bien de ma grand-tante, rencontrée alors qu'elle avait quatre-vingt-cinq ans. C'était durant l'été 1956, le seul de mon enfance passé dans les Pyrénées. Il est tout à fait possible que les annotations aient été inscrites sur les photos à cette époque, ou même plus tard, et que la mémoire de la vieille dame lui ait joué quelque tour. L'écriture un peu tremblée va dans le sens de cette hypothèse.

Je n'ai malheureusement pas connu mon grand-père, mort en 1939, à l'âge de soixante-dix ans.

Mon oncle, Paul Maitreau

Sur la seconde photo, je reconnais sans peine le frère aîné de ma mère, Paul Maitreau. Là, pas de légende, mais je dispose d'une série de petits clichés pris au même endroit. Je vous laisse apprécier les annotations, inscrites au dos, d'une fine écriture à la plume, par mon grand-père Maurice :
  • Sur la première "Opérette III p.s.A.Ar. 50% par Kesbou et Orientalette, 3 ans, 3 janvier 1935"
  • Sur une autre "20 avril 1935, Rameoüs 2a p.s.A."
  • Sur la troisième "20 avril 1935, Opérette III, Camélia II, Belle et Bonne II, Reine Denouste, Rameoüs"

Ces fameuses photos qui m'ont fait tant râler parce qu'elles comportaient les noms des chevaux, parfois même leur âge et leur ascendance, mais restaient muettes sur les cavaliers !

Heureusement, un autre agrandissement comporte les mentions suivantes : "La Ronceraie, l'Écurie, 1935". Cette fois-ci, c'est ma cousine Geneviève qui a éclairé ma lanterne : la Ronceraie était une chartreuse, c'est-à-dire une maison sans étage, louée par mes grands-parents à Toulouse dans les années trente. Elle y séjourna alors qu'elle n'était encore qu'une petite fille, capricieuse d'après ses dires, et en garde des souvenirs précis.

Paul aurait donc à peu près trente-deux ans sur la photo, ce qui paraît cette fois-ci tout à fait vraisemblable. Il arbore cette élégance décontractée qu'il garda toute sa vie, avec une prédilection pour les chapeaux mous et les vestes confortables.

Mon grand-père Maurice Maitreau était greffier en chef au tribunal civil d'Oloron-Sainte-Marie, mais il entretint tout au long de son existence une véritable passion pour les chevaux. J'ai, parmi les papiers de famille, une carte délivrée par la Société d'Encouragement pour l'Amélioration des Races de Chevaux en France, qui l'autorise à entraîner durant l'année 1936, ainsi qu'une autre pour l'année 1939. Il transmit incontestablement le virus à son fils Paul.

Source Archives personnelles

Des recherches effectuées sur Gallica, le site de la Bibliothèque nationale de France, confirment ce penchant familial. Le nom de Maitreau apparaît à plusieurs reprises en 1938 dans une somme de plus de 600 pages, intitulée Les Sports hippiques(1), sorte d'annuaire du monde du cheval. Mon grand-père Maurice y figure dans la liste des personnes admises à entraîner au galop en province, ainsi que dans la liste des commissaires de courses sur l'hippodrome de Pau. Mon oncle Paul y figure dans la liste des "gentlemen riders" admis à monter en courses  en tant qu'amateurs (par opposition aux jockeys professionnels). Cette année-là, il termina premier dans trois courses de plat.

J'ai également retrouvé dans la malle aux trésors familiale un programme de l'hippodrome du Pont-Long, daté du dimanche 12 février 1939. J'y vois le nom de mon grand-père tant dans la colonne des entraîneurs que dans celle des propriétaires : lors de cette réunion, il fit courir un certain Royal Ra sous ses couleurs, casaque gros vert, bretelles vieil or, toque gros vert. L'histoire ne dit pas s'il remporta un prix, mais j'aurais tendance à penser qu'il dépensa dans cette activité plus d'argent qu'il n'en gagna, laissant son épouse dans une situation financière précaire pour le restant de sa vie.

Mais revenons aux photos. J'ignore qui les a prises : la posture des cavaliers, de profil, regardant droit devant eux, me semble plutôt destinée à mettre en valeur les appuis des chevaux, leur croupe et leur encolure. Je remarque également la monte très différente des deux hommes : mon grand-père, qui ne mesurait qu'un mètre cinquante-huit, est presque debout sur ses étriers, alors que mon oncle, qui n'était guère plus grand, a une position beaucoup plus assise, sur une selle beaucoup plus légère. Je n'en tire aucune conclusion.

Inutile de préciser que la mort de mon grand-père d'une part et la deuxième guerre mondiale d'autre part mirent brutalement fin à ces activités. Personne ne reprit le flambeau par la suite…


(1) Les Sports hippiques 1938, publiés sous la direction du commandant G. H. Marchal, imprimerie Busson 117, rue des Poissonniers, Paris 18e

lundi 7 octobre 2013

Portrait d'artiste


Pour inaugurer le généathème du mois, je vous propose ce beau portrait de ma mère, datant vraisemblablement des années 1940, si j'en juge par la coiffure.

Archives personnelles
Comme je l'ai déjà évoqué dans un précédent billet(1), mes parents se sont rencontrés au casino municipal de Pau, transformé en hôpital militaire, à l'automne 1939 et se sont mariés trois mois plus tard. Le couple s'installa tout d'abord dans la capitale béarnaise, au n°2 de la rue de Segure, non loin de l'endroit où habitait ma grand-mère maternelle. Emmanuel, affecté à la base aérienne du Pont-Long, effectuait des vols d'entraînement et de reconnaissance aux commandes d'un Potez 25. Marie-Thérèse se rendait tous les jours à l'hôpital. C'était ce qu'il était convenu d'appeler "la drôle de guerre".

Mon père assista, impuissant, à la débâcle de juin 1940 et fut démobilisé le 27 juillet suivant. De retour à la vie civile, il remonta sur Paris avec son épouse. Le voyage en train, en cette période ô combien troublée dura, je crois, plus de vingt-huit heures !

Les jeunes mariés s'installèrent tout d'abord dans une garçonnière que mon père louait au numéro 148 du boulevard Berthier, dans le 17e arrondissement. À l'automne 1941, ils emménagèrent dans un confortable appartement de trois pièces, non loin du quai de Passy. Je suppose que mon père avait repris son poste de secrétaire général aux Bijoux Fix. Ma mère, infirmière de la Croix-Rouge, se rendait à la Fondation Paul Parquet. Mais la vision quotidienne de nourrissons atteints de maladies chroniques, voire incurables, était plus que déprimante pour une jeune femme qui s'apprêtait à devenir mère de famille.

C'est sans doute pour cette raison qu'elle travailla ensuite avec un certain Victor Linton, artiste d'origine britannique qui créait et vendait des bijoux fantaisie. J'ai souvent entendu prononcer son nom à l'anglaise ("Lintone") durant mon enfance, et j'ai encore en mémoire le tableau signé de sa main qui ornait l'un des murs du salon : une vue de la rue de Montpensier, avec l'enseigne du théâtre du Palais royal, à droite, et, au fond, un escalier que gravit une mince silhouette, vêtue à la mode des années quarante. Ma mère, peut-être ? Du moins, me le faisait-on croire.

J'ai effectué une recherche sur internet ces jours derniers et j'ai découvert un encart publicitaire dans un numéro de L'Art et la Mode(2), daté d'octobre 1945 : Victor Linton, colifichiste, 52, rue de Richelieu – Paris, "chez le bijoutier chic de votre ville", "ne vend pas à la clientèle particulière". Il utilisait des matières inattendues comme le rhodoïd, qui plaisaient aux couturiers de l'époque, Schiaparelli, Piguet ou Lanvin.

J'ai également appris qu'après la guerre, il découvrit Tourrettes-sur-Loup, y acheta une maison qu'il restaura et fut à l'origine de la fête des violettes, organisée chaque année par cette commune des Alpes-maritimes ! Mais revenons au portrait de ma mère. Les volumineuses boucles qui ornent ses oreilles sont certainement une création de Victor Linton.

Le portrait est signé en bas à gauche "Piaz, Paris". Nouvelle recherche : le studio de Teddy Piaz, 122, Champs-Élysées, comme il est indiqué au dos de l'épreuve, était plutôt spécialisé dans les portraits de personnalités, comédiens, chanteurs, acteurs de cinéma des années trente… Il est cité dans l'un des romans de Patrick Modiano, Villa triste. Le nom de Piaz est également associé à un certain nombre de 45 tours des années 1950 et 1960, à une époque où il était de bon ton de faire figurer le portrait de l'interprète sur la pochette de disque.

La photographie que nous avons sous les yeux me fait penser au style de l'un de ses concurrents, le studio Harcourt, en moins sophistiqué. Fond neutre vivement éclairé pour donner de la profondeur à l'ensemble, éclairage latéral pour modeler le visage, faible profondeur de champ pour masquer d'éventuelles imperfections de peau, mise au point sur les yeux, reflets sur l'iris et la pupille pour donner plus de vie au regard… Un seul regret : l'ombre du nez aurait pu être légèrement atténuée.

Il existe un autre portrait du même artiste, moins réussi à mon goût, où ma mère arbore ses lunettes rondes de myope à monture d'écaille.

Comme tous les enfants nés après la guerre, j'ai souvent entendu mes parents évoquer l'Occupation : les restrictions, les tickets de rationnement, le troc, la saccharine, les topinambours et les rutabagas cuits à l'eau, les coupures de courant, le couvre-feu, la Salamandre qui resta branchée sur la cheminée du salon jusqu'à la fin des années 1950… tout un vocabulaire qui aujourd'hui n'a plus cours et qui contribuait à dresser un tableau très sombre de cette période. À juste titre.

Et pourtant, ce portrait vient y apporter une touche lumineuse. L'espoir d'un monde meilleur, peut-être ?



(2) Sur le site des Éditions Jalou, L'Art et la Mode n°2706, octobre 1945, p.12