lundi 29 juin 2015

Exercice de paléographie facile

Je ne sais si vous connaissez Nuillé-sur-Vicoin ? Pour ma part, j'ai découvert l'existence de ce bourg (environ 1 200 habitants à l'heure actuelle) à l'occasion d'une alerte Geneanet : l'un de mes ancêtres à la douzième génération, Jacques Le Page ou Le Paige, y a vu le jour et y a été baptisé en mai 1622.

Nous sommes dans l'actuel département de la Mayenne, à une dizaine de kilomètres à vol d'oiseau au sud de Laval, à la frontière du Maine et de l'Anjou.

Comme je consultais les registres paroissiaux pour y rechercher l'acte de baptême, j'ai constaté qu'une main anonyme, dotée d'une écriture parfaitement lisible, avait pris soin d'établir un relevé en trois volumes des actes de baptême, de mariage et de sépulture pour les années, tenez-vous bien, de 1593 à 1710. Un remarquable outil pour les généalogistes amateurs qui, comme moi et en dépit des précieux conseils de Pierre-Valéry Archassal, peinent encore à déchiffrer les écritures anciennes !

Pour les baptêmes, par exemple, le document indique le prénom de l'enfant, les prénoms et noms des parents, ceux du parrain et de la marraine et, le cas échéant, la transcription de la signature, le tout servi comme sur un plateau. Presque trop facile…

Un texte un peu plus long laisse présager une mention insolite. Je ne résiste pas au plaisir de vous présenter celle-ci, à la date du 30 avril 1623 :

AD Mayenne E dépôt 125/E19 vue 70/198

"Pierre fils de Pierre Etienne Beuvron et de Anne Aubry
sa femme future. Le parrain a été Geofroy Aubry frère
de lad. Aubry et caution pour la décharge de l'enfant.
La marraine Julienne Jeudi. Led. enfant est né hors
mariage bien qu'il ait été engendré sous promesse et
faveur de mariage ainsi qu'ils ont fait à savoir. À la
suite desquelles led. Beuvron s'en est fui.
"

Sans commentaire !

Je ne suis pas sûre que j'aurais repéré cet acte dans sa forme originale :

AD Mayenne Mairie 1617-1667 vue 60/238

Notez au passage la curieuse façon d'écrire le chiffre 3 avant l'acte suivant. Il n'y a pourtant aucun doute, il s'agit bien de "May 1623".


Je me prends parfois à rêver… mais non, la paléographie fait partie du bagage indispensable à tout généalogiste. C'est une telle bouffée de plaisir, lorsque l'on déchiffre enfin les quelques mots qui résistaient jusque là à notre perspicacité !

lundi 22 juin 2015

Jean Antoine qui ?

Le 16 ventôse an V de la République une et indivisible ou, si vous préférez, le 6 mars 1797, vers dix heures du soir dans une maison de la grande rue de Peyrus, Jean Antoine pointe le bout de son nez.

La naissance de l'enfant n'est pas immédiatement déclarée à la mairie. Certes, le bourg est situé sur les contreforts du Vercors et nous sommes à la toute fin de l'hiver, mais je doute fort que les conditions météorologiques aient entravé les formalités à accomplir. L'obstacle est d'une autre nature. En effet, à cette date, Marie Nicolas, la mère du petit Jean Antoine, est mariée avec Pierre Roux depuis cinq ans, mais le bonhomme est absent depuis plusieurs années… Que faire ?

Près de trois mois s'écoulent. Le 29 mai à dix heures du matin, Marie Nicolas prend son courage à deux mains et se présente à la mairie, accompagnée de Jean Pierre Genilon, tailleur d'habits âgé de 28 ans, et de Jean François Gachon, tisserand de toile d'une soixantaine d'années. L'agent municipal rédige l'acte de naissance, indiquant au passage que Marie Nicolas est l'épouse "en légitime mariage de Pierre Roux volontaire ou employé dans les hôpitaux militaires depuis cinq à six ans". Bigre ! L'enfant est donc nommé Jean Antoine Roux. Marie, bien que sachant écrire, refuse de signer "pour raisons à elle connues".

Acte de naissance de Jean Antoine Morel
AD Drôme 1 Num 668 vue 9/157

Tout semble rentrer dans l'ordre l'année suivante : comme je l'ai narré dans un précédent billet, Marie Nicolas obtient le divorce le 6 juillet 1798 et épouse Antoine Morel douze jours après ; le couple reconnaît l'enfant dans l'acte de mariage. Le voici devenu Jean Antoine Morel. Du moins, le pense-t-on.

Le temps passe. D'autres enfants naissent : François Maurice (mon ancêtre direct) en 1800, Marie Victoire Emilie en 1803, Adelle Lucide en 1806.

En 1817, un mois avant son vingtième anniversaire, l'aîné de la fratrie, Jean Antoine, épouse Marie Sophie Blanc : les bans sont publiés les 26 janvier et 2 février, un contrat de mariage est rédigé le 29 janvier par Maître Eymard et le mariage est finalement célébré le 5 février. Il était temps ! La jeune épouse de 18 ans donne le jour à une petite Marie Sophie Alexandrine six jours plus tard !

Mais Jean Antoine vient de s'apercevoir qu'il figure dans les registres de l'état civil sous le nom de Jean Antoine Roux. Il est désigné dans tous les actes rédigés à l'occasion de son mariage comme étant le fils de Pierre Roux, et cela ne lui plaît pas.

Le 10 avril 1817, il assigne ses parents devant le tribunal civil de première instance de Valence afin qu'ils renouvèlent la reconnaissance de leur fils et que le tribunal ordonne la rectification des actes concernés. Un jugement en ce sens est prononcé le 15 avril et, après diverses formalités, un extrait du jugement remis au maire de Peyrus le 22 mai, afin que celui-ci procède aux rectifications demandées. L'acte de mariage, l'acte de naissance de l'enfant du jeune couple et même les actes de publication de bans sont modifiés, avec mention marginale faisant état du jugement. L'extrait du jugement est intégralement transcrit dans les registres.

Le texte commence par ces mots : "Louis par la grâce de Dieu Roi de France et de Navarre à tous présents et à venir faisons savoir…" Bref, Jean Antoine est considéré comme l'enfant légitime d'Antoine Morel et de Marie Nicolas et doit désormais être désigné sous ce seul patronyme.

Affaire close ? Non pas. Mais, en attendant, la vie continue. Jean Antoine exerce le métier de voiturier. Marie Sophie met au monde deux autres filles : Marie Zoé Morel en janvier 1819 et Rosalie Victorine Morel en avril 1821. Elle-même décède en août 1823, alors qu'elle n'avait que vingt-cinq ans ; fausse couche qui aurait mal tourné ? L'histoire ne le dit pas. Quoi qu'il en soit, courte vie !

Je n'ai aucune information sur les douze années suivantes. Jean Antoine a-t-il envisagé de se remarier ? C'est probable, sinon comment aurait-il constaté que son acte de naissance n'avait pas été rectifié, comme les autres documents ? L'affaire est portée devant le tribunal de Valence en juillet 1835. Les temps ont changé, le jugement commence ainsi : "Louis Philippe, Roi des Français, à tous présents et à venir, salut", mais la conclusion est la même. Il faut dire et écrire Jean Antoine Morel.

Je suis néanmoins surprise par les délais : le jugement est enregistré le 15 juillet 1835, une grosse en est délivrée à Jean Antoine le lendemain, mais il ne la présente au maire de Peyrus que le 30 décembre 1836, plus d'un an après la décision du tribunal. Auguste Bellon transcrit le texte dans les registres de l'état civil et date sa copie du 1er janvier 1837.

Ensuite ? Eh bien, le 4 juin 1838 à cinq heures du soir en la mairie de Tain-L'Hermitage, Jean Antoine Morel épouse en secondes noces Catherine Chatillon, une veuve de trente-cinq ans. À ma connaissance, le couple n'a pas d'enfant.


Jean Antoine aura finalement obtenu gain de cause, mais il s'est écoulé quand même trente-huit ans entre la première rédaction de son acte de naissance et sa rectification définitive !

lundi 15 juin 2015

Une affaire rondement menée

Les faits

Le 16 juin 1798, pardon le 28 prairial an VI, Marie Nicolas se présente devant Maître Bosc, notaire public à Peyrus (département de la Drôme), accompagnée de huit de ses voisins. Il s'agit d'établir un acte de notoriété selon lequel Pierre Roux, qu'elle a épousé le 31 janvier 1792, alors qu'elle n'avait que vingt ans, n'est pas reparu depuis plus de cinq ans ! Volatilisé, le bonhomme ! La petite troupe le dit, le certifie, l'atteste… et signe. Y compris la principale intéressée.

Signature de Marie Nicolas, au bas de l'acte de notoriété

Le lendemain, 17 juin 1798, Marie Nicolas va trouver François Couruol, adjoint municipal, pour lui demander de dissoudre son mariage. Mais il lui faut au préalable enregistrer l'acte de notoriété à Chabeuil, chef-lieu du canton : c'est chose faite le 20 juin. Il faut également avertir officiellement le mari absent : le dénommé Regnaud s'en charge le 26 juin, à son dernier domicile connu à Peyrus, sans résultat, évidemment.

Le 6 juillet, en présence de Marie Nicolas et de quatre témoins, François Couruol constate donc que Pierre Roux ne s'est pas présenté à la convocation à la date ni à l'heure fixées ; il prononce la dissolution du mariage. Il est intéressant de noter qu'il fait référence au contrat passé devant notaire, une semaine avant la bénédiction nuptiale, et non pas à la cérémonie religieuse proprement dite, inscrite dans le registre paroissial par le curé. Cérémonie à laquelle il avait d'ailleurs participé en tant que témoin.

Il commet en outre une erreur, qui échappe apparemment à toutes les personnes présentes, puisqu'il date l'acte notarié du "vingt-quatre janvier nonante trois", et non pas du 24 janvier 1792. Peu importe. Pierre Roux et Marie Nicolas sont désormais "libres de leur personne et de leurs biens".

Douze jours plus tard, le 18 juillet à l'heure de midi, le même François Couruol, à nouveau sollicité, publie les bans du futur mariage entre Antoine Morel et Marie Nicolas et fait afficher la publication à l'arbre de la liberté ! Tiens, donc.

Enfin, le 22 juillet à neuf heures du soir, c'est-à-dire six jours après la publication des bans et non pas huit comme le prévoit pourtant le décret, mais nous n'en sommes pas à une erreur près, "Antoine Morel et Marie Nicolas sont unis en mariage", devant témoins. Ils en profitent pour reconnaître Jean Antoine, né seize mois plus tôt, comme leur enfant légitime. J'y reviendrai, c'est une affaire à rebondissements.

Cinq semaines se sont écoulées entre la rédaction de l'acte de notoriété nécessaire au divorce et le remariage de Marie Nicolas. Une affaire rondement menée !

Un peu d'histoire

C'est une loi du 20 septembre 1792 qui a introduit en France la possibilité de dissoudre le mariage par un divorce. Outre le consentement mutuel ou l'incompatibilité d'humeur et de caractère alléguée par l'un des époux, sept motifs peuvent être invoqués :
  • La démence, la folie ou la fureur,
  • La condamnation d'un des époux à une peine afflictive ou infamante,
  • Des sévices ou mauvais traitements,
  • Le dérèglement notoire des mœurs,
  • L'abandon depuis deux ans au moins,
  • L'absence d'un des époux, sans nouvelle depuis cinq ans au moins,
  • L'émigration. 

C'est donc sur le motif d'absence, sans nouvelle depuis cinq ans au moins, que s'est appuyée Marie Nicolas pour demander le divorce. Un rapide calcul me conduit à penser que Pierre Roux a sans doute quitté Peyrus fin 1792 ou début 1793, dans l'année qui a suivi son mariage : volontaire dans les armées de la République ? c'est plus ou moins évoqué dans l'acte de naissance de Jean Antoine, mais je n'ai pas encore eu le temps de creuser la question.

Les recherches dans les archives numérisées de la Drôme

Marie Nicolas n'est autre que la mère de François Morel, dont j'ai déjà parlé à plusieurs reprises(1). Elle fait partie de mes ancêtres à la sixième génération, du côté maternel (Sosa 53).

J'ai rencontré son nom pour la première fois dans l'acte de naissance de François Morel, daté du premier frimaire an IX, transmis par un bénévole de l'entraide FranceGenWeb, à mes débuts en généalogie.

J'ai pu pousser plus loin les recherches dès que les archives de la Drôme ont été mises en ligne. Avec un seul hic : pas de registres d'état civil, tout du moins pour Peyrus, avant l'an XI, seules les tables décennales étaient disponibles. Donc pas d'acte de mariage, ni d'acte de naissance pour les années 1793 à 1802, seulement des dates…

Et puis, j'ai eu l'idée d'un billet sur Jean Antoine Morel, le frère aîné de François (qui s'est d'abord appelé Jean Antoine Roux), et j'ai voulu vérifier deux ou trois trucs. Et là, bingo ! J'ai découvert que le site s'était enrichi à mon insu ; de nouveaux registres avaient été numérisés ; au détour d'une page, j'ai lu l'acte de divorce de Marie Nicolas et comme c'était mon jour de chance, l'acte de notoriété rédigé par le notaire était resté intercalé entre les feuilles du registre. J'ai également trouvé les bans et l'acte de mariage qui me manquaient. D'où ce billet, en attendant celui initialement prévu.

lundi 8 juin 2015

Trois mariages en trois ans

À parcourir avec assiduité les registres des paroisses de l'Anjou, je découvre parfois des ancêtres qui ne laissent pas de me surprendre. Françoise Baudouin fait partie de ces personnages qui méritent une mention spéciale.

Acte de baptême de Françoise Baudouin
AD Maine-et-Loire, Villemoisan 1636-1674 vue 30/178

Baptisée dans l'église de Villemoisan le 21 novembre 1645, elle est l'un des derniers enfants du couple formé par René Baudouin et Jehanne Michel, dans une famille où j'ai dénombré la naissance de treize enfants, entre 1623 et 1649, sans être tout à fait sûre d'avoir fait le tour de la question. La mère avait quinze ans lors de son mariage en 1620, quarante ans lors du baptême de Françoise, et une petite Renée pointera encore le bout de son nez trois ans plus tard.

Mais revenons à mon ancêtre à la douzième génération, Françoise Baudouin. Elle épouse Jehan Mengeard en l'église Saint-Aubin du Louroux-Béconnais le 16 novembre 1660, quelques jours avant son quinzième anniversaire. L'année suivante lui est pour le moins fertile en émotions. Sa mère, Jehanne Michel, sans doute épuisée par ses nombreuses grossesses et par la dureté des temps, est enterrée dans le cimetière de Villemoisan le 20 octobre 1661. Elle avait cinquante-six ans. Le premier enfant de Françoise, Pierre, est porté sur les fonts baptismaux de l'église du Louroux le 31 octobre. Enfin l'époux de Françoise est inhumé au grand cimetière le 2 décembre suivant.

Moins de deux mois plus tard, le dernier jour de janvier 1662, la très jeune veuve, seize ans à peine, épouse Pierre Gaultier, toujours au Louroux-Béconnais. Le couple s'est sans doute installé à Saint-Sigismond, car c'est là que René voit le jour en avril 1663… et c'est là qu'est porté en terre Pierre Gaultier le 30 mai de la même année !

Troisième mariage pour Françoise Baudouin dès le 25 septembre suivant, dans la paroisse de Saint-Sigismond, avec Olivier Foucher. Elle a dix-sept ans et elle est déjà deux fois veuve. Très vite, les grossesses et les naissances se succèdent, au moins sept entre novembre 1664 et février 1682, à Saint-Sigismond pour les cinq premières, à Villemoisan pour les suivantes.

Françoise Baudouin a cinquante-six ans lorsque son dernier mari décède en avril 1702. Cette fois, le mariage aura duré presque trente-neuf ans. Un record pour Françoise, qui survivra onze ans à son troisième époux, avant de rendre son dernier souffle le 17 avril 1713. Elle avait alors soixante-sept ans.

Un peu surprise par les décès si rapprochés des premiers maris de Françoise Baudouin et en l'absence d'information sur leur âge, je me suis reportée au livre de Thierry Sabot(1). La page consacrée aux années 1660 à 1664 indique des récoltes catastrophiques suivies d'une grande famine et d'une baisse significative de la population. Françoise Baudouin était sans doute de santé plus robuste que ses conjoints successifs, d'autant qu'après neuf ou dix accouchements (la chose n'est pas très claire), elle survivra également aux années de misère de la fin du règne de Louis XIV et aux rigueurs du "grand hyver" de 1709.

Françoise Baudouin, une femme ordinaire mais néanmoins remarquable.




(1) Thierry Sabot, Contexte, guide chrono-thématique, Editions Thisa, 2007, 224 pages

lundi 1 juin 2015

L'affaire de la procession des Rogations (2)

Je vous contais ici même, la semaine dernière, l'échauffourée qui eut lieu au Louroux-Béconnais, le 13 mai 1681, à l'occasion de la procession des Rogations, et la longue bataille judiciaire qui s'ensuivit entre le curé, René Serezin, et l'un de ses paroissiens plutôt soupe-au-lait, François de la Grange.

Permettez-moi d'y revenir aujourd'hui. Je vous fais grâce du texte original, que vous pouvez trouver dans les registres paroissiaux  (AD Maine-et-Loire, Louroux-Béconnais BMS 1674-1683, vues 206 à 208/266, 226/266, 231 à 234/266). Il représente une quinzaine de pages et comprend ce que le curé du Louroux considère comme les trois pièces maîtresses de l'affaire : la plainte qu'il a déposée, le monitoire émis par l'évêque d'Angers et l'arrêt des messieurs de la Tournelle. Mais au cas où, poussés par la curiosité, vous vous reporteriez au registre dans lequel je l'ai déniché, voici quelques explications complémentaires.

Commençons par les Rogations. De quoi s'agit-il ? Des trois jours (lundi, mardi, mercredi) qui précèdent l'Ascension et qui, depuis le Ve siècle, correspondent dans le culte catholique à une période de prières et de processions. Pour attirer la bénédiction divine sur les animaux et les récoltes, dixit le Petit Larousse illustré. Comme souvent dans la religion chrétienne, ce rite reprend une tradition païenne, en l'occurrence la fête romaine des Robigalia, qui précédait les calendes de mai.

Continuons par la croix et la bannière. L'expression est passée dans le langage courant pour indiquer de grandes complications ou de grandes difficultés à obtenir un résultat. Elle fait directement référence aux processions organisées suivant un protocole rigoureux : la croix est brandie en tête du cortège, suivie d'une ou de plusieurs bannières, qui représentent la Vierge, les saints, les confréries et les paroisses, et il s'agit de respecter un certain ordre sans froisser les susceptibilités toujours promptes à s'enflammer. Quasi impossible !

Bannière photographiée dans une église d'Avranches,
collection personnelle

Un peu de vocabulaire juridique, maintenant.

Le monitoire est une demande adressée par une autorité ecclésiastique à des personnes qui ont connaissance d'un fait pour les obliger à témoigner, sous peine d'excommunication en cas de dérobade. Bigre !

Le récolement, que l'on peut comprendre comme la vérification des pièces d'un inventaire, des objets d'une collection, d'une bibliothèque ou d'un fonds documentaire, est en droit de l'Ancien Régime la réitération des témoignages. Vous savez, cette insistance des enquêteurs à poser encore et encore les mêmes questions, comme dans les séries télévisées…

Le décret d'ajournement personnel, dont François de la Grange fait l'objet en mai 1681 de la part du lieutenant général criminel d'Angers, est défini par l'Encyclopédie (celle de d'Alembert et de Diderot) en ces termes : "Jugement rendu en matière criminelle contre l'accusé, qui le condamne à comparoître en personne devant le juge pour être ouï et interrogé sur les faits résultant des charges et informations et autres sur lesquels le ministère public voudra le faire interroger, et pour répondre à ses conclusions". Un mandat de comparution, donc.

La sentence prononcée le 12 juillet 1681 par le lieutenant criminel d'Angers (encore lui), portant règlement à l'extraordinaire, renvoie aux différentes étapes de la procédure criminelle. Celle-ci est décrite de la façon suivante dans le Dictionnaire de l'Ancien Régime :

  • L'action publique peut être mise en mouvement par une plainte de la victime, une dénonciation auprès du ministère public, voire d'office par le juge lui-même ;
  • Le premier degré de l'instruction est constitué par les procès-verbaux du juge, les rapports des médecins et des chirurgiens, les monitoires de l'autorité ecclésiastique, l'interrogatoire de l'accusé, etc., et peut aboutir soit à un jugement qui clôt l'affaire, soit à une sentence de règlement à l'extraordinaire ;
  • Le deuxième degré de l'instruction, ou instruction à l'extraordinaire, comprend les récolements et les confrontations, pour tenter d'aboutir à des "preuves pleines" qui, seules, permettent aux juges de prononcer une condamnation ;
  • La dernière étape est constituée par l'audition du juge rapporteur, la lecture de toutes les pièces du procès, les conclusions de la partie publique et le prononcé du jugement.


L'expression "l'affaire est dans le sac" est directement inspirée de cet univers des gens de robe. Sous l'Ancien Régime, une fois l'instruction achevée, les pièces du procès étaient réunies dans de grands sacs de toile et de cuir (pour éviter qu'elles ne s'échappent de dossiers mal ficelés, comme de nos jours ?).

Vieux papiers, source PhotoPin

En février 1682, François de la Grange dépose à nouveau plainte devant le lieutenant criminel d'Angers, pour une sombre affaire de coups de feu qui auraient été tirés sur lui depuis le presbytère, ce qui déclenche une nouvelle collecte d'informations. La chambre de la Tournelle précise dans son arrêt avoir ordonné que "les dites informations seraient mises dans un sac à part et jointes à l'instance".


En guise de conclusion sur l'ensemble de l'affaire, je vous indiquerai que, quelques années plus tard, en juillet 1688, le sieur François de la Grange maria sa fille Marie Marguerite à Claude d'Aubigny, chevalier, seigneur de Boisrobert, dans l'église du Louroux-Béconnais.  La bénédiction nuptiale fut donnée par le curé de la paroisse voisine de Bécon-les-Granits, en l'absence fort opportune de René Serezin : l'animosité entre les deux personnages n'était sans doute pas tout à fait éteinte.