lundi 29 mai 2017

Histoires de textiles

J'ai consacré ces jours derniers à mes ancêtres Déodat. Non sans difficulté, comme vous allez le voir. L'occasion d'une escapade virtuelle au pied des Pyrénées, pour en apprendre davantage sur la ville de Nay (prononcez "Naille") et découvrir le métier de laneficier.

Un parcours semé d'embûches

Jeanne Déodat (1819-1894) fait partie de mes ancêtres à la cinquième génération : elle n'est autre que la mère de mon arrière-grand-père Théodore Fourcade.

J'ai réussi à remonter sa lignée paternelle sur quatre générations, en cherchant de manière très classique les baptêmes, les mariages et les sépultures, et en tentant de reconstituer les fratries complètes issues de chaque couple. Mais le parcours s'apparente plus ou moins à une course d'obstacles !

Première difficulté, les variantes orthographiques et cette manie béarnaise de mélanger patronymes et noms de maisons. Je l'avais déjà évoqué dans un précédent billet(1), mais si je parviens à comprendre la logique de cet usage en milieu rural, où prime la propriété agricole, j'ai plus de mal à l'admettre en ville, chez les artisans et les marchands. Comment être sûre que cette Jeanne Daima et cette Jeanne Cassou ne sont bien qu'une seule et même personne ?

Deuxième difficulté, les registres paroissiaux de Nay. Est-ce la mauvaise qualité du papier, celle de la plume ou celle de l'encre, toujours est-il que de nombreuses pages sont quasiment illisibles : on dirait le travail bâclé d'un mauvais écolier, à grands renforts de surcharges et de pâtés ! Bref, rien qui incite à feuilleter patiemment les registres dans l'espoir d'y dénicher la pièce qui manque dans le puzzle familial.

AD 64 Nay BMS 1763-1772 vue 15/503

Troisième difficulté, celle-ci imputable directement à mes ancêtres, leur manque d'imagination dans l'attribution des prénoms : sur la trentaine d'individus identifiés, plus des trois quarts sont prénommés Jean, Jeanne, Pierre, Catherine ou Bertrand. Souvent dans la même fratrie. Alors ce Jean qui se marie, sans autre précision sur son âge que la mention "mineur", est-ce l'aîné ou le cadet ou même un troisième qui n'avait pas encore pointé le bout de son nez ?

Et ne croyez pas que les choses s'arrangent au XIXe siècle. Si les actes de décès indiquent parfois que le défunt est veuf, ils n'en indiquent pas pour autant le nom du conjoint ! Alors ce Jean qui décède… même doute sur son identité.

Mais assez râlé, passons aux découvertes.

Une bastide sur les bords du gave

La ville de Nay est une bastide(2) créée à l'aube du XIVe siècle, sur la rive gauche du gave de Pau, à proximité d'un gué. Son plan en damier est organisé autour d'une place centrale rectangulaire de vastes dimensions, bordée d'arcades, où se tient le marché.

Sa vocation, avant tout commerciale, est renforcée par la création d'une manufacture royale de draperies et de teinturerie vers 1558. En dépit des aléas (incendies, guerres de religion, bouleversements économiques…), la tradition textile y perdurera jusqu'à nos jours(3), à partir de deux matières premières : le lin, cultivé dans la plaine aux abords du gave, et la laine, fournie par les moutons élevés dans les contreforts pyrénéens.

Troupeau de moutons au sommet d'un col pyrénéen, collection personnelle

Ici comme ailleurs, le travail de la laine fut d'abord une activité domestique. L'hiver, lorsque les activités agricoles ne mobilisent plus tous les membres de la famille, les enfants et les vieillards cardent la laine pour la débarrasser de ses impuretés et en démêler les fibres, les femmes filent ou tricotent et les hommes tissent des étoffes de drap.

Selon leur qualité, le nombre de fils et la nature de la trame, ces étoffes sont appelées burats, cadis, cordelats, droguets, serges ou rases. Elles servent à confectionner des vêtements, plus robustes que raffinés.

Les marchés locaux, comme la ville de Nay, centralisaient la production de la campagne environnante. Dans le Béarn, les marchands-fabricants de laine étaient appelés des "laneficiers". Ancêtres directs, parrains, gendres ou témoins, j'en ai une bonne dizaine dans ma base de données.

Mes ancêtres Déodat

Jean Déodat a épousé Jeanne Daima à Nay en septembre 1723. Lui était originaire de Labatut-Rivière, une paroisse sur les bords de l'Adour, aux confins du Béarn, de la Bigorre et de l'Armagnac ; elle venait de Bayonne, sur les bords de l'Adour également, mais du côté de son embouchure. Tous deux habitaient dans le diocèse de Nay depuis plusieurs années, nous dit l'acte de mariage. Quelle nécessité les a poussés à franchir ainsi plusieurs dizaines de lieues ? Comment savoir ?

Aucune information sur leur métier, les actes de baptême de leurs six enfants restent muets sur ce sujet. L'un de leurs fils, Bertrand Déodat, né en 1727, est le premier à être qualifié tantôt de laneficier, tantôt de teinturier. Les deux générations suivantes fournissent également des apprêteurs(4), des tondeurs et un valet de ville(5).

Jusqu'à Jeanne, qui était tricoteuse à Clarac, un faubourg de Nay situé sur l'autre rive du gave. En 1851, elle a déjà trente-et-un ans lorsqu'elle épouse un garçon d'écurie de vingt-neuf ans. Il s'appelait Gabriel Fourcade et il était originaire d'Aucun (Hautes-Pyrénées). Ensemble, ils migreront vers Pau à une date que j'ai encore du mal à établir, mais que je situe entre 1860 et 1870.

Et leur fils Théodore, mon arrière-grand-père, vendra des toiles de Béarn dans sa chemiserie de la rue des Arts, à Pau, mais ceci est une autre histoire.





(1) Voir le billet intitulé "Des ancêtres qui donnent du fil à retordre", publié le 13 juillet 2015.

(2) Le terme de bastide n'a pas ici le sens de maison comme en Provence, mais celui de ville neuve créée en vertu d'un acte fondateur, attesté par des documents de nature juridique. Sur les bastides pyrénéennes, voir le site Bastides 64, qui explique leur création, leur intérêt et passe en revue une quinzaine d'entre elles dans le département des Pyrénées-Atlantiques.

(3) La ville abrite aujourd'hui le Musée du Béret (que certains appellent basque, mais qui serait plutôt béarnais, donc).

(4) Apprêteur ou catisseur : personne chargée de passer un apprêt sur un tissu pour lui donner un aspect lustré ou brillant.

(5) Valet de ville : personne employée par la municipalité.

lundi 22 mai 2017

Un billet en forme de devinette

Quel lien entre la Ceinture de la Vierge, Louis XI et mes ancêtres Maitreau ? Peut-être une paroisse située aux confins de l'Anjou et du Poitou, où je me suis rendue récemment : le Puy-Notre-Dame.

La Ceinture de la Vierge

Il s'agit, selon la légende, d'une relique rapportée de Palestine par Guillaume(1), duc d'Aquitaine, au temps des premières Croisades. Celui-ci en fit don au prieuré du Puy-Notre-Dame pour l'offrir à la vénération des fidèles.

Est-ce l'afflux des pèlerins ? L'église primitive fut remplacée au XIIIe siècle par un édifice autrement plus imposant : trois nefs de six travées, sur une longueur de cinquante mètres et une largeur de quinze mètres, un transept, une abside à chevet plat, le bâtiment construit sur une colline domine la campagne environnante.

La relique avait acquis la réputation d'être bénéfique pour les femmes enceintes. Elle fut notamment prêtée à plusieurs reprises à l'épouse de Louis XIII, Anne d'Autriche, qui peinait à donner un héritier au trône de France.

Ceinture de la Vierge du Puy-Notre-Dame
Collection personnelle

Les reliquaires en métaux précieux dans lesquels elle était conservée ont disparu avec l'Ancien Régime, mais elle est toujours visible aujourd'hui dans une vitrine de la collégiale. Longue d'un mètre soixante et large de quatre centimètres, protégée par un fourreau de soie, la ceinture est en réalité dissimulée au regard. Seuls deux cabochons de cristal, offerts par Anne d'Autriche, permettent à un œil exercé de l'apercevoir. L'ensemble est complété par des fermaux(2) en vermeil, gravés en 1537 par un orfèvre de Saumur.

Un collège de chanoines fondé par Louis XI

L'occasion pour moi d'en apprendre davantage sur ces chanoines que l'on rencontre souvent au détour d'une page, sans trop connaître leur véritable rôle dans la religion catholique.

C'est en 1481 que Louis XI dicta le texte qui commence ainsi :

"À tous présens et à venir salut. Comme par cy-devant nous avons fait, fondé, donné, légué et ausmoné à l'église du Puy Notre Dame en Anjou ou diocèse de Poictiers plusieurs beaulx dons d'or, d'argent, droits, devoirs, privilèges, libertés, prérogatives, rentes, proufits, revenus et émolumens pour le soustenement, augmentation et accroissement du divin service fait, dit et célébré en ladite église par certain nombre de gens d'église que nous y avons pour ce dès longtemps ordonnés et establis et jusques à présent Dieu nostre créateur et la très benoiste et très glorieuse Vierge Marie sa mère y ont été très glorieusement et dévotement servis, loués et honorés…"

Après cette entrée en matière qui, dans le style de l'époque, ne craint ni l'emphase ni les répétitions et se poursuit sur plusieurs dizaines de lignes, il en vient enfin au vif du sujet :

"C'est à scavoir que en ladicte église du Puy Nostre Dame y aura dès à présent et doresnavant treize chanoines, tous estans en l'estat et ordre de prestrise, treize vicaires et ung maistre et six enfans de cueur."

Louis XI nomme les premiers titulaires et précise par le menu leurs diverses obligations : messe basse quotidienne en l'honneur de divers saints, récitation de psaumes, service des heures canoniales (matines, prime, tierce, midi, none, vêpres et complies), chant au cours des grand-messes et fêtes solennelles, et jusqu'à leur place dans les stalles qui entourent le maître-autel… Il en prévoit également le financement. Le tout pour le salut du roi, de ses prédécesseurs et de ses successeurs, car c'est à cela que servaient finalement les chanoines d'un collège royal.

Mes ancêtres Maitreau

Et les Maitreau dans tout ça ? Bien sûr, je ne remonte pas aussi loin. Mes recherches généalogiques butent sur l'absence de registres, leur mauvais état de conservation, les lacunes qu'ils comportent, sans parler des difficultés à en déchiffrer les actes. Tout ce que je puis dire, c'est que j'y relève le patronyme Maitreau dans ses différentes variantes orthographiques dès l'année 1625, à une époque où la paroisse ne devait compter que quelques centaines d'âmes.

Néanmoins, au début du XVIIIe siècle, l'un des chanoines s'appelait René Mestreau. Difficile de savoir s'il est apparenté à mes ancêtres directs, mais il officie à plusieurs reprises lors des baptêmes et figure à ce titre dans ma base de données. Et son nom est curieusement mêlé à l'histoire de la Ceinture de la Vierge.

Lorsque la restauration de l'enveloppe de protection fut confiée aux religieuses du couvent des Récollets de Doué-la-Fontaine, sous le Second Empire, on découvrit deux morceaux de papier. Le premier(3) portait cette inscription :

"Le 3 août 1720, la couverture de damas blanc a été mise sur la Sainte Ceinture, en présence de M. René Mestreau, chanoine et sacristain de Sainte-Marguerite, et de M. Michel Loiseau, chanoine de Saint-Blaise."

Deux religieux dont la signature figure à moult reprises dans les registres paroissiaux du Puy-Notre-Dame.

Je n'imaginais pas, lors de mon escapade dans le sud du Maine-et-Loire, une telle rencontre avec l'Histoire.



Sources

Odile Métais-thoreau, Le Puy Notre-Dame, Cheminements, 2000, 245 pages, ISBN 2-84478-132-2

Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789, par MM. Isambert, avocat aux Conseils du Roi et à la Cour de Cassation, Jourdan, docteur en droit, avocat à la Cour royale de Paris et Decrusy, ancien avocat à la Cour royale de Paris, Belin-Leprieur, libraire, et Verdière, libraire, 1825, Tome X, pages 834 à 845

G. de la Fuye, La Ceinture de la Vierge du Puy Notre Dame, in Société des lettres, sciences et arts du Saumurois, 1959, pages 21 à 35

Et sur la toile :






(1) Guillaume IX, dit le Troubadour, guerrier, poète et grand-père d'Aliénor d'Aquitaine ; né en 1071 et mort en 1127.

(2) Fermail : objet d'orfèvrerie (boucle, agrafe, fermoir, etc.) servant à tenir qqch fermé, nous dit le Petit Larousse illustré, avec son imparable logique.

(3) Le second papier est plus surprenant, dans la mesure où il indique la restitution de deux morceaux de la relique, précédemment dérobés !

lundi 15 mai 2017

La mort violente de François Maitreau

L'un des acquéreurs de la métairie des Rochettes, François Maitreau, est un des mes ancêtres à la sixième génération.

Une courte biographie

Fils de Joseph Maitreau et d'Anne Coulbault, il avait été porté sur les fonts baptismaux de l'église de Concourson le 19 février 1746. Son parrain, Urbain Réveillé, était un de ses oncles du côté paternel et sa marraine, Claudine Guittière, était sa grand-mère maternelle. Jusque là, rien que de très classique.

François épouse à vingt-et-un ans, le mardi 14 juillet 1767 (non, ce n'était pas encore un jour férié), la jeune Marie Bernier, qui aura seize ans la semaine suivante. Dix enfants vont naître de cette union, de juillet 1769 à juin 1790, quatre garçons et six filles. Trois d'entre eux meurent en bas âge, les sept autres atteignent l'âge adulte et se marient à leur tour, certains plusieurs fois. Tous ceux-ci vivront le difficile passage de l'Ancien Régime au XIXe siècle…

Marie Bernier, née sous le règne de Louis XV, décède en août 1826, sous celui de Charles X, à l'âge de soixante-quinze ans, après avoir connu le règne de Louis XVI, la Révolution, le Premier Empire et la Restauration. Mais qu'en est-il de son époux François Maitreau ?

La disparition de François Maitreau

Il est présent au mariage de sa fille Anne en juillet 1793, à Saint-Pierre-des-Verchers. Mais quelques années plus tard, lors des noces de sa fille Jeanne en février 1797 dans la même commune, son épouse signe "Marie Bernier veuve Maitreau".

C'est dans l'acte de mariage de son fils André, en juin 1806 à Concourson, que je vais dénicher une information plus précise. J'y lis la mention suivante : "fils majeur de défunt François Maitreau décédé le 21 nivôse an II en la commune de Coron". Il serait donc mort le 10 janvier 1794.

Las, les tables décennales de Coron, comme celles de la plupart des communes du Maine-et-Loire, ne commencent qu'en l'an XI, c'est-à-dire en 1802 ! Les registres paroissiaux de Coron s'arrêtent en 1791. Les registres d'état civil prennent le relais ; mais s'ils commencent bien en 1792, ils comportent néanmoins des lacunes importantes : aucun acte entre décembre 1792 et mars 1797, soit plus de quatre années manquantes !

Faut-il rappeler que la région a connu pendant cette période les affrontements sanglants entre républicains et royalistes, avec leur cortège de saccages, d'incendies et de destructions de toutes sortes ? Sans parler du passage des colonnes infernales du général Turreau…

L'acte de notoriété

J'en avais fait mon deuil, si je puis dire, lorsque, feuilletant le registre de Coron pour quelque obscure raison qui m'échappe aujourd'hui (je ne tenais pas de journal de recherches à l'époque), je tombai sur une double page.

AD Maine-et-Loire Coron NMD 1792-AN X vue 49/174

Le texte commence ainsi :

"Aujourd'huy le vingt floréal de l'an cinq
de la République une et indivisible à
dix heures du matin,
pardevant moy Jean Baptiste Duval
agent municipal de la commune de Coron
élu le premier germinal dernier pour
recevoir les actes destinés à constater les
naissances mariages et décès des citoiens ;
sont comparus les citoiens André Maitreau
et Anne Maitreau femme Renard…
"

Nous y voilà ! Nous sommes le 9 mai 1797. Anne et son frère André sont accompagnés de trois témoins, habitants de Coron : Charles Maret, maçon de soixante-deux ans, son fils Charles, vingt-et-un ans, et Pierre Serisier, tisserand, le seul des trois capable de signer. La suite du texte explique leur présence (je respecte l'orthographe du scripteur) :

"… le vingt un nivose de l'an deux, sur
les deux heures de l'après midy ils ont été
instruits par la clameur publique qu'il gissait
un cadavre sur la routte de Coron à Vezins
près le petit bois de la Roche, alors s'y
étant transportés, ils ont reconnus que c'était
le corps du dit citoien François Maitreau
père des dits André Maitreau et Anne Maitreau
femme Renard
…"

Quelques lignes plus loin :

"et ont reconnus qu'il avait été atteint
d'une balle dans l'œil gauche qui
luy a sorti par l'oreille droitte
qu'il a receu par les insurgés de la Vendée."

François Maitreau avait quarante-sept ans, lorsque son existence fut ainsi brutalement interrompue.

Dans un premier temps, j'avais cru comprendre qu'Anne Maitreau et son jeune frère André, à l'époque âgé de huit ans, s'étaient rendus sur les lieux pour y reconnaître le corps de leur père. Mais une lecture plus attentive de leurs fiches respectives dans ma base de données me fait changer d'avis.

Le matin de ce funeste 10 janvier 1794 (le vingt-et-un nivôse an II si vous préférez), Anne était en train d'accoucher à l'Auvernière, commune de Concourson, à plus de vingt kilomètres des lieux du drame…

Et maintenant ?

Bon, j'ai trouvé l'acte de notoriété relatant le décès de mon ancêtre. Mais plusieurs questions demeurent, pour lesquelles je n'ai pas de réponse à ce jour :
  • Que faisait François Maitreau sur la route de Coron à Vezins le 10 janvier 1794, en pleine guerre civile ? 
  • Qui l'a formellement identifié ? les Maret père et fils et le citoyen Pierre Serisier ? mais alors, comment le connaissaient-ils ?
  • Quand et comment Marie Bernier a-t-elle été informée du décès de son époux ?
  • S'agit-il d'une balle perdue, d'un acte destiné à interdire la circulation sur cette route ce jour-là ou d'une volonté délibérée de tuer mon ancêtre François Maitreau ?
  • L'affaire est-elle liée à ses opinions politiques, à l'acquisition d'un bien national (la métairie des Rochettes), ou à toute autre cause qui m'échappe ?
  • Pourquoi Anne et son frère éprouvent-ils soudain le besoin, en mai 1797, plus de trois ans après les faits, de faire entériner le décès de leur père ? serait-ce lié à une question de succession et d'héritage ?

 Comme souvent, lors de recherches généalogiques, la découverte d'un document peut être à l'origine d'investigations plus poussées. Affaire à suivre ? pour l'instant, je n'ai pas la réponse.

lundi 8 mai 2017

La métairie des Rochettes, 3e épisode : les protagonistes

Combien de personnes présentes lors de l'adjudication des Rochettes ? Dans la salle où va se dérouler la vente de biens nationaux du district de Vihiers, le 11 février 1791, plusieurs protagonistes se font remarquer.

Signatures au bas de l'acte d'adjudication des Rochettes
AD Maine-et-Loire 1 Q 501

François Armand Vollaige, tout d'abord, est là en tant que "administrateur du département et commissaire nommé en cette partie, pour représenter M. le Procureur général syndic du département de Maine-et-Loire(1)". Une recherche sur les différents sites de généalogie accessibles sur la toile m'en apprend davantage sur le personnage. Fils de François Vollaige, écuyer, seigneur de Verdigny et de Chavagnes, et de Marie Anne Boussicault, il fut baptisé le 28 janvier 1742 en la paroisse Saint-Maurille d'Angers.

Présent aux épousailles de son cousin germain, Armand René Vollaige de Vaugiraud, à Daon (Mayenne) en septembre 1777, il  est alors qualifié d'écuyer, seigneur de Chavagnes, conseiller du roi et auditeur en sa chambre des comptes de Bretagne, et signe "Vollaige de Chavagnes" au bas de l'acte de mariage. Il parviendra, semble-t-il, à traverser sans encombre la période trouble de la Révolution et s'éteindra en octobre 1824 à quatre-vingt-deux ans, dans la commune de Chavagnes-les-Eaux, dont il était maire depuis le 1er messidor an VIII(2).

Honoré Borit et François Cognée, ensuite, sont les commissaires nommés par la municipalité de Concourson pour procéder à l'adjudication des biens nationaux. Il me semblait les avoir déjà croisés lors de mes recherches généalogiques et avoir lu leurs signatures au bas de certains actes.

Effectivement, Honoré Borit était greffier de l'assemblée paroissiale de Concourson, élue en septembre 1787, dans laquelle siégeaient mes ancêtres François Maitreau et René Richard Duchatellier(3). Il sera témoin, lors du mariage de la plus jeune fille de François Maitreau, Jacquine, en avril 1813. Mais nous n'en sommes pas encore là.

J'ai plus de difficulté à identifier François Cognée, parmi les six ou sept qui figurent dans ma base de données, mais je penche pour celui qui épousa Louise Beaumont à Nueil-sur-Layon en janvier 1777 et qui avait une quarantaine d'années lors de la vente qui nous intéresse. Sa signature a pu évoluer au fil des années, mais le tracé malhabile des lettres se répète d'acte en acte.

François Maitreau et René Baumont sont les deux acquéreurs. Le premier est mon ancêtre direct à la sixième génération. Époux de Marie Bernier, père de dix enfants dont sept atteindront l'âge adulte, il a quarante-cinq ans au moment où il achète les Rochettes, mais il ne sait pas qu'il lui reste à peine trois ans à vivre, avant d'être abattu d'une balle en pleine tête sur la route de Coron à Vezins, en janvier 1794. Cette mort violente, attribuée aux "insurgés de la Vendée", a-t-elle un lien avec l'acquisition d'un bien national ? Peut-être.

René Baumont m'a donné plus de fil à retordre. Parmi ceux qui figurent dans ma base de données, trois d'entre eux au moins pouvaient prétendre être l'associé de mon ancêtre dans cette affaire. Il m'a fallu examiner plusieurs actes de mariage, pour y repérer enfin cette façon particulière d'imbriquer le R et le B dans la signature. Plus de doute possible : il s'agit de René Joseph Baumont, époux de Marie Anne Renée Turpault, qu'il a épousée aux Aubiers quelques années auparavant.

Il a trente-trois ans révolus au moment de l'achat des Rochettes et demeure à Saint-Georges-Châtelaison, après avoir résidé à Nueil-sous-Passavant durant les premières années de son mariage. Il en sera même un temps maire et procureur syndic, lorsque la commune aura troqué son ancien toponyme contre celui plus révolutionnaire de Georges-les-Mines ! Mais je perds sa trace au printemps 1797… pour le voir réapparaître lors du mariage de son fils Félix à Doué-la-Fontaine en 1822. Est-ce lui qui décède en février 1828 à Saint-Georges-Châtelaison ?

D'autres signatures apparaissent au bas du procès-verbal d'adjudication, mais les personnages n'étant pas cités dans le corps de l'acte, il m'est plus difficile de les identifier.




(1) Institué par l'Assemblée constituante en décembre 1789, le procureur général syndic d'un département est élu pour quatre ans, pour assister aux assemblées générales de l'administration du département, où il n'a que voix consultative. Sorte d'interface entre le pouvoir central et l'administration locale, dirions-nous aujourd'hui. Poste supprimé par la Convention et remplacé par des agents nationaux.

(2) Soit le 8 juin  1800.

(3) Voir le billet intitulé Une élection sous l'Ancien Régime, publié le 12 août 2013.

lundi 1 mai 2017

La métairie des Rochettes, 2e épisode : la vente

J'ai brièvement évoqué le sujet la semaine dernière, j'y reviens plus en détail aujourd'hui.

Quelques mots, tout d'abord, sur la vente des biens nationaux. Il est d'usage de distinguer :
  • Les biens du clergé[1], dits de première origine, vendus en exécution des décrets de mai et juillet 1790,
  • Les biens des émigrés, dits de deuxième origine, visés quant à eux par les décrets de septembre 1792 et juin 1793.
Le changement de régime n'avait pas résolu la grave crise financière que connaissait la France sous le règne de Louis XVI et la question se posait de façon tout aussi lancinante aux nouvelles instances politiques : comment faire entrer l'argent dans les caisses du Trésor ? C'est Talleyrand, pourtant ci-devant évêque d'Autun, qui proposa dès octobre 1789 la nationalisation des biens du clergé. Le 2 novembre suivant, sur proposition de Mirabeau, l'Assemblée nationale votait le décret qui mettait les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation.

Plusieurs décrets définirent ensuite les règles à appliquer pour l'aliénation de ces biens nationaux :
  • Estimation de leur valeur, à partir du revenu qu'ils fournissaient ou par expertise,
  • Faculté de diviser les lots mis en vente,
  • Vente aux enchères publiques,
  • Délais de paiement accordés aux acquéreurs.

Le document que j'ai consulté aux Archives départementales du Maine-et-Loire permet d'en apprendre davantage sur la façon dont se sont déroulées les opérations pour la métairie des Rochettes.

La description du bien mis en vente

La métairie des Rochettes est située sur la commune de Concourson.

Selon le procès-verbal d'adjudication, elle est "composée de logement pour le fermier, grange, étables, cours jardins, neuf cent cinquante-quatre boisselées de terre labourable et pâtis, vingt-trois journaux de prés, cinq quartiers de bois taillis, vingt-six boisselées de vignes".

Notons au passage l'ancien système de mesure des superficies, fondé sur le travail du paysan, avant l'entrée en vigueur du système métrique[2]. La boisselée[3] correspond à la surface de terre pouvant être ensemencée avec un boisseau de grains ; le journal est la surface de champ labourée ou la surface de pré fauchée par un homme en une journée. Ce qui peut varier d'une région à l'autre, en fonction de la nature du terrain… Mais qui pourra me dire à quoi correspond un quartier de bois ?

Un peu d'histoire à présent. Selon le Dictionnaire de Célestin Port, le domaine des Rochettes avait été acquis par Louis XI en 1469, afin de doter le chapitre royal de l'église Notre-Dame, sur l'île de Béhuard, sur la Loire en aval d'Angers. Le bien revint ensuite au curé de Denée, paroisse voisine de Béhuard, et il en constitua le temporel[4] jusqu'à la Révolution.

La procédure d'adjudication

Nous sommes maintenant le 11 février 1791 à Vihiers.

L'adjudication a lieu au chef-lieu du district, en présence des membres du Directoire du district et à la diligence du procureur général syndic du département, François Armand Vollaige. Deux commissaires, Honoré Borit et François Cognée, nommés par la municipalité de Concourson, sont présents.

La publicité de la mise aux enchères a été assurée par des annonces faites au prône des messes paroissiales du district et par des affiches "apposées dans tous les lieux ordinaires et accoutumés".

L'estimation a été faite sur la base du bail, car le bien est affermé à un certain Jean Nicolas et à son épouse, suivant acte authentique passé devant notaire le 8 avril 1785.

Il s'agit d'une vente à la bougie ou à la chandelle, comme cela se pratique encore de nos jours dans certaines circonstances. Lors des enchères, lorsque plus personne ne se manifeste, une mèche est allumée, de façon à accorder un délai suffisant à un surenchérisseur éventuel, parfois une seconde mèche, puis une troisième, selon la procédure définie au départ. À l'extinction du dernier feu, le bien est adjugé au dernier enchérisseur.


Les enchères allèrent sans doute bon train ce jour-là, car c'est au seizième feu que la métairie des Rochettes revint finalement aux sieurs François Maitreau et René Baumont, "solidairement et par moitié".

Le prix et les modalités de paiement

Sur la base du bail, le bien est évalué à la somme de 20 362 livres et 10 sols par Charles Renard. Les enchères ont commencé à 24 000 livres, proposées par un certain François Grignon Getterie.

La propriété des Rochettes est finalement vendue pour la somme de 48 000 livres. Conformément aux décrets, les acquéreurs ont quinze jours pour régler 12% du prix, soit 5 760 livres. Le solde est payable en douze annuités de 4 664 livres, moyennant un intérêt annuel de 5%.

J'ai vérifié, en faisant appel à mes vieux souvenirs de mathématiques financières. Je trouve pour ma part des annuités constantes plus élevées d'une centaine de livres, mais ne pinaillons pas.

Tant que l'intégralité de la somme n'aura pas été versée, les acquéreurs "jouiront de la dite métairie en bon père de famille, sans y commettre de dégradations et malversations, au contraire l'entretiendront en bon état de réparation, leurs jouissance et exploitation devant être continuellement surveillées".

Et voilà comment la métairie des Rochettes changea de propriétaire, sinon d'exploitant, dans les premières années de la Révolution. Il me reste maintenant à passer en revue les différents protagonistes de l'affaire.





[1] Difficile d'estimer la part des propriétés du clergé dans les terres du royaume, les chiffres variant de façon significative d'un ouvrage à l'autre (jusqu'à 20% du territoire pour certains auteurs).

[2] Le mètre, dix millionième partie du quart du méridien terrestre, sera adopté par la Convention le 1er août 1793.

[3] Selon Odile Méthais-Thoreau, in Le Puy Notre-Dame, la boisselée de Saumur est équivalente à 4 ares et 40 centiares (440 mètres carrés pour les citadins comme moi).

[4] Revenu d'un bénéfice ecclésiastique.