Je transcrivais l'acte de mariage d'Etienne Brisseau et de
Julienne Salmon à la Cropte en février 1760, lorsque je butai sur des prénoms pour
le moins inusités : la jeune épouse était dite "fille de Pierre Ermain Egide Salmon présent et consentant et de
Julienne Chardon aussi présente et consentante". Lequel père signe "pierre eg Salmon" !
Intriguée, je cherche le mariage des parents en question
pour vérifier les prénoms. Et le trouve dans la même paroisse à la date du
21 avril 1741. Le curé appelle le marié Pierre, mais ajoute un renvoi en
marge : je déchiffre "Herminigilde"…
Poussons donc jusqu'à l'acte de baptême, le 1er mai
1715 : l'enfant est bien appelé Herménégilde. Le père se prénomme
prosaïquement Jean, la mère Marie, les parrain et marraine Jean et Françoise.
Avec toutefois une particularité : Jean Aurelle et Françoise Bourdoiseau
tiennent le nouveau-né sur les fonts baptismaux en vertu d'une commission du
chevalier de Montesson et de sa sœur Marie. En d'autres termes, ils les
remplacent en leur absence.
Mais d'où vient cet étrange prénom ? Herménégilde, fils
de Léovigilde, était un prince wisigoth du VIe siècle. Il abjura
l'arianisme(1)
dans la principale église de Séville, se proclama roi d'Espagne contre son
père, se battit contre lui et fut finalement capturé et emprisonné à Tarragone.
Ayant refusé la communion pascale des mains de l'évêque acquis aux idées de
l'arianisme, il fut tué d'un coup de hache. Façon expéditive de régler les
conflits de succession.
L'Église, qui le considère comme un martyr de la foi
chrétienne, le canonisa au XVIe siècle. À ce titre, il est fêté le
13 avril.
Francisco Herrera El Mozo, Le triomphe d'Herménégilde Musée du Prado |
Je n'avais jamais entendu ce prénom auparavant. Une
recherche sur Geneanet donne néanmoins plus de 16 000 résultats, dont près
de 9 000 pour le seul Canada, où existe un village appelé
Saint-Herménégilde dans la belle province du Québec, à une vingtaine de
kilomètres au nord de la frontière de l'Etat du Vermont (Etats-Unis).
Mais pourquoi diable les parents ont-ils appelé leur fils
Herménégilde ?
Le prénom semble inconnu dans leur région. En réalité, je
soupçonne Charles de Montesson et sa sœur. Comme je peinais à déchiffrer
l'écriture du curé, j'ai tâtonné un moment : Morisson, Monisson, Moursson
(mais alors pourquoi deux S), avant d'opter pour Montesson et de découvrir que
ces deux-là étaient déjà parrain et marraine en octobre 1714, à
Saint-Ouen-des-Oies(2), d'un
petit Rigomer ! Prénom emprunté à un saint du VIe siècle,
prédicateur dans le diocèse du Mans, si j'en crois un site déniché sur la
toile. Farceurs, les Montesson ?
Quoiqu'il en soit, notre Herménégilde Salmon préférait se
faire appeler Pierre par ses parents et ses amis.
(1) Doctrine qui nie la nature divine du Christ et, à ce titre, fut condamnée comme
hérésie par le Concile de Nicée (325).
(2) Aujourd'hui Saint-Oüen-des-Vallons (Mayenne), commune où est situé le château
de la Roche-Pichemer, qui appartint à la famille de Montesson de 1645 à 1778 (source
Wikipedia).