lundi 13 mai 2019

Incursion en pays breton

Marie Yvonne Le Guen, native de Kerfot, était déjà veuve d’un certain Ollivier (oui, avec deux "l") Le Bideau lorsqu'elle épousa Alexandre Guéroult à la mairie du 14earrondissement de Paris. Je l'ignorais, j'ai voulu en savoir davantage.

Précisons qu'il ne s'agit pas d'une de mes ancêtres directes, mais de la mère de ma marraine. Ma branche paternelle a plutôt des racines normandes et, sans revenir sur la sempiternelle polémique qui alimente encore les conversations à l'heure de l'apéritif (breton ou normand, le Mont Saint-Michel ?), ce détail a son importance : je n'avais pas eu l'occasion jusqu'à présent de feuilleter les registres d'Ille-et-Vilaine ou des Côtes d'Armor ; d'où ma surprise lorsque je les ai consultés.

Sur les traces d'Ollivier Le Bideau

Mais revenons à ce premier époux. C'est une recherche sur le site de Geneanet qui me met sur la piste. Ollivier Le Bideau serait né à Pleubian, dans le département qui s'appelait alors les Côtes-du-Nord, en 1848 et aurait disparu en mer en 1889. Voyons cela de plus près.

L'acte de naissance rédigé par le maire de Pleubian confirme qu'Ollivier Le Bideau est né le 11 octobre 1848 à dix heures du soir et qu'il est le fils de François Le Bideau, tisserand, et d'Anne Perrine Le Jean, filandière. Rien de particulier jusque-là.

Passons à sa disparition. Le registre des décès de Pleubian est pré-imprimé : "Acte de décès de…", "profession de…", "domicilié…" L'officier d'état civil n'a plus qu'à compléter et, dans la plupart des cas, cela ne présente pas de difficulté particulière. Mais nous sommes en Bretagne, la commune est située sur la côte et nombre de ses habitants sont des marins… Les enfants du pays ne meurent pas tous dans leur lit !

Un registre qui en dit long

Au fil des pages, je découvre des annotations en marge des actes, ainsi que de longs textes insérés tant bien que mal dans les espaces laissés libres.

Pour la seule année 1889, plusieurs cas de figure.

Commençons par le plus simple, des hommes originaires de Pleubian, mais décédés dans une autre commune. Trois cas en 1889 : un matelot décédé à l'hôpital de La Seyne (Var), un autre à l'hôpital de Port-Louis (Morbihan), le troisième à Saint-Mandrier (Var). Le maire transcrit scrupuleusement les actes dans son registre quand il les reçoit, ce qui peut prendre plusieurs semaines ou plusieurs mois, selon la distance.

Deuxième cas, des inconnus trouvés noyés sur la grève. Le maire de Pleubian y est confronté à trois reprises : le 4 février 1889, sur la grève de Poul Sablen, le même jour sur celle de Saint Laurent et le 16 février suivant sur celle de Port Béni.

Les déclarations sont faites par Henry Le Cordenner, commerçant, et par René Le Quellec, garde-champêtre, qui ont "dit être instruits du décès". À chaque fois, le maire note les indices qui pourraient permettre de reconnaître l'individu : aspect physique, vêtements, chaussures, documents éventuellement trouvés sur le corps.

Troisième cas, les hommes décédés à bord d'un navire : le capitaine rédige l'acte de décès en présence de deux témoins. Une expédition de l'acte est délivrée par le commissaire de l'Inscription maritime et transmise à l'officier de l'état civil de la commune du défunt.

Silhouettes de voiliers, collection personnelle

C'est ainsi que nous apprenons que Joseph Lorgéré, inscrit sur le rôle d'équipage en tant que passager, est décédé à bord du Stella par 47° de latitude nord et 10° de longitude ouest ; dans l'océan Atlantique, donc. De même, Yves Marie Allain, mousse à bord du brick Jules Estelle, âgé de dix-sept ans, est décédé par 58° 17' de latitude nord et 7° 47' de longitude est ; quelque part en mer du Nord, si je sais lire une carte.

Enfin, les cas plus complexes nécessitant un jugement du tribunal. En marge de l'acte n°16 par exemple, il est fait mention de la mort par submersion de Jean Le Mevel. Un jugement du tribunal d'Ajaccio, daté du 17 avril 1891 et transcrit dans le registre de nombreuses pages plus loin, nous fournit des détails : l'équipage de L'Union, brick goélette, a péri dans un naufrage au large de Solenzara le 9 février 1889.

De même, c'est un jugement de la cour d'appel de Rouen du 16 mai 1888 qui conclut au naufrage du vapeur Escombrera, parti de Beni Saf en Algérie, à destination de Maryport en Angleterre et disparu dans l'Atlantique avec vingt-cinq marins à bord. L'un d'entre eux était originaire de Pleubian.

Enfin, un jugement du tribunal de Saint-Malo, en date du 10 septembre 1889, concerne le naufrage du brick Rocaben. Il avait coulé en mer le 30 octobre 1883 à la suite d'un abordage avec un trois-mâts américain, en revenant du banc de Terre-Neuve. À son bord, deux matelots originaires de Pleubian, dont François Le Bideau, frère aîné d'Ollivier.

Mort d'un marin pêcheur

C'est à bord du trois-mâts goélette Quatre Frères qu'Ollivier Le Bideau, premier époux de Marie Yvonne Le Guen, avait embarqué pour la pêche à la morue au large de Saint-Pierre et Miquelon. Il avait appareillé de Saint-Malo le 4 mars 1889 et, depuis cette date, on n'avait plus de nouvelles du navire, ni des cent quinze personnes qui composaient son équipage. Un jugement du tribunal de Saint-Malo en date du 18 juillet 1891 conclut que le Quatre Frères a disparu corps et biens.

Marie Yvonne Le Guen, âgée de vingt-sept ans, se remaria moins de trois mois après le jugement, le 10 octobre 1891 à Paris. Depuis combien de temps avait-elle acquis la certitude qu'elle était veuve ?