lundi 29 janvier 2018

Trésors de ma bibliothèque

Après une semaine d'absence, retour à mon camp de base avec quelque chose qui ressemble fortement à un syndrome grippal, en dépit du vaccin généreusement fourni par notre système de protection sociale. Autant dire que les recherches généalogiques sont au point mort depuis quinze jours au moins ! (Pour les recherches médicales, s'adresser aux organismes compétents)

Je n'avais pas prévu cette éventualité : rien dans ma bannette, donc, pour la parution hebdomadaire sur mon blog. Quoi ? je ne vais quand même pas me laisser dicter ma conduite par un satané virus…

Un coup d'œil sur les étagères de ma bibliothèque. Elle recèle quelques trésors, comme ce Traité des maladies des femmes en sept volumes, reliés en cuir, titres et entre-nerfs dorés à l'or fin. Il appartenait à mon ancêtre François Morel, l'exlibris en fait foi, et il a traversé les générations pour parvenir jusqu'à moi.

Collection personnelle

Si ma mémoire ne me fait pas défaut, ces livres figuraient en bonne place sur le manteau de la cheminée, dans le salon de mes parents.

Mais ouvrons le premier volume. La garde et la contre-garde sont constituées d'un papier marbré dans les rouges et bleus, motifs obtenus par flottation des couleurs à la surface d'une cuve. Sur la page suivante, une inscription manuscrite : Exlibris Morel, DM (pour docteur en médecine, sans doute), Prix des 7 vol. reliés 5 l 50 occasion (les a-t-il payés cinq livres cinquante ?).

Pages de garde et de contre-garde

J'ai un doute sur le prix : le diplôme de docteur en médecine, délivré à François Morel par la faculté de Montpellier, fut entériné par François Guizot, secrétaire d'État au département de l'instruction publique, le 27 février 1835, à une époque où le franc germinal avait de longue date remplacé la livre et ses subdivisions. Mais je ne suis pas une spécialiste de la question.

Exlibris

Continuons. La page de titre nous révèle que le traité fut rédigé par un certain J. Astruc, professeur royal de médecine et médecin consultant du roi, et édité par P. Guillaume Cavelier, libraire rue Saint-Jacques à Paris, en 1770. Voilà qui nous ramène quelques siècles en arrière, au temps où Louis XV régnait encore sur le royaume de France…

Page de titre

La citation latine me confronte à une dure réalité : si je saisis le sens général des premiers mots, je suis incapable d'en fournir une traduction littérale. Mes connaissances en ce domaine se sont évaporées au fil du temps ! Mais nous vivons une époque formidable et, grâce à Internet, je vous livre ces quelques mots de Sénèque dans sa sixième lettre à Lucilius : "Si je me réjouis d'apprendre, c'est pour enseigner ; et nulle découverte ne me charmerait, quelque précieuse et salutaire qu'elle fût, si je devais la garder pour moi seul." Voilà !

Inutile de préciser, comme le dit d'ailleurs l'auteur de la préface dans son incipit, que "La médecine fait des progrès de jour en jour". Les enseignements d'un médecin de la fin de l'Ancien Régime, s'ils intéressaient encore mon ancêtre durant la première moitié du XIXe siècle, sont quelque peu dépassés aujourd'hui.

Mais, au fait, pourquoi François Morel, médecin militaire, éprouva-t-il le besoin de se procurer cet ouvrage ? Il était surtout appelé à traiter des maladies et des blessures liées au métier des armes, non ? Glissa-t-il les volumes dans ses bagages lorsqu'il embarqua pour l'Algérie en 1842 ? Envisageait-il de prodiguer ses soins aux populations autochtones ? c'est une hypothèse.


Bon, je vous laisse, il faut que je me soigne. Les fabricants de vaccins ont encore quelques progrès à faire…

lundi 22 janvier 2018

Mystérieuse Elisabeth

Oui, je sais, ce prénom n'a rien d'exceptionnel. Mais quand je regarde la liste des enfants issus du couple formé par René Isidore Letourneau et son épouse Marie Hamon, un seul n'est assorti d'aucune des trois dates que traque tout généalogiste qui se respecte : celui d'Elisabeth. Pas le moindre acte de baptême, de mariage ni de sépulture !

Etrange, non ? Les parents se sont mariés le 10 novembre 1750. J'ai identifié treize bambins nés entre octobre 1751 pour l'aîné et avril 1772 pour la benjamine, avec des écarts de onze à trente-cinq mois entre deux naissances. Tous baptisés en l'église Saint-Jean-Baptiste. Mais aucune Elisabeth…

Eglise St-Jean-Baptiste de Château-Gontier, collection personnelle

Et pourtant, elle est présente au mariage de plusieurs de ses frères et sœurs : en août 1781 à celui de René Letourneau avec Marie Joséphine Brette à Azé, en février 1786 à celui de Marie avec Yves Brette en l'église Saint-Rémy de Château-Gontier, en juillet 1787 à celui de François avec Anne Simbrard en la même église. Et même, lors de ces deux dernières cérémonies, elle signe : "Elizabeth Letourneau", avec un z.

Signature d'Elizabeth Letourneau, au-dessus de celle du curé, en 1787

Alors par quelle diablerie n'apparaît-elle nulle part ailleurs ?

En désespoir de cause, je lance une énième recherche sur Geneanet. Elisabeth Letourneau, avec les variantes sur le nom (accentué ou non) et le prénom (avec s ou avec z, transformé en Isabelle, assorti d'autres prénoms, etc.) ? J'obtiens 1323 réponses. Un brin décourageant !

Mais en limitant les recherches au seul département de la Mayenne, juste 8 réponses, dont une particulièrement intéressante, le relevé d'un acte en date du 28 brumaire an III (18 novembre 1794) : il s'agit de la naissance d'une certaine Elizabeth Hocdé, fille de Louis Hocdé et… d'Elizabeth Letourneau. Je vérifie en consultant l'acte proprement dit dans les registres de l'état civil : pas de doute possible, la mère est bien prénommée Elizabeth dans le document en question.

Par ailleurs, Louis Hocdé figure dans ma base de données. À ma connaissance, il a épousé non pas Elizabeth, mais Barbe Julienne Letourneau à Château-Gontier le 15 septembre 1788. Le couple a eu un premier enfant en 1790, prénommé Louis Etienne.

Alors ? Je cherche les autres événements concernant cette Elizabeth Hocdé. Son mariage avec Jean François Royer, tout d'abord : il a lieu en janvier 1821 à Château-Gontier. Les parents sont présents et la mère de l'épouse est "dame Barbe Letourneau, âgée de cinquante-huit ans" ; c'est cohérent. L'acte de décès, ensuite : il survient en 1868 et ne laisse pas davantage place au doute, Elizabeth Hocdé est alors "veuve de Jean François Royer, fille de défunt Louis Hocdé et défunte Barbe Letourneau".


J'en conclus donc qu'il y a de fortes probabilités pour qu'Elizabeth et Barbe Letourneau ne soient qu'une seule et même personne. Par quelle fantaisie décida-t-elle un temps de se faire appeler Elizabeth, allant même jusqu'à signer ainsi dans les registres paroissiaux, avant de revenir à son prénom de baptême ? Mystère…

lundi 15 janvier 2018

L'étonnant destin de Philibert Letourneau

J'évoquais brièvement la semaine dernière le destin de Philibert Benjamin Letourneau. J'y reviens plus longuement aujourd'hui.

Mes ancêtres Letourneau sont originaires du Maine et se sont établis à Château-Gontier, dans la Mayenne angevine, au milieu du XVIIIe siècle, lorsque René Isidore, charpentier de son état, épousa Marie Hamon en 1750.

Vue générale de Château-Gontier, collection personnelle

Le couple donna naissance à treize enfants au moins. Lorsqu'ils parvenaient à l'âge adulte, les garçons étaient sergers(1), tisserands ou charpentiers, les filles fileuses ou lingères. Pierre Letourneau, avant-dernier de la fratrie et futur père de Philibert Benjamin, était pour sa part fabricantd'étamines, ce qui m'a donné l'occasion de rédiger un article sur le sujet.

Installé à Meslay-du-Maine avec son épouse Marie Chardron, elle-même fille d'un marchand, Pierre Letourneau fut tué par les Chouans sur la place du bourg le 24 février 1796, alors qu'il venait d'avoir vingt-six ans. Deux autres habitants du bourg, un marchand tissier de soixante-trois ans et une femme âgée de soixante-huit ans, avaient été tués au même endroit la veille au soir.

Orphelin à l'âge de deux ans

Philibert Benjamin voit le jour cinq mois plus tard, le 1er août 1796, deux ans après son frère aîné, également prénommé Pierre, et un an après le petit Christophe qui ne vécut que deux semaines à peine.

Leur mère décède à son tour le 2 juillet 1798, avant d'atteindre sa vingt-neuvième année.

Qui recueille les deux orphelins, Pierre, quatre ans, et Philibert Benjamin, deux ans à peine ? Qui leur donne suffisamment d'instruction pour qu'ils soient capables de signer d'une main ferme les actes qui les concernent ? Qui leur enseigne le métier de menuisier ? Où ont-ils vécu jusqu'à leur mariage ? À Château-Gontier, semble-t-il, mais les autres questions demeurent à ce jour sans réponse.

Père de famille

Philibert Benjamin, mon ancêtre à la sixième génération, épousa donc Marie Jeanne Perrine Dubois à Château-Gontier, le 11 novembre 1822 à neuf heures du matin. La ville, à vocation principalement textile, comptait environ six mille habitants.

Philibert Benjamin avait alors vingt-six ans et sa jeune épouse dix-huit ans. Une petite Marie Véronique Renée pointa le bout de son nez dès le 25 mai suivant. Six frères et sœurs lui emboîtèrent le pas, dont un petit dernier vingt ans plus tard. Tous ont vu le jour dans le domicile familial, situé dans la Grande Rue de Château-Gontier.

Signature de Philibert Letourneau sur son acte de mariage

Il s'agit d'une rue assez pentue, aujourd'hui bordée de maisons anciennes dont certaines ont conservé leurs colombages, qui sinue jusqu'aux berges de la rivière en contrebas.

C'est également là qu'Emmanuel Marie, fils naturel d'Élisabeth Marie, jeune ouvrière célibataire de dix-neuf ans, et petit-fils de Philibert Benjamin, vit le jour en novembre 1845. Une bouche de plus à nourrir… Il y serait encore recensé dix ans plus tard.

Des métiers variés

Menuisier jusqu'à quarante-six ans au moins, si j'en crois la profession indiquée dans les actes de naissance de ses enfants, Philibert Benjamin s'est ensuite tourné vers d'autres professions. Plus lucratives ? Nécessitant moins de force physique ? Comment savoir ?

Lors du mariage de sa fille aînée en 1845, il est qualifié de "porteur de contraintes" ; en d'autres termes, il est chargé de notifier aux contribuables récalcitrants les mises en demeure du percepteur ! Métier à risque, on le verra plus loin. Peut-être est-ce le frère de son épouse, Louis Aubin Dubois, huissier près la justice de paix du canton de Craon qui lui a procuré ce poste ?

Au fil des recensements de la population, Philibert Benjamin Letourneau est qualifié d'employé (1846), de porteur de contraintes (1851, 1856) et même d'agent d'assurances (1861, 1866).

Noyé dans la Mayenne

Il exerçait encore un métier à soixante et onze ans passés. Jusqu'à ce jour fatal de novembre 1867, où le maire de Saint-Sulpice, canton de Château-Gontier, rédigea l'acte suivant :

"… sont comparus Pierre Valognes, âgé de cinquante-un ans, buraliste, domicilié au bourg de notre commune, et Jacques Maingray, âgé de cinquante-un ans, cantonnier demeurant aux Portes en notre commune, tous les deux non parents ; lesquels nous ont déclaré que cette nuit à six heures du soir est décédé par immersion dans la Mayenne au barrage de Neuville en notre commune le sieur Benjamin-Philibert Letourneau…"

S'agissait-il d'un accident ? Ou bien fut-il poussé dans la rivière par un mauvais payeur irascible ? Le corps a-t-il dérivé au fil du courant et a-t-il été retenu par le barrage ? Là encore, comment savoir ? Il faudrait consulter la presse locale de l'époque, une rapide investigation sur internet ne m'ayant donné aucune piste. Je constate simplement que l'identification du corps n'a pas présenté de difficulté particulière, puisque l'acte est, semble-t-il, rédigé dès le lendemain après-midi.

C'est ainsi que disparut Philibert Benjamin Letourneau, né en pleine tourmente révolutionnaire et décédé de mort violente au temps de Napoléon III, après une vie bien remplie.




(1) Fabricants de serge, c'est-à-dire d'un tissu auquel le mode d'entrecroisement des fils de chaîne et de trame donne une robustesse particulière.

lundi 8 janvier 2018

Prénommé Philibert

J'ai pour Philibert une tendresse particulière qui remonte à l'enfance : c'est ainsi que mon père avait appelé son ours en peluche, qu'il avait conservé au fil de ses déménagements successifs et qu'il me transmit quand je fus en âge d'en apprécier le charme et la douceur.

Collection personnelle

À mon tour, je l'ai précieusement gardé, mais je n'ai jamais osé confier cet objet, désormais devenu relique puisque plus que centenaire, aux mains enfantines de ma descendance ! Il est un peu râpé, son bras gauche a perdu une partie de son rembourrage en sciure, mais il a conservé quelque chose de malicieux dans le sourire et le regard. Il fera un jour partie de l'héritage…

Mais pourquoi diable ce prénom sorti de nulle part ? Il faut remonter plusieurs générations en arrière pour trouver deux ancêtres ainsi prénommés, certes dans la lignée maternelle de mon père, mais trop éloignés pour qu'il ait pu les connaître.

Philibert Benjamin Letourneau était l'arrière-grand-père de ma grand-mère paternelle. Né le 1er août 1796 à Meslay-du-Maine, durant la Révolution, alors que son père avait été tué par les Chouans quelque cinq mois auparavant, il perdit sa mère avant son deuxième anniversaire. Il se maria à vingt-six ans, exerça plusieurs métiers, éleva ses sept enfants ainsi que le fils naturel d'une de ses filles et mourut noyé dans la Mayenne. J'y reviendrai plus en détail dans un prochain billet.

Il devait vraisemblablement son prénom à son grand-père maternel, Philbert Charles Chardron, lequel, né en 1741, tenait le sien de son parrain, le vénérable et discret (selon l'expression alors en usage) messire Philbert Joseph René Duchesne, prêtre curé de la paroisse de Meslay.

Filbert serait un prénom d'origine germanique, de "fili"=beaucoup et de "berth"=brillant, illustre. L'orthographe a évolué ensuite de Filbert à Philbert ou Philibert.

Au VIIe siècle, celui qui deviendrait saint Philibert quitta la cour du roi Dagobert pour devenir moine. En 654, il fonda l'abbaye de Jumièges, dont il devint le premier abbé, dans une boucle de la Seine en aval de Rouen. Puis, après une période de captivité, il se retira à Noirmoutier et y mourut en 684 ou 685. Nous sommes dans ce qu'il est convenu d'appeler le haut Moyen-Âge.


Au IXe siècle, son sarcophage fut d'abord transféré dans l'abbaye de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique) pour le protéger des invasions normandes, puis finalement dans celle de Saint-Philibert de Tournus (Saône-et-Loire). Il est fêté le 20 août.