Mon grand-père paternel avait déjà trente-sept ans lorsque,
en septembre 1902, il revêtit l'uniforme de la Compagnie du Métropolitain de
Paris(1).
Mais auparavant ? De 1881, date à laquelle il décrocha son premier emploi,
alors qu'il avait à peine seize ans, à 1901, soit durant une vingtaine
d'années, il eut successivement quatre employeurs :
- Soehnée et Pegé, également marchands drapiers, établis rue Feydeau, où il fut employé de juillet 1883 à octobre 1886,
- Me Saranne, huissier 6 bis rue du Quatre-Septembre, de novembre 1886 à septembre 1893,
- Enfin M. Abel Goubaud, éditeur de journaux de mode 3 rue du Quatre-Septembre, où il fut employé aux écritures de novembre 1893 à avril 1901.
Je ne sais rien de ses émoluments durant cette période. Toutefois,
dès 1886, Frédéric Chancé adhéra à une société de secours mutuel, l'Union du
Commerce, et j'ai ainsi une idée de la pension qu'il perçut à ce titre, quand
il cessa toute activité professionnelle.
Les sociétés de
secours mutuel
À la fin du XIXe siècle, le système de protection
sociale que nous connaissons aujourd'hui n'existait pas encore. Lorsque les
corporations de l'Ancien Régime furent supprimées, dans un premier temps par un
édit de Turgot en 1776, puis définitivement par la loi Le Chapelier en
1791, des sociétés de secours mutuel virent le jour.
De quoi s'agissait-il ? D'organismes de bienfaisance qui, moyennant un droit
d'entrée et une cotisation mensuelle, accordaient une aide à leurs adhérents en
cas de maladie, d'accident, d'infirmité, de chômage… En dépit de leur caractère
philanthropique, ces sociétés suscitaient une certaine défiance de la part des
pouvoirs publics : comment empêcher que les fonds ainsi collectés ne
financent des grèves ouvrières ?
Les premières sociétés de secours mutuel apparurent sous le
Premier Empire. Par la suite, elles furent officiellement reconnues par Louis
Napoléon Bonaparte en 1852, mais de façon plutôt restrictive : pour
bénéficier d'avantages financiers significatifs, les "sociétés
approuvées", créées à l'échelon de la commune, étaient strictement
encadrées et le nombre de leurs membres limité à 500. Il faudra attendre 1898
pour qu'une charte de la mutualité supprime l'agrément de l'administration. Et
1945 pour qu'un Code de la mutualité soit publié.
L'Union du Commerce
L'Union du Commerce, à laquelle mon grand-père Frédéric
Chancé adhéra, fut créée en mai 1847, sous la forme d'une société
philanthropique. Moyennant une cotisation mensuelle de deux francs, ses membres
bénéficiaient de la gratuité des soins médicaux et pharmaceutiques. Ils se
recrutaient parmi les employés et les comptables des maisons de commerce de
gros ou de détail, les maisons de tissus ou d'articles de Paris, les maisons de
banque du département de la Seine.
Le nombre des sociétaires augmenta rapidement : 320
adhérents en 1850, plus de 8 500 en 1876, plus de 12 700 en 1887, année
où lui fut adjointe une caisse de retraite.
En 1913, le nombre des adhérents dépassait les 26 000.
Mais à l'issue de la Première Guerre mondiale, l'Union du Commerce n'allait pas
tarder à connaître de graves difficultés, dues à la fois à la fonte de ses
effectifs, fauchés par le conflit (d'où une dramatique diminution des
cotisations collectées), et à l'inflation, inconnue jusque là, qui vit
s'envoler les honoraires des médecins et le prix des médicaments.
Elle a néanmoins surmonté les aléas de l'histoire et existe encore
aujourd'hui sous le sigle de la MUCS(2)
(Mutuelle Union du Commerce et des Scop).
Un titre de rente
viagère
Le document qui a piqué ma curiosité est un titre de rente
viagère au nom de mon grand-père paternel. À l'issue de trente-neuf années de présence
au sein de l'Union du Commerce, il bénéficia donc à compter du 1er
janvier 1926 d'une rente annuelle non révisable de… 78 francs,
payables par trimestre.
Collection personnelle |
Sur présentation de son titre au siège de l'Union, quai de
la Mégisserie, il percevait les fonds, ce qui était matérialisé par un tampon
apposé au verso du document.
Collection personnelle |
La photo figurant au recto illustre bien la désillusion que Frédéric Chancé devait
éprouver lors qu'il mettait dans son portefeuille ces sommes dérisoires(3).
Soixante dix-huit francs par an ! À peine de quoi se payer une paire de
chaussures… Les tampons suggèrent d'ailleurs qu'il ne prenait pas la peine de
se déplacer tous les trois mois.
(2) Le site de cette mutuelle recèle quelques informations sur son histoire depuis
sa création https://mutuelledesscop.fr/mutuelle-des-scop/histoire
(3) À titre de comparaison, la pension annuelle versée par la Compagnie du
Métropolitain de Paris à mon grand-père s'élevait à 5 659,85 francs pour
l'année 1936.