J'évoquais dans un précédent billet la bibliothèque d'une
généablogueuse, avec l'idée de vous faire part de temps en temps de mes
lectures, dans la mesure où elles pourraient avoir un lien avec la vie de nos
ancêtres.
Commençons aujourd'hui par le livre d'Emmanuel Le Roy
Ladurie intitulé Trente-trois questions sur l'histoire du climat(1) (rassurez-vous, je vais tenter de résumer). En quoi cet ouvrage peut-il
être intéressant pour le généalogiste amateur ?
Tout d'abord, l'historien cherche à savoir s'il existe des
liens entre les variations du climat et les crises, aussi bien économiques que
sanitaires, que la France a connues au cours de ces derniers siècles. En
d'autres termes, les épisodes de grand froid, une pluviosité anormalement
abondante ou des canicules ont-elles entraîné famines et épidémies dans la
population ?
La réponse est oui. Une météo défavorable a un impact direct
sur le niveau des récoltes, avec son cortège de sous-alimentation et de moindre
résistance aux maladies, d'épidémies et de surmortalité. De la même manière,
des étés excessivement chauds ont un effet sur le niveau des rivières et des
nappes phréatiques, les eaux infectées entraînant des dysenteries et une
mortalité infantile plus élevée que de coutume.
Emmanuel Le Roy Ladurie évoque également dans ce livre le
petit âge glaciaire (PAG, pour les amateurs de sigles) que l'Europe a connu de
1300 à 1860, avec deux pics, appelés "hyper PAG" :
- Le premier de 1570 à 1630 environ,
- Le second de 1815 à 1855 ou 1860.
Il évoque les conséquences néfastes sur la population de
certains épisodes météorologiques désastreux, en distinguant selon leur gravité
famines, disettes et disettes larvées.
À titre d'exemple, durant le règne de Louis XIV, la
famine de 1693-1694 aurait provoqué 1,3 million de morts et celle de 1709, le
"grand hiver" de triste mémoire, 600 000 morts dans une France
qui ne comptait alors que 20 millions d'habitants. Les disettes sont certes
moins apocalyptiques, mais celle de 1740 a tout de même entraîné de 80 000
à 100 000 morts !
L'auteur analyse de façon détaillée de longues périodes de
l'histoire de l'Europe, et plus particulièrement de la France. Il précise les
dates des famines, des grandes inondations et des canicules, ce qui pourrait
éclairer de façon significative la lecture des registres paroissiaux. Qui ne
s'est pas déjà interrogé devant la longue liste des actes de sépulture qui se
succèdent tout à coup, au détour d'une page ?
L'auteur fait
également le lien entre les variations climatiques et les crises politiques,
tout en soulignant que les conséquences néfastes de la météorologie sur la
population ne sont qu'un élément parmi d'autres, et non pas la cause unique des
révolutions.
En complément, un tableau des températures moyennes
mensuelles en Île-de-France pour les années 1676 à 2010 est annexé à la fin du
livre. Il fait ressortir les épisodes anormalement chauds et anormalement
froids.
J'ajouterai, pour les curieux, les différentes méthodes
mises en œuvre pour appréhender les variations du climat à une époque où les
relevés systématiques de données n'avaient pas cours. Emmanuel Le Roy Ladurie
cite l'étude de la croissance des arbres (dendrochronologie), les dates des
vendanges, l'étude de l'avancée et du recul des glaciers alpins, l'apparition
ou la disparition des pollens enfouis dans les différentes couches des
tourbières… et le déroulement de cérémonies religieuses (rogations) en cas de
sécheresse ou de pluviosité excessive !
Une lecture enrichissante, donc, qui permet d'imaginer les
aléas du climat auxquels nos ancêtres ont été confrontés.
(1) Emmanuel Le
Roy Ladurie, Entretiens avec Anouchka Vasak, Trente-trois questions sur
l'histoire du climat, Du Moyen
Âge à nos jours, Librairie Arthème
Fayard/Pluriel, 2010, 185 pages