J'évoquais ici même la semaine dernière le contrat de
mariage des mes grands-parents maternels, Maurice Maitreau et Julia Fourcade,
et je vous avais promis des explications complémentaires. Les voici.
Les apports de chacun des époux, tels qu'ils sont évalués
dans le contrat, sont plutôt déséquilibrés : ceux de Maurice Maitreau sont
globalement estimés à 61 000 francs, alors que ceux de Julia, "bijoux, objets d'art, de fantaisie et
argenterie", ne s'élèvent qu'à 1 500 francs.
Après tout, ce n'est qu'une jeune fille de dix-huit ans,
faut-il le rappeler. Mais les parents Fourcade vont y ajouter une dot, sous
forme de donation en avancement d'hoirie, et compléter le tout par une donation
préciputaire. De quoi s'agit-il ?
La donation en avancement
d'hoirie
C'est le terme savant pour désigner un acompte sur le futur
héritage. Le ou la bénéficiaire reçoit dès à présent une certaine somme, mais
celle-ci sera prise en compte lors de la liquidation de la succession.
En l'occurrence, la donation faite à Julia par ses parents comprend
"un trousseau de linges de corps,
toilettes et autres effets" évalué à 3 000 francs, un "trousseau de linges de ménage, meubles
meublants et divers objets mobiliers", sans autre précision, évalué à
7 000 francs et une somme de 40 000 francs, ce qui porte le
montant de la dot à 50 000 francs.
Il est intéressant de noter que cette dernière somme sera
versée par annuités de 4 000 francs à compter du 1er mars
1903 (pourquoi ce délai, sachant que nous sommes le 20 novembre
1900 ?) et que, tant qu'elle ne sera pas entièrement réglée, les montants
restant dus seront productifs d'intérêts au taux de 4 % l'an.
Comme on n'est jamais trop prudent, cette dette des parents
Fourcade envers Julia est garantie par une hypothèque. Ce qui me permet de
connaître le patrimoine immobilier de mes arrière-grands-parents à la date du
mariage de leur fille, grâce à la liste des biens énumérés dans le contrat de
mariage :
- Une maison de trois étages, plus caves, rez-de-chaussée et grenier au n°17 de la rue Nouvelle Halle(1), à Pau,
- Une propriété située à Lons, connue sous le nom de Bagatelle,
- Un autre immeuble au n°10 de la rue Louis Lacaze, autrefois rue Loy, également à Pau.
La propriété de Bagatelle
est connue de toute la famille, j'y ai même joué enfant, déjeuné, assisté à une
réception de mariage et j'en détiens quelques rares photos. Elle n'existe
malheureusement plus aujourd'hui, mais une de mes cousines projette d'en conter
l'histoire.
Bagatelle Park Collection personnelle |
Enfin la maison de la rue Loy ne semble pas avoir laissé de
traces dans la mémoire familiale, même si c'est à cette adresse que sont
décédés les grands-parents de Julia, Gabriel Fourcade en août 1892 et Jeanne
Déodat en avril 1894. Il serait intéressant de poursuivre les investigations
sur ce sujet.
La donation
préciputaire
C'est la clause qui fâche ! Non pas ma grand-mère, bien
sûr, qui en est la bénéficiaire, mais potentiellement ses frères.
En effet, les parents Fourcade donnent à leur fille "par préciput et hors part" le quart
des biens meubles et immeubles qui composeront leur succession. Dans ma
naïveté, je pensais donc que ma grand-mère recevrait le quart de l'héritage et
que ses quatre frères se partageraient les trois quarts restants. Erreur !
Le préciput, nous dit le Petit Larousse illustré, est le
"droit reconnu à certaines personnes
appelées à un partage de prélever, avant celui-ci, une somme d'argent ou de
biens de la masse à partager".
Autrement dit, ma grand-mère recevra tout d'abord un quart
de la succession, puis, comme elle a quatre frères, un cinquième sur les trois
quarts restants ! Un rapide calcul permet de voir qu'elle percevra donc
40 % de la totalité de l'héritage et chacun de ses quatre frères seulement
15 %. De quoi se sentir frustré, non ?
C'est néanmoins parfaitement légal. Les parents Fourcade
utilisent ce que les juristes appellent la quotité disponible, c'est-à-dire la
part des biens que les parents peuvent attribuer à qui bon leur semble. Ce
montant disponible est variable en fonction du nombre d'enfants susceptibles
d'hériter : la moitié des biens en cas d'enfant unique, le tiers s'il y a
deux enfants, le quart s'il y a trois enfants ou plus.
Comme je vous l'ai déjà conté par ailleurs(3),
Théodore Fourcade finit par regretter cette donation préciputaire, mais le
notaire lui rappela fort à propos qu'elle était irrévocable. Il tenta donc,
entre autres manœuvres, de rééquilibrer les comptes entre ses enfants en
remettant, vers la fin de sa vie, à chacun de ses quatre fils des paquets de
titres pour un montant substantiel. Les conditions étaient alors réunies pour
qu'à l'ouverture de sa succession les héritiers se déchirent…
… et que les descendants s'interrogent encore, un siècle
plus tard, sur les motivations de chacun des protagonistes.
(1) Aujourd'hui rue du Maréchal Foch