lundi 28 août 2017

Des clauses qui sèment la zizanie

J'évoquais ici même la semaine dernière le contrat de mariage des mes grands-parents maternels, Maurice Maitreau et Julia Fourcade, et je vous avais promis des explications complémentaires. Les voici.

Les apports de chacun des époux, tels qu'ils sont évalués dans le contrat, sont plutôt déséquilibrés : ceux de Maurice Maitreau sont globalement estimés à 61 000 francs, alors que ceux de Julia, "bijoux, objets d'art, de fantaisie et argenterie", ne s'élèvent qu'à 1 500 francs.

Après tout, ce n'est qu'une jeune fille de dix-huit ans, faut-il le rappeler. Mais les parents Fourcade vont y ajouter une dot, sous forme de donation en avancement d'hoirie, et compléter le tout par une donation préciputaire. De quoi s'agit-il ?

La donation en avancement d'hoirie

C'est le terme savant pour désigner un acompte sur le futur héritage. Le ou la bénéficiaire reçoit dès à présent une certaine somme, mais celle-ci sera prise en compte lors de la liquidation de la succession.

En l'occurrence, la donation faite à Julia par ses parents comprend "un trousseau de linges de corps, toilettes et autres effets" évalué à 3 000 francs, un "trousseau de linges de ménage, meubles meublants et divers objets mobiliers", sans autre précision, évalué à 7 000 francs et une somme de 40 000 francs, ce qui porte le montant de la dot à 50 000 francs.

Il est intéressant de noter que cette dernière somme sera versée par annuités de 4 000 francs à compter du 1er mars 1903 (pourquoi ce délai, sachant que nous sommes le 20 novembre 1900 ?) et que, tant qu'elle ne sera pas entièrement réglée, les montants restant dus seront productifs d'intérêts au taux de 4 % l'an.

Comme on n'est jamais trop prudent, cette dette des parents Fourcade envers Julia est garantie par une hypothèque. Ce qui me permet de connaître le patrimoine immobilier de mes arrière-grands-parents à la date du mariage de leur fille, grâce à la liste des biens énumérés dans le contrat de mariage :
  • Une maison de trois étages, plus caves, rez-de-chaussée et grenier au n°17 de la rue Nouvelle Halle(1), à Pau,
  • Une propriété située à Lons, connue sous le nom de Bagatelle,
  • Un autre immeuble au n°10 de la rue Louis Lacaze, autrefois rue Loy, également à Pau.
J'ai pensé, dans un premier temps, que la maison de la rue Nouvelle Halle était celle de la chemiserie Fourcade, mais un coup d'œil sur d'anciens plans mis en ligne par le conseil général des Pyrénées-Atlantiques(2) m'a permis de voir que je faisais erreur. La chemiserie est au n°15 de la rue Nouvelle Halle, et non pas au n°17. D'ailleurs, le notaire a indiqué très clairement dans le contrat de mariage les noms des propriétaires des immeubles mitoyens, ce qui facilite la localisation ; aucun doute n'est possible.

La propriété de Bagatelle est connue de toute la famille, j'y ai même joué enfant, déjeuné, assisté à une réception de mariage et j'en détiens quelques rares photos. Elle n'existe malheureusement plus aujourd'hui, mais une de mes cousines projette d'en conter l'histoire.

Bagatelle Park
Collection personnelle

Enfin la maison de la rue Loy ne semble pas avoir laissé de traces dans la mémoire familiale, même si c'est à cette adresse que sont décédés les grands-parents de Julia, Gabriel Fourcade en août 1892 et Jeanne Déodat en avril 1894. Il serait intéressant de poursuivre les investigations sur ce sujet.

La donation préciputaire

C'est la clause qui fâche ! Non pas ma grand-mère, bien sûr, qui en est la bénéficiaire, mais potentiellement ses frères.

En effet, les parents Fourcade donnent à leur fille "par préciput et hors part" le quart des biens meubles et immeubles qui composeront leur succession. Dans ma naïveté, je pensais donc que ma grand-mère recevrait le quart de l'héritage et que ses quatre frères se partageraient les trois quarts restants. Erreur !

Le préciput, nous dit le Petit Larousse illustré, est le "droit reconnu à certaines personnes appelées à un partage de prélever, avant celui-ci, une somme d'argent ou de biens de la masse à partager".

Autrement dit, ma grand-mère recevra tout d'abord un quart de la succession, puis, comme elle a quatre frères, un cinquième sur les trois quarts restants ! Un rapide calcul permet de voir qu'elle percevra donc 40 % de la totalité de l'héritage et chacun de ses quatre frères seulement 15 %. De quoi se sentir frustré, non ?

C'est néanmoins parfaitement légal. Les parents Fourcade utilisent ce que les juristes appellent la quotité disponible, c'est-à-dire la part des biens que les parents peuvent attribuer à qui bon leur semble. Ce montant disponible est variable en fonction du nombre d'enfants susceptibles d'hériter : la moitié des biens en cas d'enfant unique, le tiers s'il y a deux enfants, le quart s'il y a trois enfants ou plus.

Comme je vous l'ai déjà conté par ailleurs(3), Théodore Fourcade finit par regretter cette donation préciputaire, mais le notaire lui rappela fort à propos qu'elle était irrévocable. Il tenta donc, entre autres manœuvres, de rééquilibrer les comptes entre ses enfants en remettant, vers la fin de sa vie, à chacun de ses quatre fils des paquets de titres pour un montant substantiel. Les conditions étaient alors réunies pour qu'à l'ouverture de sa succession les héritiers se déchirent…

… et que les descendants s'interrogent encore, un siècle plus tard, sur les motivations de chacun des protagonistes.



(1) Aujourd'hui rue du Maréchal Foch
(3) Voir le billet intitulé H comme histoire de dot et d'héritage, publié le 9 juin 2014

lundi 21 août 2017

Un contrat de mariage en 1900

La période estivale est propice à la collecte de documents généalogiques : j'ai profité d'un passage à Pau pour faire établir une carte de lecteur aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques et tenter d'en apprendre davantage sur un embrouillamini familial.

J'avais déjà évoqué le sujet à l'occasion du challenge AZ 2014, consacré à ma grand-mère Julia, dans un billet intitulé H commehistoire de dot et d'héritage. Mais il me manquait un document capital pour y voir plus clair et corriger quelques erreurs d'interprétation : le contrat de mariage.

Maurice Maitreau et son épouse
Collection personnelle

Celui-ci fut rédigé par Maître Albert Monguilan, notaire, et signé le 20 novembre 1900 par mon grand-père Maurice Maitreau, sa fiancée Julia Fourcade et les parents des deux futurs époux. Il ne comporte pas moins de sept pages, plus une annexe intercalée dans le registre des minutes notariales que j'ai eu le loisir de consulter.

Un aperçu intéressant sur les mœurs bourgeoises de l'époque !

Le régime matrimonial

Les futurs époux optent pour le régime de la communauté réduite aux acquêts. En d'autres termes, chacun reste propriétaire des biens qu'il possèderait avant le mariage, ou qu'il recevrait en donation ou en héritage après le mariage.

La communauté comprend les biens acquis durant le mariage et les revenus, quelle que soit leur origine (revenus d'une activité professionnelle, loyers, intérêts, dividendes des biens tant communs que propres).

Une clause du contrat prévoit l'attribution de cette communauté au conjoint survivant, ce qui paraît raisonnable.

Entendons-nous bien, toutefois : quand je dis que les époux choisissent ce régime matrimonial, cela ne reflète sans doute pas tout à fait la réalité. Si Maurice Maitreau, qui avait alors trente-et-un ans et avait fait des études de droit, était tout à fait capable de mesurer les implications des différents régimes, ma grand-mère, qui n'avait que dix-huit ans, n'a certainement fait que suivre les recommandations de ses parents…

Les apports des futurs époux

Sont d'abord énumérés les apports de Maurice Maitreau : la charge de greffier au tribunal civil de première instance d'Oloron-Sainte-Marie, qu'il a acquise moyennant finances quelques mois auparavant, ses effets personnels et divers mobiliers et meubles meublants, sans autre précision. Je note néanmoins au passage l'apport de voitures au pluriel (voitures à chevaux s'entend), d'un cheval et de harnais : c'était le moyen de transport privilégié à l'époque.

Sont ensuite énumérés les apports de Julia, lesquels, contrairement à ceux de son futur époux, font l'objet d'un état détaillé en annexe.

Certains objets me font sourire, comme ces deux statues de cuivre représentant la Fortune et la Renommée ou ce buste en terre cuite intitulé La Nuit. Le genre d'objets d'art qui trouvaient leur place sur la cheminée ! À ma connaissance, ils n'ont pas traversé le temps pour venir jusqu'à nous.

D'autres me sont plus familiers, pour les avoir vus chez mes parents ou chez mes tantes : le service de table en porcelaine (dont quelques assiettes sont parvenues jusqu'à moi), le service complet Christofle (malheureusement dispersé au fil des ans), le ramasse-miettes en métal blanc argenté, les dessous de bouteilles, la douzaine de cuillers à café en vermeil dans leur écrin, qui n'ont pas résisté aux mains trop brusques qui les ont utilisées…

Assiette en porcelaine, service Gascogne
Collection personnelle

Plus émouvants sont les bijoux et différents objets personnels : la paire de boucles d'oreilles solitaires, n'est-ce pas celle que ma grand-mère arbore sur plusieurs photos ? les jumelles de théâtre n'étaient-elles pas en nacre, comme celles qui sont exposées sur une étagère de ma bibliothèque ? Elles sont accompagnées d'un éventail du même style, dont le ruban de soie n'a pas trop souffert de l'usure du temps.

Jumelles de théâtre et éventail
Collection personnelle

Figurent également sur la liste un missel, un bénitier en marbre blanc et un prie-Dieu (la religion occupait encore une place prépondérante).

Ce dernier éveille en moi de lointains souvenirs : je revois un meuble qui avait pris place dans le salon de mes parents, à gauche de la cheminée. Il était en bois clair, avec une petite armoire à double porte dont la serrure résistait à mes mains d'enfant, pour y ranger missels, chapelets et autres objets de piété. La tablette du dessus, légèrement inclinée, ressemblait à un pupitre et la partie basse du meuble comportait deux plateaux, dont un monté sur charnières, relevé pour s'agenouiller, abaissé pour s'asseoir !

Les donations

Ce fameux contrat de mariage comporte encore deux donations, l'une préciputaire et l'autre en avancement d'hoirie(1), accordées par les parents Fourcade à leur fille Julia. Nous y voilà ! Elles constituent, à n'en pas douter, le nœud du conflit qui surgirait entre ma grand-mère et deux de ses frères, près de trente ans plus tard. J'y reviendrai en détail dans un prochain billet.

Le lieu de la signature

Nous sommes le 20 novembre 1900, deux jours avant le mariage civil en l'hôtel de la mairie de Pau, quatre jours avant le mariage religieux en l'église Saint-Martin.

La signature du contrat se déroule "en la demeure de Monsieur et Madame Maitreau, père et mère", où se sont transportés le notaire, accompagné d'un de ses collègues, et les parents de Julia, Théodore Fourcade et son épouse, Eugénie Caperet. Il s'agit vraisemblablement de l'appartement du 53, rue Carnot, où le couple est recensé l'année suivante.

Est-ce significatif ? Y a-t-il une tradition en cette matière ? S'agit-il simplement d'une question de respect dû à l'âge ? N'oublions pas que Achille Maitreau, né en janvier 1821, était déjà presque octogénaire, alors que Théodore Fourcade, né en juin 1855, n'avait que quarante-cinq ans.

Quoi qu'il en soit, je ne suis pas loin de penser que les parents Maitreau ont imposé leurs volontés aux parents Fourcade…




(1) J'expliquerai ces termes et en développerai les implications dans un prochain billet.