Morlaàs, au nord de
Pau, vendredi 28 septembre 1900, 3h de l'après-midi. L'air est chargé
d'électricité, l'orage menace, un de ces orages comme en connaissent chaque
année les Pyrénées à la fin de l'été ou au début de l'automne. Le ciel se
couvre de nuées, illuminées à chaque instant par les éclairs, le tonnerre
gronde et roule, répercuté à l'infini par les montagnes, des trombes d'eau ne
vont pas tarder à s'abattre sur la campagne…
Maurice Maitreau, la trentaine avantageuse, petite taille
mais moustache conquérante, s'est mis à l'abri. Il en profite pour écrire une
lettre à sa fiancée. La plume court sur le papier, il a déjà rempli trois pages
de sa fine écriture, n'est-il pas greffier ? Car Julia, dix-huit ans, est
en voyage. Un séjour à Paris, en compagnie de son père, d'où elle ne devrait
rentrer que vendredi prochain.
Il termine : "Au
revoir, bien chère Julia ; présentez à votre père pour qui j'ai la plus
grande reconnaissance, l'assurance de mes meilleurs sentiments, et recevez vous
même, mignonne, les meilleurs baisers de votre petit Maurice".
Maurice Maitreau, Archives personnelles |
Le temps de confier l'enveloppe à la poste et il repart vers
4h pour Lembeye, à une vingtaine de kilomètres de là. On imagine la boue et les
flaques, le cheval qui trotte, la croupe fumante, et la voiture qui cahote sur
les ornières. Il arrive vers 6h, "éreinté,
trempé, crotté comme un barbet et maussade à rendre jaloux tous les concierges
de l'univers", selon ses dires.
Peu bavard durant le dîner chez ses hôtes, il lui tarde
d'être enfin seul avec ses pensées. Le lendemain est jour de noces, il y est
garçon d'honneur et il prend cela comme une corvée !
Samedi
29 septembre, Lembeye, 2h et demie de l'après-midi. Le repas s'achève,
il va faire bonne figure une demi-heure encore, avant de reprendre cheval et
voiture.
Vers 6h du soir, à Pau le même jour, Maurice Maitreau ne
résiste pas à l'envie de rendre visite à Madame Fourcade, la mère de Julia, de
lui faire part du télégramme reçu quelques heures plus tôt et d'évoquer avec
elle le sujet qui occupe en permanence son esprit. Puis il soupe avec sa mère.
La conversation porte naturellement sur sa future épouse.
Dimanche
30 septembre. Maurice passe la journée à Biarritz et à Bayonne avec
les Lafontan, des gens charmants, avant de rentrer le soir même à Pau.
Lundi 1er
octobre. Maurice regagne Oloron, qu'il parcourt à la recherche d'un
appartement ou d'une maison qui ne serait pas trop éloignée du palais de
justice, où il exerce la charge de greffier. Un peu échaudé par les prix
annoncés, semble-t-il. Il sollicite ses relations.
Vers 4h de l'après-midi, il reçoit coup sur coup une lettre
et un télégramme de sa bienaimée. Il lui répondra par une longue missive le
soir même.
Mardi 2 octobre,
Oloron. Échange de télégrammes, Julia ayant entretemps quitté avec son père
l'hôtel de la rue de Grenelle pour une autre adresse. Maurice reprend la lettre
commencée la veille au soir et y ajoute deux pages avant de prendre le train de
2h06 pour Pau.
Il termine la lettre vers 4h et quart, chez Madame Fourcade,
sa future belle-mère : "Au
revoir, ma chère petite Julia, je vous embrasse de tout cœur" et signe
"Votre fiancé qui vous aime bien
tendrement" avant de poster la lettre le jour même.
Le retour de Julia est prévu pour le vendredi suivant par le
chemin de fer et, dans son impatience, Maurice a proposé de venir la chercher à
Puyoo ou même à Dax !
Ma grand-mère conserva toute sa vie ces deux missives pliées
dans leur enveloppe d'origine. Puis ma mère, avant moi, en devint dépositaire.
Elles me permettent aujourd'hui de reconstituer cinq journées d'activité
intense de celui qui allait devenir mon grand-père, mais qui n'était encore
qu'un homme amoureux.