Les faits
Le 16 juin 1798, pardon le 28 prairial an VI,
Marie Nicolas se présente devant Maître Bosc, notaire public à Peyrus (département
de la Drôme), accompagnée de huit de ses voisins. Il s'agit d'établir un acte
de notoriété selon lequel Pierre Roux, qu'elle a épousé le 31 janvier
1792, alors qu'elle n'avait que vingt ans, n'est pas reparu depuis plus de cinq
ans ! Volatilisé, le bonhomme ! La petite troupe le dit, le certifie,
l'atteste… et signe. Y compris la principale intéressée.
Signature de Marie Nicolas, au bas de l'acte de notoriété |
Le lendemain, 17 juin 1798, Marie Nicolas va trouver
François Couruol, adjoint municipal, pour lui demander de dissoudre son
mariage. Mais il lui faut au préalable enregistrer l'acte de notoriété à Chabeuil,
chef-lieu du canton : c'est chose faite le 20 juin. Il faut également
avertir officiellement le mari absent : le dénommé Regnaud s'en charge le
26 juin, à son dernier domicile connu à Peyrus, sans résultat, évidemment.
Le 6 juillet, en présence de Marie Nicolas et de quatre
témoins, François Couruol constate donc que Pierre Roux ne s'est pas présenté à
la convocation à la date ni à l'heure fixées ; il prononce la dissolution
du mariage. Il est intéressant de noter qu'il fait référence au contrat passé
devant notaire, une semaine avant la bénédiction nuptiale, et non pas à la
cérémonie religieuse proprement dite, inscrite dans le registre paroissial par
le curé. Cérémonie à laquelle il avait d'ailleurs participé en tant que témoin.
Il commet en outre une erreur, qui échappe apparemment à
toutes les personnes présentes, puisqu'il date l'acte notarié du "vingt-quatre janvier nonante trois",
et non pas du 24 janvier 1792. Peu importe. Pierre Roux et Marie Nicolas
sont désormais "libres de leur
personne et de leurs biens".
Douze jours plus tard, le 18 juillet à l'heure de midi, le
même François Couruol, à nouveau sollicité, publie les bans du futur mariage
entre Antoine Morel et Marie Nicolas et fait afficher la publication à l'arbre
de la liberté ! Tiens, donc.
Enfin, le 22 juillet à neuf heures du soir, c'est-à-dire
six jours après la publication des bans et non pas huit comme le prévoit pourtant
le décret, mais nous n'en sommes pas à une erreur près, "Antoine Morel et Marie Nicolas sont unis en
mariage", devant témoins. Ils en profitent pour reconnaître Jean
Antoine, né seize mois plus tôt, comme leur enfant légitime. J'y reviendrai,
c'est une affaire à rebondissements.
Cinq semaines se sont écoulées entre la rédaction de l'acte
de notoriété nécessaire au divorce et le remariage de Marie Nicolas. Une
affaire rondement menée !
Un peu d'histoire
C'est une loi du 20 septembre 1792 qui a introduit en
France la possibilité de dissoudre le mariage par un divorce. Outre le
consentement mutuel ou l'incompatibilité d'humeur et de caractère alléguée par
l'un des époux, sept motifs peuvent être invoqués :
- La démence, la folie ou la fureur,
- La condamnation d'un des époux à une peine afflictive ou infamante,
- Des sévices ou mauvais traitements,
- Le dérèglement notoire des mœurs,
- L'abandon depuis deux ans au moins,
- L'absence d'un des époux, sans nouvelle depuis cinq ans au moins,
- L'émigration.
C'est donc sur le motif d'absence, sans nouvelle depuis cinq
ans au moins, que s'est appuyée Marie Nicolas pour demander le divorce. Un
rapide calcul me conduit à penser que Pierre Roux a sans doute quitté Peyrus fin
1792 ou début 1793, dans l'année qui a suivi son mariage : volontaire dans
les armées de la République ? c'est plus ou moins évoqué dans l'acte de
naissance de Jean Antoine, mais je n'ai pas encore eu le temps de creuser la
question.
Les recherches dans
les archives numérisées de la Drôme
Marie Nicolas n'est autre que la mère de François Morel, dont
j'ai déjà parlé à plusieurs reprises(1).
Elle fait partie de mes ancêtres à la sixième génération, du côté maternel (Sosa 53).
J'ai rencontré son nom pour la première fois dans l'acte de
naissance de François Morel, daté du premier frimaire an IX, transmis par
un bénévole de l'entraide FranceGenWeb, à mes débuts en généalogie.
J'ai pu pousser plus loin les recherches dès que les
archives de la Drôme ont été mises en ligne. Avec un seul hic : pas de registres
d'état civil, tout du moins pour Peyrus, avant l'an XI, seules les tables
décennales étaient disponibles. Donc pas d'acte de mariage, ni d'acte de
naissance pour les années 1793 à 1802, seulement des dates…
Et puis, j'ai eu l'idée d'un billet sur Jean Antoine Morel, le
frère aîné de François (qui s'est d'abord appelé Jean Antoine Roux), et j'ai
voulu vérifier deux ou trois trucs. Et là, bingo ! J'ai découvert que le site
s'était enrichi à mon insu ; de nouveaux registres avaient été
numérisés ; au détour d'une page, j'ai lu l'acte de divorce de Marie
Nicolas et comme c'était mon jour de chance, l'acte de notoriété rédigé par le
notaire était resté intercalé entre les feuilles du registre. J'ai également trouvé
les bans et l'acte de mariage qui me manquaient. D'où ce billet, en attendant
celui initialement prévu.
Oh ! aujourd'hui je viens d'écrire sur mon AGM qui a pour nom : "Marie Nicolas" . Ce nom n'est pas rare, mais quelle coincidence !
RépondreSupprimerBravo pour ce billet.
Une femme de caractère ! il fallait bien qu'elle trouve une solution !
RépondreSupprimeret elle était peut être la première de la commune à demander le divorce
Dans l'Aisne, une sœur d'un de mes ancêtres a aussi utilisé ce nouveau droit vers 1795 environ,
Fanny-Nésida