Le 8 janvier 1817, Antoine Maurice Apollinaire
d'Argout, préfet du département des Basses-Pyrénées, prit sa plume et requit
Charles Marie de Perpigna, maire de Pau, de recenser ses administrés. Les
opérations de recensement, instituées par la loi du 22 juillet 1791,
avaient été quelque peu négligées dans le département depuis plusieurs années
et il était grand temps d'y remédier.
Le corps municipal prit ses dispositions : il désigna
trente-six commissaires, soit seize équipes de deux hommes, à qui furent
affectées des rues et des places, et un groupe de quatre hommes pour les
hameaux alentour.
Je n'en suis pas certaine, mais il est probable que deux de
mes ancêtres participèrent aux opérations. Un certain monsieur Filhon, marchand
(François, Jean ou Antoine ?), fit équipe avec monsieur Laprune fils, pour
relever les noms des habitants d'une partie de la rue Royale, de la place
Gassion et de la rue Polidor. Un monsieur Dabadie aîné (sans doute Jacques,
employé aux bureaux de la préfecture) fut associé à monsieur Francès aîné pour
les rues Corisande, de Guiche, d'Etigny, d'Espalungue, Basse du Château (sans
oublier l'intérieur de celui-ci), Marca, des Ponts, de l'Ecorcherie, la place
Basse Ville, le cul-de-sac du Gave et la côte du Moulin !
Il fallait de l'instruction, assortie d'une honnête
notoriété, j'imagine, pour aller toquer chez les gens, les interroger et coucher
sur le papier les informations ainsi collectées.
Recensement de 1817 Archives municipales de Pau, 1F2/1 Vue 9/371 |
Le registre qui en résulte, disponible en ligne sur le site
des Archives de Pau, comprend 371 vues, y compris une dizaine de pages
liées à la numérisation. Sa lecture est instructive pour qui s'intéresse à
l'histoire locale. Elle commence par la requête du préfet, par l'arrêté
préfectoral fixant les modalités du recensement et par la liste des
commissaires ; elle s'achève par le certificat du maire, en date du
18 août 1817, qui atteste du nombre des habitants de la ville de
Pau : 10 811. Suit une table alphabétique des rues, une soixantaine,
avec renvoi aux folios qui les concernent.
Les relevés sont recopiés d'une belle écriture à la plume,
page après page, selon un tableau à sept colonnes :
- Noms des maisons (comprendre les propriétaires des bâtiments),
- Numéros des maisons (comptage par rue),
- Numéros des individus (pour obtenir le total certifié de 10 811),
- Noms et prénoms des individus de chaque maison,
- Âge (à considérer avec précaution),
- État ou profession des individus de chaque maison,
- Nombre de maisons (qui aboutit à un total général de 1183).
Le recensement étant une opération de comptage exhaustif,
cela donne lieu à quelques surprises. Quelques exemples…
Il semble que l'intérieur du château[1]
était occupé (squatté ?). Outre le concierge, son épouse et leurs enfants,
j'y dénombre plusieurs foyers : un menuisier, un garde forestier, un
cordonnier, un tisserand, deux huissiers, ces personnes avec leurs familles, au
moins deux couturières, quelques femmes âgées et même une mendiante.
Entrée du château de Henri IV à Pau, 1827, Fonds Ancely Source Wikimedia Commons |
De la même manière, le collège royal[2]
a été scrupuleusement dénombré avec ses pensionnaires : le proviseur, le
censeur des études, quatre professeurs, quatre maîtres d'études, un aumônier,
un cuisinier, un portier, cinq domestiques et près d'une centaine d'élèves,
dont le plus âgé avait vingt-et-un ans et le plus jeune huit ans.
L'institution Sainte-Ursule[3]
n'abritait pour sa part que six religieuses, de quarante-deux à
quatre-vingt-trois ans, quatre pensionnaires, une fille de service et deux
autres femmes, dont les attributions ne sont pas précisées. L'anticléricalisme
de la Révolution était passé par là et les autres couvents avaient disparu.
Sont également recensées la maison de justice[4]
(185 détenus, outre les concierges et les guichetiers) et la maison
d'arrêt[5]
(81 détenus, outre le concierge, son épouse et trois guichetiers). Mais ce
qui laisse le plus songeur est sans doute le dépôt de mendicité[6],
près d'une centaine de personnes nommément désignées, avec ces indications en
marge : démence, folie, épilepsie, orphelin, ainsi qu'un nombre
impressionnant de femmes qualifiées de "vénériennes" !
Au début du XIXe siècle, la ville de Pau était
une modeste préfecture, avec son lot de misères…
[1]
Sur Wikipédia, je relève ce commentaire : "Bien que préservé de la démolition sous la Révolution, le château
arrive en piteux état lorsque Louis-Philippe décide d'entièrement le restaurer."
[2]
Fondé par lettres patentes de Louis XIII et confié à des Jésuites en 1622,
à des séculiers en 1766, puis à des Bénédictins en 1778, il fut provisoirement
fermé en 1793. Lycée impérial à compter de 1808, puis à nouveau collège royal
sous la Restauration, c'est aujourd'hui le lycée Louis-Barthou.
[3]
Institution pour l'enseignement des jeunes filles, fondée par des religieuses
Ursulines venues de Dax à la demande de l'évêque de Lescar en 1675, fermée sous
la Révolution, de retour à Pau en 1804. Existe toujours aujourd'hui.
[4]
Établissement destiné à recevoir les accusés, c'est-à-dire les personnes
poursuivies pour un crime passible de la cour d'assises.
[5]
Établissement destiné à recevoir les prévenus, c'est-à-dire les personnes
poursuivies pour une contravention ou un délit.
[6]
Établissement destiné à recevoir les mendiants, vagabonds et prostituées, il
s'apparenterait plus à un hospice qu'à un lieu de répression.
Intéressante mise en lumière d'un recensement d'une cité
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