lundi 1 octobre 2018

Un recensement à Pau sous la Restauration

Le 8 janvier 1817, Antoine Maurice Apollinaire d'Argout, préfet du département des Basses-Pyrénées, prit sa plume et requit Charles Marie de Perpigna, maire de Pau, de recenser ses administrés. Les opérations de recensement, instituées par la loi du 22 juillet 1791, avaient été quelque peu négligées dans le département depuis plusieurs années et il était grand temps d'y remédier.

Le corps municipal prit ses dispositions : il désigna trente-six commissaires, soit seize équipes de deux hommes, à qui furent affectées des rues et des places, et un groupe de quatre hommes pour les hameaux alentour.

Je n'en suis pas certaine, mais il est probable que deux de mes ancêtres participèrent aux opérations. Un certain monsieur Filhon, marchand (François, Jean ou Antoine ?), fit équipe avec monsieur Laprune fils, pour relever les noms des habitants d'une partie de la rue Royale, de la place Gassion et de la rue Polidor. Un monsieur Dabadie aîné (sans doute Jacques, employé aux bureaux de la préfecture) fut associé à monsieur Francès aîné pour les rues Corisande, de Guiche, d'Etigny, d'Espalungue, Basse du Château (sans oublier l'intérieur de celui-ci), Marca, des Ponts, de l'Ecorcherie, la place Basse Ville, le cul-de-sac du Gave et la côte du Moulin !

Il fallait de l'instruction, assortie d'une honnête notoriété, j'imagine, pour aller toquer chez les gens, les interroger et coucher sur le papier les informations ainsi collectées.

Recensement de 1817
Archives municipales de Pau, 1F2/1 Vue 9/371

Le registre qui en résulte, disponible en ligne sur le site des Archives de Pau, comprend 371 vues, y compris une dizaine de pages liées à la numérisation. Sa lecture est instructive pour qui s'intéresse à l'histoire locale. Elle commence par la requête du préfet, par l'arrêté préfectoral fixant les modalités du recensement et par la liste des commissaires ; elle s'achève par le certificat du maire, en date du 18 août 1817, qui atteste du nombre des habitants de la ville de Pau : 10 811. Suit une table alphabétique des rues, une soixantaine, avec renvoi aux folios qui les concernent.

Les relevés sont recopiés d'une belle écriture à la plume, page après page, selon un tableau à sept colonnes :
  • Noms des maisons (comprendre les propriétaires des bâtiments),
  • Numéros des maisons (comptage par rue),
  • Numéros des individus (pour obtenir le total certifié de 10 811),
  • Noms et prénoms des individus de chaque maison,
  • Âge (à considérer avec précaution),
  • État ou profession des individus de chaque maison,
  • Nombre de maisons (qui aboutit à un total général de 1183).

 J'ai bien entendu feuilleté virtuellement le registre page par page, à la recherche, d'ailleurs couronnée de succès, de certains de mes ancêtres. Notons au passage que les épouses ou les veuves sont apparemment désignées sous le patronyme de leur mari, ce qui nécessite parfois quelques vérifications.

Le recensement étant une opération de comptage exhaustif, cela donne lieu à quelques surprises. Quelques exemples…

Il semble que l'intérieur du château[1] était occupé (squatté ?). Outre le concierge, son épouse et leurs enfants, j'y dénombre plusieurs foyers : un menuisier, un garde forestier, un cordonnier, un tisserand, deux huissiers, ces personnes avec leurs familles, au moins deux couturières, quelques femmes âgées et même une mendiante.

Entrée du château de Henri IV à Pau, 1827, Fonds Ancely
Source Wikimedia Commons

De la même manière, le collège royal[2] a été scrupuleusement dénombré avec ses pensionnaires : le proviseur, le censeur des études, quatre professeurs, quatre maîtres d'études, un aumônier, un cuisinier, un portier, cinq domestiques et près d'une centaine d'élèves, dont le plus âgé avait vingt-et-un ans et le plus jeune huit ans.

L'institution Sainte-Ursule[3] n'abritait pour sa part que six religieuses, de quarante-deux à quatre-vingt-trois ans, quatre pensionnaires, une fille de service et deux autres femmes, dont les attributions ne sont pas précisées. L'anticléricalisme de la Révolution était passé par là et les autres couvents avaient disparu.

Sont également recensées la maison de justice[4] (185 détenus, outre les concierges et les guichetiers) et la maison d'arrêt[5] (81 détenus, outre le concierge, son épouse et trois guichetiers). Mais ce qui laisse le plus songeur est sans doute le dépôt de mendicité[6], près d'une centaine de personnes nommément désignées, avec ces indications en marge : démence, folie, épilepsie, orphelin, ainsi qu'un nombre impressionnant de femmes qualifiées de "vénériennes" !

Au début du XIXe siècle, la ville de Pau était une modeste préfecture, avec son lot de misères…


[1] Sur Wikipédia, je relève ce commentaire : "Bien que préservé de la démolition sous la Révolution, le château arrive en piteux état lorsque Louis-Philippe décide d'entièrement le restaurer."

[2] Fondé par lettres patentes de Louis XIII et confié à des Jésuites en 1622, à des séculiers en 1766, puis à des Bénédictins en 1778, il fut provisoirement fermé en 1793. Lycée impérial à compter de 1808, puis à nouveau collège royal sous la Restauration, c'est aujourd'hui le lycée Louis-Barthou.

[3] Institution pour l'enseignement des jeunes filles, fondée par des religieuses Ursulines venues de Dax à la demande de l'évêque de Lescar en 1675, fermée sous la Révolution, de retour à Pau en 1804. Existe toujours aujourd'hui.

[4] Établissement destiné à recevoir les accusés, c'est-à-dire les personnes poursuivies pour un crime passible de la cour d'assises.

[5] Établissement destiné à recevoir les prévenus, c'est-à-dire les personnes poursuivies pour une contravention ou un délit.

[6] Établissement destiné à recevoir les mendiants, vagabonds et prostituées, il s'apparenterait plus à un hospice qu'à un lieu de répression.

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