C'est le numéro que portait mon grand-père paternel Frédéric
Chancé, lorsqu'il était agent à la Compagnie du Métropolitain de Paris (CMP).
Frédéric Chancé, en uniforme de la CMP |
Il posa sa candidature durant l'été 1902 et fut engagé le
22 septembre de la même année. Il avait alors déjà trente-sept ans, et fut
mis à la retraite, dix-huit ans plus tard, en 1920, lorsqu'il atteignit
cinquante-cinq ans. Ces informations, je les tiens de son dossier conservé par
les Archives de la RATP, mais si nous cherchions à en apprendre davantage ?
Quel poste ?
Première question qui me vient à l'esprit : quel poste
occupait-il dans cette jeune compagnie ? Rappelons-nous que la première
mise en service d'une ligne de métro à Paris avait eu lieu à peine deux ans
auparavant, alors que l'Exposition universelle de 1900 attirait des millions de
visiteurs.
Frédéric Chancé fut engagé comme garde de 3e
classe. À l'époque, l'organisation était la suivante :
- Un chef surveillant dans chaque station, chargé de superviser non seulement les installations et la vente des titres de transport, mais également le personnel des rames durant le stationnement,
- Des surveillants de quai, chargés d'aider à l'ouverture et à la fermeture des portes et de canaliser les voyageurs,
- Un receveur, préposé à la vente des billets,
- Un chef de train, responsable du personnel à bord (un conducteur, trois gardes intermédiaires et un garde arrière),
- Des gardes, pour assurer le service des portes (qui n'étaient pas automatiques), ainsi que la surveillance et la police à l'intérieur de la rame,
- Enfin un conducteur, pour la conduite du train et le petit entretien des motrices.
Mais il faut savoir qu'entretemps un drame était survenu. Le
10 août 1903, la catastrophe de Couronnes avait fait 84 morts à la
suite de l'incendie d'une rame sur la ligne 2 (Dauphine-Nation). L'accident mit en évidence une série d'éléments
à rectifier d'urgence : matériel roulant en bois hautement inflammable,
personnel livré à lui-même, installations électriques non sécurisées, absence
d'éclairage de secours, absence de postes d'incendie… les victimes furent en
majorité asphyxiées par les fumées alors qu'elles stationnaient sur le quai
pour réclamer le remboursement des billets et que, dans la panique et
l'obscurité, elles tentèrent de s'échapper du côté opposé à la sortie !
L'exploitation fut entièrement revue, avec la création de
deux services, celui de la Traction (agents de conduite) et celui du Mouvement
(agents sédentaires et agents d'accompagnement des trains) et la mise en place d'un
personnel d'encadrement.
Je ne suis pas sûre que mon grand-père ait apprécié cette
organisation quasi militaire, lui qui, lors du conseil de révision, fut ajourné
à deux reprises pour faiblesse de constitution et finalement classé dans les
services auxiliaires. La lecture de son dossier fait apparaître un certain
nombre d'incidents qui lui furent imputés, assortis de pénalités financières. Certains
nous paraîtraient bien dérisoires aujourd'hui : "signal de départ trop hâtif", "n'a pas porté la notification de l'heure sur son rapport",
"manque de tact dans une réclamation
de voyageur"…
Sur quelle
ligne ?
Deuxième question qui me vient à l'esprit : sur quelle
ligne mon grand-père était-il affecté ? Lors de son entrée dans la
compagnie, seules deux lignes étaient en service :
- La ligne 1 traversait Paris d'est en ouest sur la rive droite, de la Porte de Vincennes à la Porte Maillot ; huit stations avaient été ouvertes au public le 19 juillet 1900, les suivantes le furent entre le 6 août et le 1er septembre.
- La ligne 2 suivait le tracé de l'ancien mur des Fermiers généraux dans sa partie nord, de Porte Dauphine à la place de la Nation ; elle fut mise en service par tranches successives entre 13 décembre 1900 et le 2 avril 1903.
Frédéric Chancé travailla donc nécessairement sur l'une de
ces deux premières lignes. Mais les stations citées dans son dossier me font
penser que son activité se déroula majoritairement sur la ligne 3, qui
bénéficiait des nouvelles mesures de sécurité, prises à la suite de la
catastrophe de la station Couronnes :
- Le premier tronçon, qui reliait Villiers à Gambetta, entra en service le 19 octobre 1904 de Villiers au Père Lachaise et le 25 janvier suivant jusqu'à Gambetta.
- De nouvelles stations en direction de la Porte Champerret (Malesherbes, Wagram, Pereire) furent ouvertes entre mai 1910 et février 1911.
L'exploitation du métro parisien a certes changé depuis cent
ans, mais j'ai connu l'époque où les chefs de station, reconnaissables à la
coiffe blanche recouvrant leur casquette, disposaient d'un bureau vitré sur le
quai de la station. J'ai également connu les chefs de train, debout en tête de
rame, qui passaient une tête par l'ouverture et jetaient un dernier coup d'œil
sur le quai, avant de commander la fermeture des portes.
Et j'ai désormais une pensée pour mon grand-père quand
j'emprunte la ligne 3…
Sources
Jean Tricoire, Un
siècle de métro en 14 lignes, de Bienvenüe à Meteor, La Vie du Rail,
1999, 351 pages, abondamment illustré
Jean-Claude Demory, Le
métro de chez nous, Éditions MDM, 1997, 143 pages, majoritairement
constitué de photos
Bel article, avec beaucoup d'émotion. Je garde en mémoire la sonorité et la belle désuétude des rames en bois des années 70. Bises >Jean-Luc
RépondreSupprimerTu veux sans doute parler des sièges et peut-être des portes, car il me semble que la caisse des voitures était métallique…
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJ'ai effectivement connu il y a une trentaine d'années la ligne 9 avec les bancs en bois. Mais, si je me souviens bien, la caisse des voitures était métallique.
Merci pour cet article rendant hommage à votre grand-père paternel ! Je garde également un souvenir nostalgique de mon bref passage à Paris en tant qu'utilisatrice (1969-71), surtout pour l'amabilité du personnel. A Londres, ensuite, ce fut bien différent...
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