Je ne doute pas un seul instant des trésors que recèle la
presse ancienne en matière généalogique, mais il se trouve que mes ancêtres
sont éparpillés sur une quinzaine de départements. Or très peu d'entre eux ont
numérisé la presse locale ; le Maine-et-Loire et la Vendée, assurément,
mais les autres ?
C'est donc grâce à Geneanet que j'ai eu accès à des annonces
judiciaires parues dans le Journal de la Drôme et dans le Courrier de la Drôme
et de l'Ardèche(1). Et
que j'en ai appris un peu plus sur le patrimoine d'Antoine Morel (mon
Sosa 52) et sur le caractère de son fils aîné, Jean Antoine, le tout par
le biais d'une saisie immobilière et d'une vente par expropriation forcée.
Extrait d'une carte du département de la Drôme, 1803 Source Gallica.bnf.fr |
Le premier article, paru dans le Courrier de la Drôme et de
l'Ardèche du 23 avril 1839, décrit les biens qui font l'objet de la saisie
et qui seront à nouveau détaillés dans les parutions postérieures :
- Une maison d'habitation située dans la grande rue de Peyrus et son jardin attenant ; au rez-de-chaussée une boutique et une cuisine, au premier étage plusieurs chambres (dont le nombre n'est pas précisé), au second un galetas, c'est-à-dire une méchante pièce sous les combles. Si j'ai bien compris, la maison occupe une surface au sol de 50 m2 et le jardin fait à peu près 100 m2.
- Une autre maison avec un jardin contigu, située à côté de la première et servant d'auberge ; au rez-de-chaussée une boutique, un salon et une écurie sur le devant, une cuisine, une "écurie pour les menus bestiaux", une cave et une basse-cour à l'arrière, un premier étage et un galetas sous le toit. Le tout occupant une superficie de 240 m2.
- Un fonds de terre labourable sur la commune de Peyrus, "ensemencé en blé, complanté en noyers", d'une surface de 6 920 m2, dans le quartier des Huguets.
Cela confirme donc le fait qu'Antoine Morel était aubergiste
à la fin de sa vie, après avoir été successivement qualifié de foulonnier(2),
de cultivateur, de marchand et de cabaretier dans les différents actes d'état
civil où son nom apparaît. Et qu'il ne sut jamais signer.
La description des biens figure dans le procès-verbal de
l'huissier qui procède à la saisie le 15 avril 1839, en présence de
l'adjoint au maire de Peyrus et du greffier de la justice de paix du canton de
Chabeuil.
Or Antoine Morel est décédé quelques jours avant, le 2 avril.
Il semble donc que Jean Joseph Archinard, Jean François Régis Archinard, tous
deux menuisiers, et leur mère Suzanne Elisabeth Juge, veuve d'Antoine
Archinard, aient voulu préserver leurs intérêts lors de l'ouverture de la
succession. Ils détiennent une créance, dont le montant n'est pas précisé, et
requièrent la saisie à l'encontre de Jean Antoine Morel, à l'époque voiturier,
fils aîné de l'aubergiste.
L'affaire a dû finalement se régler à l'amiable, puisque les
biens sont toujours entre les mains de la famille Morel lorsque, le
4 janvier 1840, un nouvel huissier vient toquer à la porte. Cette fois à
la requête de MM. Couvert jeune et Cie, négociants à Lyon. Eux aussi
semblent rencontrer des difficultés à se faire payer par Jean Antoine,
désormais qualifié de propriétaire et de marchand.
Nouvel inventaire des biens saisis. Outre les deux maisons
et le fonds de terre labourable, maintenant "complanté de quelques mûriers et noyers", figurent sur la
liste une lande de 10 100 m2 en bordure du torrent (quartier
de Péméa), une terre de 2 775 m2 ensemencée en sainfoin(3)
(quartier des Petites Perouses), une terre inculte de 1 845 m2
(même quartier des Petites Perouses) et une autre terre de 3 551 m2,
dont la moitié en prairie, sur la commune voisine de Châteaudouble (quartier du
Petit-Lierne).
Si je précise ainsi les lieux où se trouvent les terres,
c'est qu'à ma grande surprise, ces noms figurent sur le site de Géoportail,
lorsque l'on clique sur l'option "Parcelles cadastre" !
Mais revenons à notre saisie immobilière : nous
apprenons au passage que la première maison est habitée par la veuve Morel,
mère du saisi. Il s'agit de Marie Nicolas, qui a maintenant soixante-huit ans
et qui décèdera deux jours après le passage de l'huissier. Faut-il y voir une
relation de cause à effet ? nous ne le saurons jamais, mais il est permis
de se poser la question.
La procédure se poursuit au cours des mois suivants :
publications successives du cahier des charges aux audiences du tribunal civil
de Valence, adjudication préparatoire aux poursuivants, annonce de
l'adjudication définitive prévue à l'audience des criées du 15 juin 1840…
Entretemps, les autres héritiers Morel interviennent et
s'opposent à la saisie. Je reconnais au passage François Morel, mon
arrière-arrière-grand-père, à l'époque aide-major au 28e régiment
d'infanterie de ligne, sa sœur Émilie, mariée avec Antoine Rostaing et
demeurant à Chabeuil, et son autre sœur, religieuse.
L'affaire se complique quand un certain
François-Elizabeth-Benoît-Ennemond de Lambert (!), rentier, fait valoir une
créance sur le père, en vertu d'un acte passé devant notaire en janvier 1837.
Il se manifeste, tardivement, en juillet 1840, auprès des héritiers. Mais se
voit refuser la saisie des immeubles par le conservateur des hypothèques, les
biens immobiliers en question faisant déjà l'objet d'une saisie de la part des
sieurs Couvert.
Je passe sur les péripéties de la procédure, les requêtes
d'avoué à avoué, la demande de subrogation, le jugement qui déboute les
héritiers Morel de leur demande d'opposition, tout un vocabulaire juridique qui
ne facilite pas la compréhension !
Finalement, le 25 octobre 1841, Victor Alphonse
Charignon, propriétaire et négociant à Peyrus, acquiert les lots 2, 4, 5 et 6
(la maison servant d'auberge et trois terrains) pour la somme de
8 700 francs. Il s'agit là des biens ayant appartenu à Antoine Morel
père, qui permettent donc de régler la dette envers le sieur de Lambert.
Les autres lots, c'est-à-dire la petite maison, la lande en
bordure du torrent et le terrain sur la commune de Châteaudouble seront mis en
adjudication définitive à l'audience du 28 février 1842 pour régler la
dette du fils envers les sieurs Couvert.
Il me faudra consulter les archives judiciaires de la Drôme
pour connaître le fin mot de l'histoire, mais j'ai d'ores et déjà le sentiment
que les relations entre Jean Antoine, le fils aîné, et le reste de la famille
devaient être parfois orageuses ! Et j'ai une idée du patrimoine ainsi dispersé,
en raison de l'incapacité de certains de mes ancêtres à régler leurs dettes à
l'échéance…
(1) Disponibles sur le site Mémoire
et actualité en Rhône-Alpes, à la rubrique Presse ancienne.
(2) Artisan qui foule les draps et autres étoffes de laine. Au XVIIIe
siècle, Peyrus avait développé une importante activité dans le domaine du
textile.
(3) Plante fourragère à fleurs roses, de la même famille que la luzerne.