lundi 21 septembre 2015

Un pacte de mariage en Bigorre (suite)

À la lumière de mes récentes acquisitions, j'ai repris la lecture du pacte de mariage entre Bernard Baritat et Marie Forcade, signé à Aucun le 29 octobre 1696.

Le montant de la dot

Dans un premier temps, j'ai déchiffré quelques mots supplémentaires, ce qui n'est pas pour me déplaire. J'ai ensuite examiné de plus près la dot constituée par Gabriel Forcade et Domengea d'Abadie en faveur de leur fille Marie. Elle s'élève à 1 070 écus petits, moitié en argent et moitié en bétail sain et marchand.

Page du pacte de mariage où est indiquée la dot de Marie Forcade

Selon Roger Castetbon(1), l'écu petit vaut 27 sols, alors que la livre, dont il est également question dans le document notarié, ne vaut que 20 sols. Le montant global de la dot est donc légèrement supérieur à 1 444 livres, ce qui est une somme importante, si j'en juge par l'auteur d'Autour du mariage, qui a étudié 105 contrats et qui a constaté que deux tiers des dots de l'échantillon étaient inférieures à 400 livres.

Les modalités de paiement

Une partie de la dot, correspondant à 500 livres, est payable "de jour en jour" : faut-il comprendre immédiatement, dans la mesure où le solde est réparti sur les six années à venir ? je le pense. Toutefois, les parents de Marie Forcade ne déboursent pas la totalité des 500 livres, car ils incluent dans cette somme un capital de 335 livres, sous forme de "rente constituée au denier dix-huit". De quoi s'agit-il ?

Rappelons-nous que l'Église a longtemps regardé d'un œil suspicieux le prêt à intérêt. La constitution de rente est donc une forme de prêt un peu particulière : le prêteur ne peut en exiger le remboursement (il s'agit d'une rente dite perpétuelle), alors que l'emprunteur peut s'en libérer à tout moment, en remboursant le capital.

Cette rente présente en outre les caractéristiques suivantes, selon Wikipédia : elle est échangeable (ce que font les parents de Marie Forcade en l'utilisant comme mode de paiement de la dot) et elle est garantie par un bien immobilier, qui peut être saisi au premier incident de paiement. Il y est d'ailleurs fait allusion plus loin dans le pacte de mariage.

Passons à l'expression "au denier dix huit". C'est une façon un peu hypocrite de nommer le taux d'intérêt par son inverse : le denier dix-huit correspond à un taux annuel de 5,55 % (soit 100/18), comme le denier vingt correspondrait à un taux de 5 % (100/20).

Le restant de la dot est payable à chaque Saint-Michel. Les cinq années à venir, de 1697 à 1701, les parents de Marie Forcade s'engagent à verser 100 écus en bétail et 27 écus 16 sols en argent. La sixième année, en 1702 donc, ils verseront 35 écus en argent et 35 écus en bétail.

Vous me connaissez, vieux réflexe professionnel, j'ai vérifié : s'ils respectent leurs obligations, ils auront finalement versé 225 sols de plus que la somme initialement définie ! Une façon astucieuse de rémunérer le délai obtenu sans le dire ?

La transmission du patrimoine

Le pacte de mariage prévoit également que le premier enfant du couple, mâle ou fille, héritera des biens des mariés. C'est le principe de la "maison" pyrénéenne, évoqué dans un précédent billet(2). La mortalité infantile étant fort élevée à l'époque, si l'aîné n'est plus de ce monde au moment de l'héritage, ce sera l'un des suivants, toujours selon l'ordre de primogéniture.

Enfin, les plus jeunes, qualifiés ici de puînés, seront "légitimés". Attention, pas de contresens, cela veut tout simplement dire qu'ils recevront une "légitime" lors de leur mariage, c'est-à-dire une dot. Tout comme Marie, qui devait être une cadette de la maison Forcade…

Et comme il ne faut négliger aucune éventualité, s'il n'y avait aucun enfant survivant, "en cas de défaut de succession ou autre cas de retour", le capital ainsi que l'ameublement (dans l'état où il se trouvera, c'est précisé dans le contrat) seraient restitués à la famille Forcade. C'est le principe de la "tournedot".

Me voici un peu plus au fait des coutumes pyrénéennes…



(1) Roger Castetbon, Autour du mariage, La vie d'antan en Béarn et autres lieux – II, Centre généalogique des Pyrénées-Atlantiques, 2011, 195 pages

(2) Voir "Des ancêtres qui donnent du fil à retordre", publié le 13 juillet 2015.

2 commentaires:

  1. C'est ici que tes compétences en généalogie, certes, et histoire et aussi en finances sont à leur top ! Continue à nous éclairer !

    RépondreSupprimer
  2. Brillante démonstration !

    Fanny-Nésida

    RépondreSupprimer

Votre commentaire sera publié après approbation.