Dans les archives
secrètes de la police : sur le comptoir du libraire, le livre(1),
sous-titré Quatre siècles d'Histoire, de
crimes et de faits divers, m'a attiré l'œil. Paru en format de poche chez
Folio, il comprend trois parties, L'argent, Le pouvoir et L'amour, elles-mêmes
subdivisées en différents thèmes (le vol, le meurtre, la combine, le crime
politique, la subversion, la rue, la prostitution, l'homosexualité et
l'adultère). Bref, tout un programme !
Sous la direction de Bruno Fuligni, une équipe d'écrivains,
d'historiens, de journalistes et d'experts de tout poil évoque nombre
d'affaires qui ont laissé des traces dans les archives de la Préfecture de
police de Paris.
Certains épisodes sont fort connus : l'affaire du
collier de la reine, celle du courrier de Lyon, Landru, Violette Nozières, le
docteur Petiot, la mort suspecte d'Emile Zola, l'assassinat de Jaurès, la bande
à Bonnot, l'incendie du Bazar de la Charité, Ferdinand Lop, les amours
tumultueuses de Verlaine et de Rimbaud, le crime de l'impasse Ronsin, les
démêlés de Colette et de Willy…
Le récit qui m'a néanmoins décidée à acquérir l'ouvrage ne
fait que trois pages. Il est intitulé Une
épouse bafouée, Mme Falguière contre les "donzelles".
De quoi s'agit-il ? Au cours de l'été 1891, le
sculpteur Alexandre Falguière, bientôt soixante ans, s'éprend d'un de ses
jeunes modèles féminins, au grand dam de son épouse qui adresse deux missives
au Préfet de police. Celle-ci craint que le mari volage ne dilapide l'argent du
ménage avec la jeune femme et sa sœur. Tout semble cependant rentrer dans
l'ordre en quelques jours, sans que l'on sache vraiment la nature de
l'intervention policière.
Mais vous ne connaissez peut-être pas Alexandre
Falguière ? Laissez-moi vous conter une partie de son histoire. C'est un
sculpteur et, de façon plus occasionnelle, un peintre, élève du sculpteur
Carrier-Belleuse. Il obtint un grand prix de Rome de sculpture en 1859,
devint à son tour professeur à l'Ecole
des Beaux-Arts et fut membre de l'Institut. Parmi ses élèves, le plus connu fut
sans conteste Antoine Bourdelle.
Pour se faire une idée de son œuvre, après avoir admiré le
Balzac assis sur son banc au carrefour de l'avenue de Friedland et de la rue
Balzac, passez sur la rive gauche et faites un tour au musée d'Orsay. Vous y
trouverez dans l'allée centrale Le
vainqueur au combat de coqs (en bronze) et le Tarcisius, martyr chrétien (en marbre). Sans oublier la gigantesque
statue en fonte sur le parvis du musée, qui figure L'Asie, au milieu des autres continents, bizarrement au nombre de
six, l'Amérique du nord et l'Amérique du sud ayant chacune droit à leur propre
effigie.
Je pourrais également évoquer les allégories L'Épargne et Le Travail, au fronton des grands magasins Dufayel, dans le 18e
arrondissement, mais je ne suis pas sûre qu'elles aient survécu aux
transformations de l'immeuble jusqu'à nos jours. Il existe bien sûr d'autres œuvres
de Falguière à Toulouse, sa ville natale, à Cahors, à Marseille ou à Rouen. Et
même à l'étranger, comme une statue de Lafayette à Washington ou une autre à la
gloire de Gambetta à Saigon (monument aujourd'hui disparu, semble-t-il). Un
sculpteur prolifique, donc, qui bénéficia de nombreuses commandes publiques.
Je retiendrai pour ma part une Diane chasseresse posée en
équilibre instable sur un radiateur, dans l'appartement de Mamanbelle, et un
autoportrait grand format de l'artiste dans des teintes sombres, qui occupait
tout un panneau de son salon, à gauche de la cheminée. Ici, brève séquence
nostalgie… Mamanbelle, c'est ainsi que j'appelais ma marraine, Yvonne
Falguière.
J'ajouterai qu'Alexandre Falguière a une rue, une place et
une station de métro à son nom à Paris, ce qui m'impressionnait beaucoup quand
j'étais enfant ! Pourquoi ? parce que c'était aussi le patronyme
d'une de mes tantes. La plus jeune sœur de ma mère, Jacqueline, avait en effet épousé
l'un des petits-fils du sculpteur.
Généalogie, nous revoilà. Grâce aux Archives de Paris en
ligne et à la base Léonore qui, comme vous le savez certainement, permet
d'accéder aux dossiers de la Légion d'honneur, j'ai collecté sans difficulté quelques
informations supplémentaires.
Jean Alexandre Joseph Falguière est né le 7 septembre
1831 à Toulouse, où son père était ébéniste. Joseph Falguière et son épouse
Marie Anne Boutellié habitaient alors rue Valade, cette rue qui part de la
place Saint-Pierre en direction de la basilique Saint-Sernin.
Chevalier de la Légion d'honneur en juin 1870, promu au
grade d'officier en octobre 1878 puis à celui de commandeur en octobre 1889,
par décret rendu sur rapport du ministre du Commerce, Alexandre Falguière ne
dédaignait apparemment pas les honneurs de la République. Le dossier contient
un courrier de sa main, où il énumère ses œuvres les plus fameuses.
Blanche Virginie Charlotte Veidie, la dame qui a écrit au
Préfet de police, de vingt ans sa cadette, lui a donné deux fils : Maurice
Alexandre Alfred, le 17 juillet 1875 (le père de mon oncle par alliance), et
Charles Jean Henri, le 17 novembre 1877, tous deux nés au domicile de leurs
parents, 68 rue d'Assas, à Paris.
Mais là où l'histoire ne manque pas de sel, c'est
qu'Alexandre et Blanche n'étaient pas encore mariés ! Les mentions en
marge des actes de naissance sont explicites : les deux garçons, dans un
premier temps officiellement reconnus par leurs deux parents le 6 décembre
1884, ont finalement été légitimés par le mariage de ces derniers le
2 août 1892 à Champs-sur-Marne. À peu près un an après les deux lettres
adressées par celle qui n'était pas encore officiellement Madame Falguière au
Préfet de police, donc.
Alexandre Falguière est décédé le 19 avril 1900 à Paris
et sa dépouille repose au cimetière du Père-Lachaise(2).
Celle de sa désormais légitime épouse également.
(1) Dans les archives secrètes de la police,
Quatre siècles d'Histoire, de crimes et de faits divers, sous la direction
de Bruno Fuligni, Gallimard, collection Folio n°5313, 2011, 550 pages
(2) Cimetière du Père Lachaise, 16, rue du Repos 75020 Paris, 4e division,
allée montante à droite du Monument aux Morts
j'adore la chute .... Ah ces dames de l'époque, qui une fois la situation régularisée devenaient des parangons de vertu .... J'en ai une aussi dans l'arbre de mes enfants, mais un peu trop proche encore pour que je la rhabille pour l'hiver :)
RépondreSupprimerEt tout est rentré dans l'ordre... Grâce à un acte de mariage ! Je me demande si, de nos jours, l'histoire aurait fini de la même manière ? En tout cas, bravo pour ce récit palpitant !
RépondreSupprimerMais c'est bien sûr !
RépondreSupprimerCe nom de Falguière me disait quelque chose ! La station de métro rue de Vaugirard !
Parisien très occasionnel, je ne m'étais jamais posé de question sur l'origine du nom de cette station, comme de beaucoup d'autres, d'ailleurs.
Merci pour cet excellent document qui m'a permis de faire connaissance avec cet excellent artiste. Je connais certaines de ses œuvres, mais j’en ignorais l’auteur qui reste trop méconnu.
A priori, ( peut-être dans l'anonymat de PARIS), au 19 ème siècle, les mariages " tardifs" avec reconnaissance ( exactes ou de complaisance) n'étaient pas aussi rares qu'on pourrait le penser; j'en ai quelques exemples dans ma branche paternelle et avec une arrière grand-mère qui, à priori jouait aussi les parangons de vertu!!
RépondreSupprimerDans le cas qui nous intéresse, les deux garçons avaient été déclarés comme enfants du couple dès leur naissance, mais comme celui-ci n'était pas marié, ils ont été dans un premier temps officiellement reconnus en 1884, puis finalement légitimés par le mariage des parents en 1892. Question d'héritage à venir, je pense…
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