Je savais qu'en dépit de l'ordonnance de Villers-Cotterêts
d'août 1539, certains ecclésiastiques s'étaient fait tirer l'oreille avant de
tenir les registres paroissiaux en français. Certains même n'hésitaient pas,
des décennies plus tard, à émailler leurs actes de locutions latines, sans
doute pour impressionner leurs ouailles. Mais une "mention insolite"
entièrement rédigée en latin au XVIIIe siècle ?
Jugez-en plutôt.
Nous sommes à Saint-Just-des-Verchers, à une lieue environ
au sud de Doué-la-Fontaine, dans l'actuel département du Maine-et-Loire, et
voici ce que je découvre au détour d'une page :
AD Maine-et-Loire, St. Just-des-Verchers, 1667-1742 vue 230/394 |
Certes, j'ai passé douze ans dans une école confessionnelle,
dont sept à m'user les yeux sur des versions latines, mais le gros dictionnaire
Gaffiot ne figure plus sur les étagères de ma bibliothèque depuis belle
lurette. Il m'a donc fallu ruser. Heureusement, nous vivons une époque
formidable, et Internet recèle des ressources insoupçonnées.
Voici tout d'abord le texte rédigé par Jacques Moreau, curé
de Saint-Just-des-Verchers :
"Sexta octobris die martis anni millesimi
septingentesimi decimi
primi hora octava circiter post meridiem terra bis tremuit ita violenter
ut laquearia, verum etiam domorum fundamenta commota fuerint
per totam noctem identidem in oriento sonitus subterraneos
audivimus : Dominus ab excidio nos custodiat, ejus iram peccata
provocant, poenitentia indulgentiam mercatur. Per Christum Dominum
nostrum. Amen. In cujus rei fidem hoc manu mea scripsi et subscripsi
J Moreau pastor Sti Justi de Verchi"
primi hora octava circiter post meridiem terra bis tremuit ita violenter
ut laquearia, verum etiam domorum fundamenta commota fuerint
per totam noctem identidem in oriento sonitus subterraneos
audivimus : Dominus ab excidio nos custodiat, ejus iram peccata
provocant, poenitentia indulgentiam mercatur. Per Christum Dominum
nostrum. Amen. In cujus rei fidem hoc manu mea scripsi et subscripsi
J Moreau pastor Sti Justi de Verchi"
Ce qui donne à peu près ceci dans la langue de
Molière :
"Le mardi 6 octobre de l'année 1711, sur les huit
heures du soir, la terre trembla par deux fois si violemment que les plafonds
et même les fondations des maisons furent déplacées. Durant toute la nuit à
plusieurs reprises à l'est on entendit un grondement souterrain. Que le
Seigneur nous garde de l'extermination, les péchés appellent sa colère, la
pénitence rachète l'indulgence. Par le Christ notre Seigneur, amen. En foi de
quoi, j'ai écrit et signé de ma main,
J. Moreau, curé de Saint-Just-des-Verchers"
Toujours grâce à Internet, j'ai appris qu'un tremblement de
terre avait effectivement eu lieu le 6 octobre 1711 dans la région. L'épicentre
se trouvait du côté de la ville de Loudun, à une quarantaine de kilomètres
environ à l'est de Saint-Just-des-Verchers, dans l'actuel département de la
Vienne. Son intensité, à ne pas confondre avec sa magnitude, fut de l'ordre
de 7 à 8 degrés. En d'autres termes, le séisme entraîna des
dommages sensibles aux habitations, vraisemblablement accompagnés de scènes de
frayeur ou de panique.
Le curé de Saint-Just, y voyant une expression de la colère
divine, en a manifestement profité pour inciter ses paroissiens à faire acte
de contrition.
Cherchez bien, vous trouverez peut-être des récits de la
même teneur dans cette zone située à la croisée de l'Anjou, de la Touraine et
du Poitou…
Sources
AD Maine-et-Loire, St. Just-des-Verchers, collection
communale 1667-1742, vue 230/394
Dictionnaire historique de Maine-et-Loire de Célestin Port,
édition originale en ligne sur le site des AD Maine-et-Loire, article sur les
Verchers
Wikipédia, Liste des séismes en France, y compris notes et
références sur les caractéristiques du séisme de Loudun du 6 octobre 1711
et les tremblements de terre entre Angers, Tours et Poitiers
Wikipédia, Échelle Medvedev-Sponheuer-Karnik ou échelle MSK
Félicitations ! Merci pour cette leçon de latin, d'histoire et sismologie..
RépondreSupprimerTrès intéressant, et belle démonstration !
RépondreSupprimerDans l'Aisne, au 18e à Camelin, au détour d'une page,
j'ai trouvé une annotation sur la durée d'un séisme
il faudra que je recherche l'année.
Nésida
ce n'est pas le même séisme, car c'était le 17 février 1759, 5mn 30
SupprimerNésida
Eh bien, je note la date, on ne sait jamais... car je fréquente pas mal les registres du Maine-et-Loire...
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ce partage !