La généalogie est une source inépuisable de découvertes.
Lorsque j'entamai des recherches sur mes ancêtres normands, je savais que
l'Église comme l'État réprouvaient les unions entre trop proches parents, mais je
n'avais pas approfondi la question. Jusqu'à ce que, au détour d'une page, je
tombe sur le texte suivant : "L'an mil sept cent cinquante quatre
le dix huit juillet nous soussigné curé de la paroisse de Notre Dame de
Touchet, avons réhabilité le mariage de Jean Toullier laboureur…". De quoi s'agissait-il ?
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Source : Archives départementales de la Manche |
Le texte(1), réparti
sur deux feuillets, long d'une page environ, très lisible (merci, monsieur le
curé), nous conte l'histoire par le menu. Jean Toullier et Martine Chancé se
sont mariés quelques années auparavant, le 15 février 1749, "toutes
les cérémonies de l'église légitimement observées et après la publication de
trois bans sans opposition et sans avoir connu à leur dit mariage aucun
empêchement civil ou canonique".
Jusque-là tout allait bien.
Le mari a 42 ans au moment où il convole et son épouse
seulement 23 ans, mais ce sont là choses relativement courantes à
l'époque. Le premier enfant s'annonce dès le 23 octobre 1749, soit huit
mois après le mariage, nous ne leur en tiendrons pas rigueur. C'est une fille
prénommée Anne. Viennent ensuite Jean Martin en novembre 1752, puis Jeanne
Renée Elisabeth (pourquoi cette débauche de prénoms tout à coup ?) en
février 1755, André en mai 1757, un petit Jean qui ne survit pas à son baptême
en février 1759, enfin un autre Jean en juillet 1763.
Mais, entre-temps, une difficulté surgit : en juillet
1754, les époux apprennent qu'ils sont "parents dans le quatrième degré
de consanguinité". Allons bon !
Un détour par Google, et me voici sur le blog de GeneaNet
qui relaie une réponse de la Chambre syndicale des généalogistes et héraldistes
de France (CSGHF) sur les réhabilitations de mariage. L'information date
d'avril 2005, mais elle n'a rien perdu de sa pertinence.
Il existe plusieurs empêchements possibles à la célébration
d'un mariage : la consanguinité jusqu'au 4e degré canonique, la
parenté spirituelle ou affinité (liens entre parrain, marraine, filleuls et
parents de ces derniers), la parenté civile (liens entre un veuf ou une veuve
et la parenté de l'époux défunt), l'honnêteté publique (?)(2)…
D'après le texte, Jean Toullier et Martine Chancé sont
parents au 4e degré selon le droit canon. Cela veut dire qu'ils
ont un ancêtre commun à la 4e génération, c'est-à-dire un
arrière-arrière-grand-parent commun ! Malheureusement, les registres
paroissiaux du Touchet, dont ils sont tous deux originaires, ne permettent pas
de remonter au-delà de mai 1687. Ce n'est pas suffisant pour reconstituer leur
arbre généalogique sur quatre générations.
À y regarder de plus près, je constate quand même que l'une
des arrière-grands-mères de Martine Chancé se nomme Martine Toullier. Si j'ai
bien compris le système des degrés canoniques, elle devrait avoir un frère qui
serait l'arrière-grand-père de Jean Toullier (vous me suivez toujours ?).
Bien, mais que se passe-t-il si le mariage a été célébré et
si l'empêchement a été connu après ? Eh bien, le mariage est
annulé. Soit, mais dit le texte de 1754, "duquel mariage ainsi
contracté et consommé dans la bonne foi, ils ont eu deux enfants qui sont
encore en vie" (parce que, si les
enfants n'avaient pas survécu, cela aurait changé quelque chose ?). Les
époux se tournent vers "Monseigneur l'évêque d'Avranches pour
obtenir dispense du quatrième degré de consanguinité aux fins de réhabiliter
leur mariage contracté dans leur bonne foi en mil sept cent quarante neuf".
C'est le vicaire général du diocèse, monsieur de
Saint-Germain, qui leur accorde la dispense le 16 juillet 1754. Ouf !
Le curé du Touchet peut procéder à une nouvelle célébration du mariage. Je
suppose que tout cela ne fut pas gratuit, bien entendu. Quatre témoins, dont un
prêtre, un notaire royal et un propriétaire signent au bas de l'acte de
réhabilitation.
Le couple eut finalement six enfants, avant que Jean
Toullier ne décède en 1765, à l'âge de 58 ans. Dans l'acte de sépulture,
il est qualifié de propriétaire au village des Dix Sillons. Son épouse lui
survivra plus de trente-deux ans, sans se remarier, avant de décéder à son tour
au même village des Dix Sillons en février 1798. Il est amusant de noter que
l'agent municipal qui rédige alors l'acte de décès, Michel Charles Libor, porte
le même nom que le curé qui avait procédé à la réhabilitation du mariage en
1754. Sans doute sont-ils de la même famille.
(1) AD Manche, Notre-Dame-du-Touchet, 5MI 2034, vue 93/254.