lundi 17 décembre 2012

Un parrain prestigieux


Au cours de mes recherches généalogiques, j'essaie, dans la mesure du possible, d'identifier tous les enfants issus d'un même couple, car cela permet d'avoir une connaissance plus approfondie de chaque famille d'ancêtres. J'ai donc été amenée à lire un nombre considérable d'actes de baptême. Cette lecture attentive m'a permis de découvrir les usages de mes ancêtres dans le choix des parrains et des marraines pour leur progéniture.

Dans l'ancien temps, le plus souvent, l'aîné était porté sur les fonts baptismaux par son grand-père paternel et sa grand-mère maternelle, le deuxième par son grand-père maternel et sa grand-mère paternelle. Puis venaient les oncles et tantes pour les suivants et parfois les frères et sœurs aînés pour les plus jeunes. L'enfant était généralement "nommé" par le parrain ou la marraine, d'où de nombreux homonymes, de génération en génération.

Comme toute règle, celle-ci souffre de nombreuses exceptions. Il arrive notamment que les parents placent leur enfant sous la protection d'un notable, ecclésiastique ou seigneur du lieu. Cette notoriété dépasse rarement les environs du village, mais il arrive que la petite histoire rencontre soudain la grande. C'est l'objet de cet article.

Nous sommes dans une famille de notables du Poitou, à l'aube du XVIIIe siècle ; les Germon sont originaires de Moncoutant, un bourg situé à quelques lieues au sud-ouest de Bressuire, entre gâtine (1) et bocage (2), non loin de la Sèvre nantaise. À l'époque qui nous intéresse, la région était spécialisée dans la confection d'un épais drap de laine, appelé "droguet" ou "tiretaine".

L'histoire commence par un double mariage. Le mercredi 12 novembre 1698, le curé de Moncoutant donne la bénédiction nuptiale à messire Jacques Germon et à dame Marguerite Moreau, ainsi qu'à messire Louis Moreau et à dame Jeanne Germon. L'acte unique, rédigé de façon succincte, n'indique pas la filiation des époux, mais il y a fort à parier que les Germon sont frère et sœur, ainsi que les Moreau : il s'agit sans doute de consolider une alliance entre deux familles de marchands.

Le mariage de Jacques Germon et de Marguerite Moreau est de courte durée : l'époux décède à peine quatre ans plus tard, en septembre 1702, à l'âge de trente-six ans. Il est inhumé dans l'église de Moncoutant, en présence de ses frères et beaux-frères, tous marchands, qui apposent leur signature sur l'acte de sépulture.

Son épouse a donné le jour à quatre enfants en quatre ans : le premier ne survit que quelques jours, les autres sont "baptisés à la maison en danger de mort", selon l'expression consacrée. Accouchements difficiles ou faiblesse de constitution ? l'histoire ne le dit pas.

Le troisième, Jacques Louis, atteint néanmoins l'âge adulte. Nous le retrouvons quelques lieues plus à l'ouest, à Réaumur, bourg du bocage vendéen, où il épouse en 1726 Marguerite Magdeleine Gaillard. Cette dernière est la fille de maître Jean Gaillard, notaire royal résidant à Montournais. Le gendre succédera à son beau-père quelques années plus tard.

Onze enfants au moins vont naître de cette union, cinq garçons et six filles. L'aînée (mon ancêtre directe), Marguerite Magdeleine, est baptisée le 2 avril 1727. Elle a pour parrain Jean Gaillard et pour marraine Marguerite Renaudin, ses grands-parents maternels, les aïeux paternels n'étant plus de ce monde. Elle mènera une vie fertile en rebondissements, avec trois mariages successifs, mais ce n'est pas le sujet qui nous intéresse aujourd'hui.

Le second, René Antoine, est baptisé l'année suivante, le 3 novembre 1728. Et c'est ici que la petite histoire croise soudain la grande. Les grands-parents maternels signent à nouveau l'acte de baptême, mais cette fois-ci par procuration : en effet, le parrain du garçon n'est autre que René Antoine Ferchault (1683-1757), seigneur de Réaumur et directeur de l'Académie royale des Sciences. Physicien et naturaliste, auteur de nombreuses publications scientifiques, il est notamment l'inventeur du thermomètre à alcool. Il a également mis au point un procédé pour étamer le fer-blanc à moindre coût et un autre pour fabriquer une sorte de porcelaine blanche à partir du verre.

René-Antoine Ferchault de Réaumur, source Wikimedia Commons

Selon le Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables, c'est le grand-père de René Antoine Ferchault, Jean Ferchault, qui acquit le domaine de la seigneurie de Réaumur au siècle précédent. Le savant devait y résider à l'occasion, car on retrouve sa signature sur le registre paroissial le 13 octobre 1728, trois semaines avant le baptême de René Antoine Germon.

Sa signature, source AD Vendée

L'histoire a retenu le nom de Réaumur, plutôt que celui de Ferchault. En 1851, à Paris, la rue Réaumur fut formée par la réunion des rues du Marché Saint-Martin et Royale Saint-Martin. C'était un peu avant le début des grands travaux entrepris par le baron Haussmann. Le Dictionnaire historique et topographique de l'ancien Paris nous explique que la rue fut ainsi nommée en hommage au savant, en raison de la proximité du Conservatoire national des Arts et Métiers.

Et vous, avez-vous parmi vos ancêtres des exemples de parrainage prestigieux comme celui-ci ?



(1) Pays formé de terrains pauvres et peu fertiles, landes, prairies pauvres convenant à l'élevage des moutons et des chèvres, selon Wikipédia.
(2) Région où les champs et les prés sont enclos par des levées de terre portant des haies ou des rangées d'arbres et où l'habitat est dispersé, toujours selon Wikipédia.

6 commentaires:

  1. Merci Dominique pour cet article très riche et passionnant à lire.
    Je suis fière de mon élève ;-) !

    Passez de bonnes fêtes.

    Sophie

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  2. J'ai pour ma pat le Marquis de Châteauneuf témoin au mariage de deux ancêtres avec d'autres très prestigieux témoins sans raison apparente de parenté... http://lenuagedeparis.tumblr.com/post/35148555277/des-temoins-extraordinaires

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  3. Bravo dominique, encore un article passionnant, c'est un plaisir de te lire.

    Brigitte

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  4. Ah j'ai une belle histoire (petite) qui rencontre la grande.
    Je vous livre le texte que j'en avais fait pour mes frères et mes cousins et cousines concernés :
    Depuis longtemps je connaissais cette alliance extraordinaire qui avait eu lieu, entre un roturier bien de chez nous et une damoiselle de la plus noble extraction.
    Il s’agissait des deux mariages de Marie d’AUBIGNÉ (1656 – 1725 ) avec en premier mariage :René BOUCHEREAU à Trémentines le 21 juin 1678, qui avait donné 3 enfants, puis son remariage avec François GOURDON, toujours à Trémentines le 25 septembre 1685 ; il lui donna 6 autres enfants.
    Un récent article de la revue « Le Closier » me remis l’oreille en vibration en me disant qu’il serait intéressant d’explorer un peu plus nos branches d’arbre du coté de Trémentines.
    Marie d’Aubigné est donnée comme une « autoroute de la généalogie », jugez-en :
    Si elle n’est que la fille du modeste, mais noble homme Guy d’ AUBIGNÉ et de Marie LE JUMEAU son épouse, puis ensuite en remontant le temps la descendante d’ancêtres à la réputation plutôt régionale, elle a dans sa généalogie comme premier prince notable (à son soza 16 842 (*) le duc Arthur II de Bretagne (1262-1312)dont le grand-père n’était autre que le roi Henri III d’Angleterre (1207 – 1272), lui-même beau-frère de Saint Louis.
    Henri III d’Angleterre n’était autre que l’un des petit-fils d’Henri II Plantagenet ( 1133 – 1189 ) et d’Aliénor d’Aquitaine(1122 – 1204) dont nous connaissons la grandeur et dont nous admirons aujourd’hui les gisants dans la nef de Fontevrault.
    D’essence royale, Marie d’AUBIGNÉ en avait plus que le parfum puisqu’elle descends du roi de France Louis VI le Gros (1081 – 1137) et ainsi de suite jusqu’à Hugues CAPET (939 – 996).
    Mr Jean MAUGEAIS qui a fait un ouvrage sur ces belles alliances et dont les descendances de Marie d’Aubigné ont été reprises sur le site de Cédric BOCHEREAU ( http://patboch.free.fr ) a calculé qu’elle descendait 1140 fois de Hugues CAPET entre les 22ème et 32ème génération, 46 892 fois de Charlemagne (747 – 814) entre les 28ème et 44ème génération et par Constance d’ARLES (984-1032) qui est 792 fois son aïeule, elle aurait hérité des dynasties de l’Antiquité.
    Suivant les travaux du généalogiste Christian STTIPANI, Constance d’ARLES descendrait à 81 générations de RAMSES II.
    Ainsi donc, bien des angevins et autres, originaire des Mauges peuvent prétendre à une généalogie sur 34 siècles; excusez du peu !
    Les GOURDON de mon ascendance résidaient (et résident toujours) dans la ferme de La Guyonnière (autrefois Dhuinière ou Ouinière) à Trémentines. Cette ferme appartenait au prieuré de Trémentines qui dépendait de la Grande Abbaye de Saint-Florent de Saumur. Elle passa ensuite à la famille de l’Esperonnière. Un document daté de 1418 qui se trouve aux archives d’Angers fait déjà mention d’un Pierre GOURDON fermier à La Guyonnière. Il semblerait que la tradition familiale était de prénommer Pierre le fils aîné. Le Pierre GOURDON contemporain vient de cesser son activité de fermier à La Guyonnière, mettant ainsi un point probablement final à au moins 580 ans d’histoire. Ces éléments cités dans un article de Ouest Eclair de mai 1937 avaient incité le journaliste à octroyer aux GOURDON le titre de plus anciens agriculteurs de France,. « parmi les plus anciens » serait sans doute plus raisonnable.
    Pour être complet, il faut rappeler la grande cousinade de 1977 qui à l’initiative de Pierre GOURDON, de sa femme et de ses enfants rassembla 650 descendants (soit la grande majorité) du couple Pierre GOURDON x Marie MARTINEAU (mariés vers 1795).. Cet événement extraordinaire se tint bien évidemment à La Guyonnière. Il fit l’objet de quelques articles dans la presse et même d’un reportage à la télévision régionale".(sic l'article du Closier, revue de l'AGENA)
    Nous sommes les descendants de la sœur de François GOURDON, Françoise, mariée à Trémentines avec René CHAILLOU le 22-11-1693; d'où l'importance Dominique de bien prendre en compte les frères et sœurs.

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  5. Vous parlez de l'union croisée de frère et sœur Germon et Moreau. C'est un usage répandu qui évitait de payer les dots des filles.
    Marie-Martine

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  6. Bonjour,

    J'ai moi aussi fait des recherches sur les parrains et marraines de certains des enfants de Joseph Roy dit Chauvigny baptisé le 15 juin 1664 à la paroisse St-Jean-l'Évangéliste, Montierneuf, Poitiers, Fr. et décédé entre le premier avril 1712 et le 14 février 1713 dans la région de Montréal, peut-être à Repentigny au Québec. Marié le 16 août 1694 à l'église Notre-Dame de Québec à Marguerite Martin (1661 Repentigny, Québec - 1729, Repentigny, Québec).

    Six de leurs enfants sont nés à Québec dont:

    Jacques (B le 6 février 1695- DCD 27 mai 1773, Repentigny)

    Théodore_Marie, jumeau du précédent (B 6 février 1695 - DCD 15 février 1695)
    Louis (B 22 juillet 1700 - DCD premier octobre 1700 à Québec)
    Jean-Louis (B 9 septembre 1701 - DCD 4 juillet 1702 à Québec)

    Voici à ce sujet, un extrait du livre Les Roy dit Chauvigny, de Poitiers à la Nouvelle-France que j'ai rédigé sur la généalogie de mes ancêtres Roy. Ce livre est consultable à l'adresse suivante:
    https://fr.blurb.ca/b/9031847-les-roy-dit-chauvigny

    Certains des enfants de Joseph et de Marguerite nés à Québec ont eu pour parrain et marraine des personnages prestigieux.

    Ainsi le parrain de Jacques était le sieur Pierre Béquart de Grandville, enseigne de la compagnie du sieur Andigné de Grandfontaine, capitaine d'un régiment de Carignan. Sa marraine, Anne Macquart était l'épouse du sieur Andigné de Grandfontaine.

    Le parrain de Théodore-Marie était Charles-Guillaume de Maupéou, chevalier et comte de l'Estrange, arrivé à Québec le 18 septembre 1691 sur l'Honoré en même temps que le baron Lahontan, Jean Bochard de Champigny, intendant de la Nouvelle-France de 1686 à 1702.
    La marraine de Théodore-Marie était Marie-Madelaine de Chaspoux, dame de Verneuil et du Plessi-Savari, épouse de l'intendant Jean Bochard de Champigny.

    Louis reçoit comme parrain, Louis Levasseur dit Lavigne, fils de Jean maître menuisier de Paris, émigré au Québec et nommé huissier du conseil souverain en Nouvelle-France en 1682. La marraine de Louis se nomme Anne neveu, fille de Philippe, riche tailleur de vêtements haute gamme de Québec.

    Le 9 septembre 1701, Jean-Louis Roy est parrainé par Jean-Baptiste de Courval (1657-1727), marchand de Trois-Rivières et constructeur de bateaux. Louise Catherine de Saint-Simon est la marraine, fille du sieur Paul (1679-1749), lieutenant de la prévôté des maréchaux de Québec en 1677.

    La liste de ces parrains et marraines influents, et pour la majorité faisant partie de la classe sociale aisée de Québec, donne des indices sur le réseau que Joseph et Marguerite avaient tissé dans la ville. En choisissant de tels parrains et marraines bien placés dans la société de Québec, peut-être espéraient-ils que leurs enfants aient un meilleur avenir. Si Joseph était un simple soldat ne sachant même pas écrire son nom, il savait par contre attirer les sympathies, être apprécié de ses supérieurs, il avait sans doute de l'entregent.



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