lundi 22 février 2016

Un architecte dans la famille

J'ai déjà brièvement évoqué les quatre frères de ma grand-mère Julia, à l'occasion du challenge AZ 2014. L'éloignement géographique, des décès survenus alors que j'étais encore enfant ou adolescente, enfin des différends familiaux liés à de sombres histoires de dot et d'héritages, ont fait que je les ai fort peu connus, voire pas du tout pour deux d'entre eux.

Je cherchais donc à en apprendre davantage sur leur compte, en toute sérénité et sans acrimonie. Permettez-moi de vous parler aujourd'hui de Jean Baptiste Raphaël Théodore Fourcade (1894-1963), par ailleurs toujours évoqué dans la famille sous le diminutif de Théo, sans doute pour le distinguer de son père.

Photos de famille

Jusqu'à ces dernières semaines, je ne disposais guère que de quelques informations généalogiques faciles à obtenir et de deux photographies. Sur la première, il figure en compagnie de ses trois frères. Théodore Fourcade père est assis dans un fauteuil, en costume trois pièces, nœud papillon et col dur à coins cassés, les bottines soigneusement cirées et la barbiche avantageuse. Les deux aînés, Joseph et Jean, sont en uniforme ; les deux autres, Théo (le plus grand, raie au milieu, petite moustache) et Henri (le plus jeune), en tenue civile impeccable.

Théodore Fourcade entouré de ses quatre fils
Collection personnelle

La photo ne peut être antérieure à 1916, si j'en crois deux indices liés à la Première Guerre mondiale : le numéro régimentaire sur le col de Joseph (celui-ci n'est passé au 118e régiment d'artillerie lourde qu'en décembre 1915) et les brisques sur la manche gauche de Jean, qui indiquent deux années complètes de présence sur le front.

Théo et Henri Fourcade
Collection personnelle

Sur le second cliché, manifestement pris le même jour, ne figurent plus que Théo et Henri, le plus âgé posant une main protectrice sur son jeune frère. Tous deux sont sans doute sur le point de partir poursuivre leurs études à Paris, architecture à l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts pour Théo et ingénierie à l'Ecole centrale des Arts et Manufactures pour Henri.

Élève architecte

La récente mise en ligne du Dictionnaire des élèves architectes de l'Ecole des Beaux-Arts m'a permis d'en apprendre davantage. Disponible sur le site de l'AGORHA(1), ce dictionnaire permet d'obtenir en quelques clics une notice biographique et même, dans certains cas, le dossier de l'élève conservé aux Archives nationales. Voyons cela.

J'y apprends que le jeune Théodore Fourcade a tenté l'admission à l'Ecole les 16 février et 15 juin 1914 (à vingt ans à peine), qu'il fut admis en 2e classe le 7 juillet 1917 et en 1ère classe le 28 décembre 1920, enfin qu'il fut diplômé le 27 février 1923 (à vingt-neuf ans, donc). Pardon pour cette avalanche de dates !

Neuf ans d'études ? Cela me paraît bien long, mais n'oublions pas que Théo fit un bref passage au 144e régiment d'infanterie avant d'être réformé en 1915.

Il est également question dans la notice biographique de "valeurs", de "récompenses" et d'ateliers. Bref, des concepts qui échappent un peu à une ancienne élève d'école de commerce comme moi, plus habituée à un cursus balisé en années scolaires, avec concours d'entrée, examen de sortie et barème de notes sur 20. J'ai donc tenté d'y voir plus clair.

L'enseignement de l'architecture aux Beaux-Arts

L'Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, et celle d'architecture, fondée en 1671, disparurent dans la tourmente révolutionnaire, pour réapparaître quelques années plus tard sous la forme d'une Académie des Beaux-Arts.

Une école fut mise en place, avec des administrateurs et des professeurs choisis par les Académiciens. Cette école passa progressivement sous la tutelle d'un ministère (impérial sous Napoléon III, de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, puis de la Culture ensuite). Elle comprenait trois disciplines, peinture, sculpture et architecture, enseignées simultanément, et fonctionnait selon un mode qui combinait cours magistraux en amphithéâtre et travaux en atelier.

La durée des études s'expliquait en partie par le mode d'admission : un concours fort sélectif, auxquels les aspirants se préparaient longuement dans des ateliers, sous la direction d'un chef d'atelier plus ou moins renommé, dans l'enceinte de l'Ecole ou à l'extérieur.

Lorsqu'ils étaient admis en seconde classe, les élèves architectes étaient tenus d'obtenir un certain nombre de "valeurs" dans des disciplines techniques (statique, géométrie, stéréotomie, perspective, construction, physique, chimie, etc.), ainsi que des "mentions" sur des projets architecturaux. Le tout conditionnait leur admission en première classe, qui fonctionnait selon le même principe de "valeurs" et de "récompenses".

En fin de parcours, l'élève architecte présentait un projet (plans, croquis, vues perspectives, éventuellement maquettes) à un jury et, en cas de succès, devenait architecte DPLG, c'est-à-dire diplômé par le gouvernement !

Je parle au passé, car l'enseignement de l'architecture a été profondément réformé par André Malraux après 1968 et il ne relève plus à l'heure actuelle de l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts(2).

Après le diplôme

Mais revenons à Théo Fourcade. Au concours d'admission en 1917, il plancha sur un oratoire, semble-t-il, et il eut à répondre à cette question bien dans l'air du temps : "Quelle est parmi les villes françaises détruites par l'ennemi, celle que vous admiriez le plus. Indiquer les raisons artistiques et historiques de votre préférence."

Pour sujet de diplôme, il présenta un projet d'usine hydroélectrique en montagne. Réminiscence de ses origines pyrénéennes ? Peut-être.

Et ensuite ? Eh bien, le 11 avril 1923, un mois et demi après avoir décroché son diplôme, il épousa la fille de l'architecte Constant Lemaire et prit bientôt la succession de ce dernier. Il deviendra architecte expert près la Cour d'appel de Paris et près le Tribunal de grande instance de la Seine et sera agréé par le Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme pour les départements de la Seine, de la Seine-et-Oise et du Calvados, après la Deuxième Guerre mondiale.

Une dernière précision… Au XIXe siècle, les architectes prirent l'habitude d'inscrire fièrement leur nom, suivi d'une date, sur la façade des immeubles qu'ils avaient conçus. La mode perdura pendant une bonne partie du XXe siècle et il existe au moins un immeuble parisien sur lequel est inscrit le nom de Théo Fourcade, à côté de celui de son beau-père.

Faites un tour dans le 5e arrondissement, entre la rue Monge et la place de la Contrescarpe. Le n°38 de la rue Lacépède est un immeuble de six étages, en brique claire, avec huit fenêtres en façade. À la hauteur du premier étage, entre les deux fenêtres centrales, vous découvrirez cette inscription.


Sous les balcons du 5e étage court une frise florale, qui nous rappelle que mon grand-oncle décrocha une médaille en dessin ornemental. Je sais qu'il résida dans cet immeuble jusqu'à la fin de sa vie, mais j'ignore à quel étage était son appartement.





(1) Accès Global et Organisé aux Ressources en Histoire de l'Art, à l'adresse suivante http://agorha.inha.fr/inhaprod/jsp/reference.jsp?reference=INHA__METADONNEES__7
Pour le consulter, suivre les explications très claires fournies sur le blog Généa-logiques https://genealogiques.wordpress.com/2016/02/17/un-ancetre-architecte/ - more-2487

(2) Ceux qui veulent en apprendre davantage sur l'enseignement des Beaux-Arts liront l'article de C. Samoyault-Muller à l'adresse suivante

2 commentaires:

  1. Quand nos ancêtres ont un métier tel celui de ton grand-oncle, architecte, c'est un vrai plaisir de suivre leur parcours grâce aux archives. Tu l'as très bien fait et c'est fort intéressant.

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