lundi 11 janvier 2016

Une lecture indispensable

Amis généablogueurs, si vous avez l'intention d'écrire un jour l'histoire de votre famille, précipitez-vous sur La carte des Mendelssohn(1), toutes affaires cessantes. De deux choses, l'une : soit vous renoncerez définitivement à votre projet, effarés par l'ampleur de la tâche ; soit vous y puiserez l'énergie qui vous fera survoler tous les obstacles.


De quoi s'agit-il ? D'un roman, nous dit la couverture, mais je n'y crois pas une seconde. En vingt-huit chapitres, l'ouvrage de Diane Meur entrelace trois récits dans des registres différents :
  • Tout d'abord, la saga de la famille Mendelssohn, du XVIIIe siècle à nos jours, à partir du couple formé par Moses Mendelssohn, philosophe des Lumières, et son épouse Fromet Gugenheim, tous deux établis à Berlin, où ils donnèrent le jour à une dizaine d'enfants, qui eux-mêmes…, et ainsi de suite.
  • Des extraits du journal de recherches de l'auteur, ainsi que de la chronologie qu'elle a établie, pour situer chaque personnage dans le contexte de son époque.
  • Diverses anecdotes personnelles, comme les mésaventures subies durant ses deux années de séjour à Berlin (ce qu'elle appelle des berlinades), un apéritif dînatoire dans son appartement parisien ou les interventions de son éditeur, Sabine Wespieser, durant la lente élaboration de l'ouvrage.

Le texte frôle les cinq cents pages, y compris la liste des sources et l'index des personnes citées. Touffu mais passionnant, il nous apprend au passage l'évolution du patronyme Mendelssohn, depuis Mendel, natif de Dessau (le père de Moses), jusqu'à Mendelssohn Bartholdy (sans lien avec le sculpteur de la statue de la Liberté) ou bien les restrictions imposées aux juifs dans la Prusse du XVIIIe siècle en matière de patronymes, de lieux de résidence et d'activités professionnelles.

Il nous conte également comment Moses, le philosophe qui traduisit la Torah en allemand, fut le père d'Abraham, banquier converti au protestantisme, lui-même père de Felix, compositeur romantique, chef d'orchestre et pianiste émérite. Lequel Felix nous fit redécouvrir les œuvres de Bach et de Haendel. Le même Felix qui composa Le songe d'une nuit d'été, dont la célèbre marche nuptiale donne la touche finale à d'innombrables cérémonies de mariage depuis cent cinquante ans.

Les généalogistes y trouveront moult échos à leurs préoccupations.

Comment écrire l'histoire d'une famille, sans se perdre dans les méandres de la généalogie descendante et en y intégrant les événements historiques marquants des trois derniers siècles, auxquels ses membres ont été confrontés ?

Comment représenter graphiquement les branches à partir d'un couple souche, lorsqu'elles comptent près de huit cents individus (sept cent soixante cinq pour être précis), sur une dizaine de générations, avec leur lot de mariages consanguins et d'enfants issus de plusieurs lits, sans oublier les adoptions ?

L'ensemble tient sur huit bristols grand format et ressemble à une carte du monde, avec ses continents, ses océans et même son passage du nord-ouest ! Représentatif de la dispersion des descendants de Moses Mendelssohn dans le monde. Avec des codes couleurs pour identifier les religions des uns et des autres (les conversions allaient bon train) et les métiers dans lesquels ils se sont ou non illustrés. La musique et la banque, bien sûr, mais pas seulement ; les différentes lignées comptent aussi une religieuse ursuline, des officiers de la Wehrmacht, un planteur de thé, un médecin militaire dans l'armée ottomane durant la guerre de Crimée… Merveilleux foisonnement.

Quelles sources utiliser, au-delà des données généalogiques proprement dites ? Diane Meur dispose d'un CD-Rom sur au moins sept générations, mais une telle saga nécessite d'être étoffée, sous peine de lasser très vite le lecteur sous une avalanche de lieux et de dates. L'auteur utilise abondamment les ressources de la toile, au risque de s'y égarer : "Un seul coup de pioche sur Internet m'envoie sur cinquante pistes qui chacune ouvrent sur cinquante autres…", écrit-elle page 307.

Elle exploite les ressources des bibliothèques, grandement aidée par sa maîtrise de la langue allemande, multiplie les entretiens avec les spécialistes des sujets abordés et les descendants de la famille Mendelssohn, entreprend des voyages pour visiter les lieux où ont vécu leurs ancêtres et en photographier les vestiges. Ce qui nous vaut des descriptions parfois étonnantes : je pense à cette marche dans la neige, un jour de mars, à la recherche d'un château brandebourgeois quelque peu délabré, ou encore à cette journée en compagnie d'une très vieille dame à la mémoire vacillante.

Autre question : comment numéroter les individus en généalogie descendante sans perdre le fil d'une génération à l'autre ? L'auteur opte pour un système alphabétique : "Trouvé une solution à mon problème d'encodage en lisant Doktor  Faustus : remplacer les chiffres par des lettres, comme dans la gamme allemande".

Bref, vous l'aurez compris, c'est un livre indispensable !



(1) Diane Meur, La carte des Mendelssohn, roman, Sabine Wespieser éditeur, 2015, 483 pages

8 commentaires:

  1. Pour une fois, je me pose en voix discordante... Je n'ai pas du tout aimé le livre. A un point tel que je n'ai pas pu le finir. Les lamentations de l'auteur, ses tergiversations, m'ont surtout données l'impression de tourner en rond. Je ne me suis pas reconnue dans cette quête obsessionnelle, et je ne conseillerais pas le livre à quelqu'un de néophyte qui voudrait avoir une idée du temps que demande une recherche !

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    1. Je l'avais peut-être pressenti dans mon premier paragraphe : "soit vous renoncerez…"

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  2. Voilà, vous m'avez donné envie de voir par moi même toutes les deux. Bon qui me prête le livre ? Sophie ?

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  3. Oh !Justement j'ai commencé à écrire un billet sur ce livre que je suis en train de lire. Je le savoure avec grand plaisir. Tu m'as devancée avec ce bel article !

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    1. Un aller et retour en train et l'absence de neige en Savoie m'ont permis de boucler cette lecture en quelques jours. Le livre m'a beaucoup plu, mais je comprends qu'il puisse susciter la polémique.

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  4. Bonjour,
    Pas sûr qu'il faille relier la recherche de D. Meur qui agit et rend compte en professionnelle de l'écriture dont le but est d'écrire son roman, à celle d'un généalogiste qui remonte ou redescend son arbre familial. Les moyens en cours dans le but d'édition ne peuvent se comparer. J'ai d'abord été séduite, amusée parfois par cette recherche et l'histoire de la famille Mendelson, mais cela finit par partir dans tous les sens. L’épopée familiale avec ses allers-retours n'est pas des plus faciles à suivre. Le but se perd parfois avec les insertions de la vie privée de l'auteur (cela ne prend pas dans le roman) de même que le surprenant, même si très petit passage lui servant à planter une attitude politique de bon aloi (de celle qui doit être ? ), déception face à cet écrivain dont j'ai apprécié d'autres écrits. Alors généalogie, histoire d’une famille ? Mon avis reste mitigé, en demi-teinte, elle s’est perdue quelque part, trop de tout.
    Chantal de Bâges

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