lundi 19 août 2013

Concourson dans la tourmente révolutionnaire


Je relisais l'article que Wikipédia consacre à Concourson-sur-Layon, quand deux chiffres et deux dates ont attiré mon regard dans un tableau sur l'évolution de la population :
  • 1793         685,
  • 1800         338.
Comment ce village avait-il pu perdre 50 % de ses habitants en l'espace de sept ans à peine ?

Je note au passage que le Dictionnaire historique de Célestin Port, auquel je me réfère si souvent, reste étrangement muet sur la question, passant directement de l'année 1790 (688 habitants) à l'année 1831 (721 habitants). Aussi bien dans l'édition originale que dans l'édition révisée. Ce qui modifie sensiblement la perspective, vous en conviendrez…

Un rapide coup d'œil aux communes voisines confirme le phénomène : Doué-la-Fontaine, Saint-Georges-sur-Layon, les Verchers, Nueil, Vihiers, Montilliers, Coron, Vezins, Chemillé… toutes ont connu une baisse sensible de leur population entre 1793 et 1800.

Et toutes sont également situées dans ce qu'on a appelé la "Vendée militaire" : cette zone, qui déborde largement les limites départementales de la Vendée proprement dite, fut le théâtre d'affrontements sanglants entre Républicains et partisans de l'Ancien Régime. L'affaire avait commencé en février ou mars 1793, lorsque la Convention vota la levée en masse de 300 000 hommes et ne prit fin, après moult épisodes, qu'en janvier 1800.

La Vendée militaire, source Wikipédia

Les registres paroissiaux et d'état civil de Concourson seraient-ils plus bavards sur ce sujet ? Je décidai d'y jeter un œil.

Je note tout d'abord les rédacteurs successifs : le vicaire Blanvillain, qui n'apparaît plus après la fin janvier 1792, le curé Boussinot, qui signe un dernier acte le 31 mai de la même année, temporairement remplacé par le curé de la paroisse de Saint-Pierre des Verchers, enfin l'apparition d'un certain Claude Petit, "desservant" à partir du 9 juillet.

Le registre paroissial s'achève sur ce dernier acte :
"le trois de décembre mil sept cent quatre vingt douze l'an premier de
la République et en attendant qu'on m'ait enlevé les Registres j'ai deservant
soussigné inhumé dans le cimetière de ce lieu Jeanne Rouleau décédée d'hier
agée d'environ cinq ans fille du citoien René Rouleau marchand meunier et
de Jacquine Renard son épouse la sépulture faite en présence du père qui
a signé avec nous.
"

Il est suivi du texte suivant :
"Le vingt quatre décembre 1792
nous Maire et officier municipal de la commune de Concourson
Reconaison que le citoyen curé nous a remis tous les
Registre
."

Cet homme à l'orthographe approximative s'appelle Moreau. Il est accompagné de trois autres officiers municipaux qui signent d'une main peu assurée.

J'ai ensuite la surprise de retrouver Claude Petit dans les registres d'état civil dès le 6 janvier 1793 : il y indique qu'il est "membre du conseil général de la commune de Concourçon" et signe "Claude Petit curé et officier public". En voilà un qui était ouvert aux idées nouvelles ! Il laissera la place à un certain François Salmon, "officier public provisoire", en février 1794, avant de réapparaître en mars 1798 et de s'effacer définitivement devant Nicolas Grignon, "agent municipal", en 1799.

Si les rédacteurs se sont succédé à une cadence accélérée durant cette époque troublée, au moins la continuité des actes a-t-elle été assurée. Voyons maintenant leur nombre et pour cela rien de tel qu'un tableau, qui couvre la période allant de janvier 1790 à septembre 1802 (fructidor an X) :



À première vue donc, rien qui permette de mesurer le dépeuplement de la commune. Les chiffres de l'an II (et, dans une moindre mesure, ceux de l'année suivante) attirent néanmoins l'attention. Pas moins de 90 actes de décès pour l'an II, c'est-à-dire pour la période qui va de septembre 1793 à septembre 1794 !

Le plus souvent, l'officier d'état civil note simplement "mort en son domicile", ce qui ne nous en dit guère sur les causes du décès.

Je note toutefois un commandant du 4e bataillon de la Charente "tué à l'affaire de Trémont" en juin 1793, quatre hommes "tués par accident dans les mines" en janvier 1794, deux soldats morts dans le camp situé sur la commune… et surtout un nombre important de décès de personnes manifestement étrangères à Concourson, à en juger par les lieux d'origine des déclarants, parfois qualifiés de "réfugiés". La guerre de Vendée a certainement entraîné d'importants déplacements de population.

Mais aucune trace de l'un des épisodes les plus meurtriers de cette guerre, sobrement résumé comme suit(1) : "Le général Turreau, le 19 janvier 1794, met en marche les colonnes infernales qui, commandées par Duval, Grignon, Bart et Couzay, traversent toute la Vendée en passant, d'une part, par Brissac, Concourson, Vihiers et Parthenay, d'autre part, à Beaupréau, Chemillé et Cholet, faisant le désert sous leur pas, par le fer et par le feu."

Le général en chef, pressé d'en finir avec l'insurrection, avait donné à ses troupes un ordre parfaitement clair(2) : "On emploiera tous les moyens de découvrir les rebelles ; tous seront passés au fil de la baïonnette ; les villages, métairies, bois, landes, genêts, et généralement tout ce qui peut être brûlé, seront livrés aux flammes."

Ces morts anonymes ne figurent évidemment pas dans les registres d'état civil, mais leur absence hante jusqu'à aujourd'hui les statistiques démographiques.

(1) Notice historique de l'Anjou, par Landais, inspecteur primaire, officier d'Académie, Guérin, Paris, 1890 (Gallica)

(2) Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République française, ou annales des départements de l'ouest pendant ces guerres, par un officier supérieur des armées de la République habitant dans la Vendée avant les troubles, tome 3, Baudouin frères, Paris, 1825 (Gallica)

6 commentaires:

  1. Merci Dominique pour ces enquêtes sur Concourson. C'est passionnant.

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    1. C'est grâce à vous (et au thème suggéré pour ces deux mois d'été) que j'ai tenté d'en savoir plus sur l'un des villages de mes ancêtres. Merci pour ces encouragements.

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  2. Je n'avais pas encore envisagé la recherche généalogique sous cet angle. Tu me donnes plein de bonnes idées avec ton blog passionnant. Mon problème, c'est de ne pas savoir quoi chercher. J'admire aussi tes sources (Gallica). Il faudrait que je me lance...

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  3. Je n'avais jamais encore envisagé la recherche généalogique sous cet aspect. Ton blog me donne des idées. Il faudrait aussi que je me lance sur Gallica, qui m'impressionne...

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  4. Bravo pour cette enquête passionnante ! Je ne connais que mal cet épisode de la Révolution, n'ayant aucun ancêtre dans ces régions, mais je trouve cela très intéressant de pouvoir en apprendre plus.
    Elise

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    1. Je suis allée dans cette région il y a quatre ans et j'ai été frappée de voir combien le souvenir de cette "guerre vendéenne" était encore présent, deux cents ans plus tard.

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