mardi 24 juin 2014

U comme uniforme

Maurice Maitreau a-t-il fait la guerre de 1914-1918 ? Mon grand-père allait avoir quarante-cinq ans et il était déjà père de quatre enfants lors de la mobilisation générale. Je ne parvenais pas à l'imaginer dans les tranchées en première ligne et j'avais beau me creuser les méninges, je ne me souvenais d'aucune histoire familiale sur ce sujet.

Pourtant, j'avais bien trouvé dans les photos anciennes, dont je suis aujourd'hui dépositaire, trois clichés sur lesquels il me semblait le reconnaître en uniforme. Pour corser l'affaire, ces vues ne manquaient pas de m'intriguer : elles sont en noir et blanc, bien sûr, mais les tenues militaires portées par le mari de Julia semblent à chaque fois de couleur différente ; sur l'une d'entre elles, Maurice Maitreau paraît plus âgé ou plus fatigué, avec plus d'embonpoint, que sur les deux autres ; enfin, les clichés proviennent de deux studios différents, l'un situé à Pau et l'autre à Tarbes.

J. Lacoste, H. Lacabanne et M. Maitreau
Archives personnelles

La récente mise en ligne des fiches matricules sur le site des Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques m'a permis d'éclaircir quelques points.

D'abord exempté pour faiblesse générale

Maurice Maitreau, né en octobre 1869, relevait donc de la classe 1889. Lorsqu'il passe devant le conseil de révision, alors qu'il est encore étudiant (sans plus de précision), il est d'abord "ajourné pour faiblesse", puis finalement "exempté pour faiblesse générale". Allons bon ! Voilà qui n'était sans doute pas du goût de son père, Achille Maitreau, militaire de carrière !

J'ai au passage confirmation de sa petite taille, 1,55 m ou 1,58 m (après rectification) et j'apprends son degré d'instruction générale. Le niveau 4 indique qu'il a obtenu le brevet d'instruction primaire, mais il n'a sans doute pas décroché le baccalauréat, qu'il appelait pourtant de ses vœux dans une lettre adressée à sa sœur, en avril 1889, quelques mois avant les opérations de recensement.

Pas de service militaire, donc, pour mon grand-père. Les années vont passer, il va devenir greffier du tribunal civil d'Oloron-Sainte-Marie, épouser Julia Fourcade en novembre 1900, fonder une famille et couler des jours heureux jusqu'à la déclaration de guerre…

Puis engagé au 10e hussards

Comme chacun sait, la Première Guerre mondiale fut extrêmement meurtrière dès les premiers mois et il fallut bientôt trouver une solution pour combler les pertes. Des décrets successifs instituèrent des commissions de réforme, pour examiner le cas des hommes précédemment réformés, exemptés ou ajournés pour raisons diverses, afin de compléter les effectifs.

Maurice Maitreau fut finalement jugé "bon pour le service armé" par le conseil de révision le 29 décembre 1914, mais il ne fut pas immédiatement incorporé. Était-ce parce que, compte tenu de sa classe, il relevait de la réserve de l'armée territoriale ? Je ne suis pas suffisamment au fait de la chose militaire pour répondre avec certitude à cette question.

Quoi qu'il en soit, le 8 avril 1915, mon grand-père se présente à la mairie de Pau et il y contracte un engagement volontaire pour la durée de la guerre. Trois jours plus tard, le voilà à Tarbes, où il intègre le 10e régiment de hussards, ce qui est tout à fait cohérent avec son petit gabarit et sa passion pour les chevaux. Cohérent également avec la photo prise dans le studio de G. Francis, où il pose seul, sabre au côté, éperons aux pieds, la moustache toujours aussi conquérante.

Maurice Maitreau, en uniforme du 10e hussards
Archives personnelles

Malheureusement, la fiche matricule ne donne que des indices sur la suite des événements : Maurice Maitreau est nommé brigadier, l'équivalent de caporal dans les armes "à cheval", le 1er décembre 1915 et il fait partie du 8e groupe de cavaliers de remonte. De quoi s'agit-il ?

J'ai trouvé la réponse sur un forum qui traite de la Grande Guerre. La remonte a pour fonction de sélectionner, de dresser et de fournir des chevaux pour répondre aux besoins de l'armée, aussi bien pour les régiments de cavalerie montée, ce qui semble évident de prime abord, que pour la traction hippomobile, que l'on aurait davantage tendance à oublier.

Les groupes de remonte sont donc des unités à vocation non combattante. Le 8e groupe est pour sa part basé à Tarbes. Je pense que Maurice Maitreau y resta affecté jusqu'en octobre 1917 et c'est sans doute durant cette période que fut prise la photo suivante.

Groupe de cavaliers, Maurice Maitreau au centre
Archives personnelles

Enfin détaché comme agriculteur

En octobre 1917, changement d'affectation : voilà mon grand-père "détaché comme agriculteur à Lons catégorie A" et relevant désormais du 18e régiment d'infanterie ! Retour vers un site très intéressant, qui m'avait déjà permis de me faire une idée plus précise des classes mobilisables, Le Parcours du combattant de la guerre 1914-1918.

Il s'agit cette fois de résoudre la pénurie de main-d'œuvre agricole consécutive à la mobilisation en masse. C'est l'objet d'une circulaire du ministère de la Guerre, datée du 12 janvier 1917. Elle autorise le détachement des agriculteurs des classes 1888 et 1889 : ils ne sont plus en campagne contre l'Allemagne, mais militaires travaillant aux champs.

La catégorie A concerne les propriétaires exploitants, les fermiers et les métayers ; la catégorie B les ouvriers agricoles, ainsi que les agriculteurs des régions envahies. Les premiers doivent un temps de travail hebdomadaire à la communauté, inversement proportionnel au nombre d'hectares de la propriété, les seconds sont affectés à une commune ou à une exploitation.

Comment mon grand-père greffier s'est-il retrouvé détaché agricole catégorie A ? Mystère ! Même si ma mère me parlait de la ferme de Labourie, située sur la commune de Lons, et du petit vacher qui lui avait tressé un panier lorsqu'elle était enfant, même si une carte postale d'avant-guerre comporte cette adresse… Encore des recherches en perspective.

Cette situation ne dura guère et Maurice Maitreau fut finalement mis en sursis d'appel illimité en mai 1918, alors qu'il avait quarante-huit ans. Il reprit son activité de greffier à Oloron.

Je conclurai en disant que, trompée par les sempiternelles images de tranchées et de combats en première ligne, je n'avais pas imaginé les autres activités (administration, intendance, approvisionnement…), moins glorieuses sans doute, mais tout aussi nécessaires à la conduite de la guerre. C'est de cette façon que mon grand-père accomplit son devoir de soldat.

1 commentaire:

  1. Bonjour
    Intéressant billet,
    ou toute la différence entre lire une fiche matricule et la décoder,
    afin de retracer le chemin parcouru par son ancêtre dans cette période particulière.
    Félicitations !
    J'ai appris plein de choses - Nésida

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