Ma grand-mère Julia était née en 1882. Elle appartenait à
une génération où les jeunes filles de
la bourgeoisie recevaient une éducation distincte de celle des garçons, dans la
mesure où le rôle qui leur était dévolu dans la société était différent de
celui des hommes.
Michel Winock(1) explique cela très bien dans son livre consacré à la Belle Époque : "Les lycées comme les institutions
catholiques partagent le même but : préparer la jeune fille à sa vocation,
celle de gardienne du foyer. Ainsi la philosophie ne sera pas enseignée,
parce que l'on craint de former des « femmes savantes ». Ni le latin,
ni le grec n’ont davantage leur place. L’enseignement que l’on y dispense est
surtout littéraire, auquel s’ajoutent des travaux d’aiguille et des
leçons de morale. Au bout de cinq années, un diplôme d’études secondaires est
délivré, distinct du baccalauréat…"
C'est moi qui souligne. Julia savait donc coudre, tricoter,
broder et faire de la dentelle au crochet avec une dextérité qui fascinait mes
yeux d'enfant. Heureuse époque où les taies d'oreiller et le bord du drap blanc,
rabattu sur la couverture, s'ornaient d'un jour et d'un monogramme !
Napperon réalisé par Julia |
Jusque dans les dernières années de son existence, ma
grand-mère resta rarement oisive : elle avait toujours un ouvrage en
cours, des jours à confectionner, un ourlet à terminer ou une bobine de fil à
broder posée sur les genoux, tandis que ses mains tournaient et retournaient
sans bruit le crochet sur le ruban de dentelle. Toutes activités qui n'interdisaient
pas les plaisirs de la conversation ni l'évocation de souvenirs que j'écoutais alors
d'une oreille distraite.
De temps en temps, elle se faisait accompagner dans les
"grands magasins", afin de se réapprovisionner en toile et en fournitures,
et entamait aussitôt la confection d'une nouvelle nappe pour l'une ou l'autre
de ses petites-filles.
J'ai retrouvé dans la bibliothèque familiale un opuscule
intitulé Jours sur toile, de Thérèse
de Dillmont, imprimé par Dollfus-Mieg et Cie. Ce fascicule illustré, de
54 pages, complété d'une vingtaine de planches en noir et blanc, avait
pour objet de promouvoir les cotons à broder DMC fabriqués par la célèbre
entreprise alsacienne.
Collection personnelle |
Le texte en sera repris dans l'Encyclopédie des ouvrages de dames, de cette même Thérèse de
Dillmont, un pavé de plus de six cent pages publié en 1886, que vous pouvez
consulter ici,
grâce à Gallica, si le sujet vous intéresse.
Ce livre appartenait-il à Julia ? Sans doute. L'avait-elle
reçu au cours de son adolescence, afin d'occuper ses loisirs à la confection de
son trousseau de mariage ? Il traite donc des jours, ces "vides que l'on produit dans la toile, en
groupant, au moyen de points, plusieurs fils isolés par suite du retrait de
fils de chaîne ou de trame".
Je le feuillette et j'y apprends que les jours se déclinent
en ourlets, en rivières (plus larges que les ourlets, elles remplacent les
bordures brodées et les entre-deux de dentelle), en fonds (qui garnissent les
parties ajourées d'ouvrages d'une certaine importance), en point coupé italien,
en jours américains, danois, norvégiens, Reticella…
Et je ne vous parle pas des baguettes, des faisceaux, des
barrettes, ni des points d'esprit alignés ou contrariés. Tout un vocabulaire
qui me laisse d'autant plus rêveuse que j'éprouve déjà des difficultés à
recoudre un vulgaire bouton ! Bon, en revanche, contrairement à Julia, j'ai
fait six ans de latin.
C'est peut-être aussi pour cette raison que je n'ai jamais
su passer le brin de laine au bout de l'aiguille à tricoter d'un geste prompt
de l'index, alors que ma grand-mère faisait cela sans y penser.
Les travaux d'aiguille qu'elle réalisait à l'intention de
ses petites-filles étaient de deux sortes. Les ouvrages tricotés, que nous
appréciions toutes trois modérément, chandails, chaussettes, maillots de bains
en laine qui grattent dès qu'ils sont mouillés, ne sont plus présents que sur
de vieilles photos en noir et blanc comme celle-ci.
Archives personnelles |
Mais les ouvrages
plus raffinés, lourdes nappes pour huit, dix ou douze couverts, serviettes de
table, napperons, ont traversé vaille que vaille les années. Même si nous
n'avons plus aujourd'hui le personnel pour les repasser et les amidonner, ils n'en
restent pas moins le charmant témoignage d'un mode de vie révolu !
Napperon, détail |
(1) Michel Winock, La Belle Époque,
Éditions Perrin, collection Tempus n°44, paru en 2003, 429 pages, chapitre 8 Les femmes à la Belle Époque,
p.167
J'ai adoré le tricot et la broderie - à laquelle j'ai dû renoncer parce que le point de croix demande une précision de vue et une agilité des doigts que je n'ai plus .... au lycée, jusqu'en 3ème, j'ai subi des cours d'éducation ménagère, où on tentait de nous enseigner la couture .... mes boutonnières mériteraient d'etre vues, à leur manière elles étaient des oeuvres d'art, modernes et destructurées :)
RépondreSupprimerEh oui, même dans cette institution où j'ai passé douze années et qui se targuait d'avoir 100% de réussite au bac, on apprenait à tricoter et à faire du point de tige et du point de croix, mais je n'ai jamais repris l'aiguille ensuite !
SupprimerBonjour
RépondreSupprimerIntéressant billet, très juste,
j'ai souri à l'évocation des vêtements tricotés .... cela me rappelle des souvenirs, j'ai eu droit aux chaussettes, et j'ai des cousins germains qui dans les années 50 ont subi des sous-vêtements en coton ...
et j'ai aussi des photos en noir et blanc de maillots en laine ...........
Nésida
On se sent moins seule, tout à coup…
SupprimerJe suis un peu plus jeune mais j'ai eu aussi des vêtements tricotés. Par contre la couture (coudre un bouton, repriser ou savoir faire un ourlet ...), tricoter, faire du canevas, mes grand mères m'ont appris. J'ai bien eu du mal à part pour le canevas. Maintenant j'adore cela, ne me demandez pas pourquoi. Par contre j'aimerais tant savoir faire du crochet mais à l'époque cela n'a pas voulu rentrer.
RépondreSupprimerMa bête noire en couture : savoir faire un noeud juste en mettant le fil entre deux doigts ou est-ce vraiment un noeud que cela s'appelle ? Bref je ne sais toujours pas le faire alors que ma grand-mère paternelle était un as dans cet exercice.
Pour tout dire, j'adorerais faire ces exercices de dentelle que l'on voit sur vos photos, c'est magnifique.