lundi 25 mars 2013

Relever le défi


Pas de nouveau billet cette semaine. Une pause m’a paru nécessaire avant de relever le défi lancé par Sophie Boudarel sur son blog, La gazette des ancêtres[i]. Il consiste à poster un article chaque jour, sauf le dimanche, et ce durant tout le mois d’avril !
Source Photopin

Le fil rouge en sera l’alphabet : A le lundi 1er avril, B le mardi 2 et ainsi de suite jusqu’à Z le mardi 30. Sans perdre de vue la généalogie, bien entendu.

Cette petite gymnastique intellectuelle n’est pas pour me déplaire. Simplement, il m’a fallu anticiper car, sauf imprévu de dernière minute, les premiers jours d’avril, je serai très loin de ma base, à une douzaine d’heures d’avion, du côté des cerisiers en fleurs… J’ai donc sérieusement travaillé les premières lettres.

Il y a quelques mois, lorsque Sophie Boudarel nous proposa, lors d’un atelier[ii], de nous lancer dans l’écriture d’un blog, nous avions peur de manquer de sujets ! Je m’aperçois aujourd’hui qu’il n'en est rien. Mon autre crainte était que ce soit une activité chronophage. De ce côté-là, je ne me suis pas trompée : l’écriture est une drogue douce et, une fois qu’on y a goûté, difficile de s’en passer. D'ailleurs, je vais tenir un carnet de voyage durant toute mon escapade au Japon, comme je l'ai fait lors des précédents circuits (indispensable lorsque l'on revient avec des milliers de photos).

La contrainte de suivre l’alphabet est un stimulant supplémentaire. Si certaines lettres ne présentent guère de difficultés, d’autres sont d’un abord moins évident et il faut se remuer les méninges pour broder à partir du K, du W ou du Z. Soyez donc indulgents si le lien vous paraît ténu, il s'agit de généalogie, certes, mais également d'un atelier d'écriture.

Rendez-vous la semaine prochaine, donc, et si je tarde à poster vos commentaires, ne m'en voulez pas trop, je ne suis pas sûre de pouvoir accéder à internet tous les jours, sans compter le décalage horaire. J'espère néanmoins trouver le temps de lire les articles de tous ceux qui ont décidé de relever le défi, cela devrait faire un joli feu d'artifice littéraire !




[ii] Écrire et raconter sa généalogie, atelier de formation organisé par la Revue française de généalogie

lundi 18 mars 2013

Donation à la paroisse de Touchet


Comme vous le savez, les registres paroissiaux recèlent parfois quelques pépites. En voici une.

Source : AD Manche

Le 18 juillet 1781, un ecclésiastique, Jean François Le Pegot, qui semble avoir occupé une place importante au sein du diocèse de Coutances(1), fait une donation à la modeste paroisse de Notre-Dame-du-Touchet, dans l'actuel département de la Manche. Les deux feuillets sur lesquels sont retranscrits l'acte de donation et son acceptation sont intercalés entre l'année 1781 et l'année 1782.

De quoi s'agit-il ? D'un calice et d'une patène en vermeil(2), accompagnés de deux pintons en argent (autrefois dorés, est-il précisé). Douze ans de scolarité dans un établissement confessionnel me permettent de savoir que le calice et la patène sont l'un une sorte de coupe et l'autre une sorte de plat qui occupent une place centrale dans la célébration de la messe, au moment de l'offertoire et de la consécration du pain et du vin ; mais les pintons ? J'ai cherché en vain dans les différents dictionnaires à ma disposition, y compris un "Dictionnaire des mots rares et précieux". Pas le moindre pinton.

Il ne m'a pas échappé que la pinte est une ancienne unité de mesure de capacité pour les liquides, de l'ordre de 0,93 litre à Paris (ce qui est largement supérieur à la pinte anglaise). J'en déduis que les pintons en question, au nombre de deux, sont peut-être des burettes, ces deux flacons contenant le vin et l'eau, utilisés à plusieurs reprises au cours de la messe.

L'ecclésiastique précise le poids des objets précieux : cinq marcs deux onces pour le calice et la patène, un marc quatre onces et quatre gros pour les pintons. L'occasion de réviser les anciennes mesures de poids. Un marc équivaut à 244,75 grammes, une once à 30,594 grammes et un gros à 3,8 grammes. En d'autres termes, il faut huit gros pour faire une once et huit onces pour faire un marc. L'ensemble de la donation représente donc environ 1,7 kilo de vermeil et d'argent.

Pourquoi une telle donation ? Il s'agit d'honorer la mémoire de René Charles Le Pegot, frère du donateur, et de René Michel Libor, leur neveu commun, qui furent tous deux curés de la paroisse de Notre-Dame-du-Touchet au cours du XVIIIe siècle. Le premier a été inhumé dans le chœur de l'église en août 1753 et le second en février 1761, soit plus de vingt ans auparavant.

Jean François Le Pegot avait précédemment remis les objets en question à un autre de ses neveux, Louis François Libor, curé de Saint-Romphaire, et ils lui avaient été retournés à la mort de ce dernier, survenue en mai 1778. Dans l'acte de donation, Jean François Le Pegot souhaite que l'on se souvienne également de ses parents, inhumés dans l'église du Touchet, et de lui-même "et avant et après (son) décès".

À ce stade, j'ai éprouvé le besoin de faire un tour sur GeneaNet. J'y ai trouvé une certaine Esther Le Pegot, sans doute la sœur de notre généreux donateur. De son union avec le sieur Guillaume René Libor sont nés de nombreux enfants, dont deux au moins, René Michel né en 1718 et Louis François né en 1720, furent ordonnés prêtres. À la génération suivante, un certain Guillaume Jean Baptiste Libor sera pour sa part maire de la commune de Touchet.

Mais revenons à notre donateur. Il souhaite que le calice, la patène et les pintons de métal précieux ne soient utilisés que pour les fêtes solennelles et les grandes messes paroissiales, afin de mieux les conserver. Il s'en remet "à la prudence et sage économie de messieurs les curés".

Le 29 juillet 1781, le curé Guillaume Mauduit, le vicaire Pierre Yver et nombre de notables de la paroisse, "assemblés au son de la cloche à l'issue des Vespres", acceptent la donation. Ils sont plus d'une vingtaine à signer le document, dont un exemplaire figure dans le registre paroissial et un exemplaire est placé dans le coffre de ce qu'ils appellent le "Thrésor"(3).

Je me demande simplement ce qu'il advint des objets de cette donation et des intentions qui y étaient attachées, lorsque survint la Révolution, quelques années plus tard.



(1) Il fut notamment official du diocèse de Coutances pour le siège de Saint-Lô, c'est-à-dire juge ecclésiastique délégué par l'évêque.

(2) Métal précieux constitué d'argent recouvert d'or.

(3) Le texte complet de l'acte figure dans les registres paroissiaux de Notre-Dame-du-Touchet sous la cote suivante : 5MI 2035, vues 20 à 22/148.

lundi 11 mars 2013

Bilan d'une première journée aux Archives de Paris


Çà y est, je peux faire un premier "tick-mark" sur ma "to do list" de la nouvelle année : je suis enfin allée aux Archives de Paris. Au passage, j'en ai profité pour tester le tramway qui suit les boulevards des Maréchaux, depuis la porte de Vincennes jusqu'à la porte des Lilas. Super rapide, avec une petite musique et une voix différentes à chaque arrêt. Bon, les passagers ne sont pas très souriants, mais, faut pas rêver, il faisait froid, le temps était gris, c'est la crise et le Parisien est d'un naturel peu avenant.

Sur place, j'avais rendez-vous avec Brigitte. Nous nous sommes rencontrées lors d'un premier atelier dans les locaux de la Revue française de Généalogie, nous nous sommes retrouvées lors de l'atelier de paléographie et depuis nous échangeons à grands coups de commentaires sur nos blogs réciproques. C'était mon plan anti-procrastination ! En plus de notre goût commun pour la généalogie, nous aimons toutes deux les voyages en général et ceux vers le continent asiatique en particulier, voilà un sujet de conversation tout trouvé pour la pause déjeuner.

Registre consultable aux Archives de Paris

Cette journée aux Archives de Paris marque une nouvelle étape, car jusqu'à présent, il faut bien l'avouer, j'étais surtout une généalogiste internaute. Là, je me lance dans le grand bain de la recherche sur pièces. Cela m'a rappelé de très vieux souvenirs, du temps où j'étais étudiante et où le directeur de la bibliothèque de la CCIP(1) de l'époque nous terrorisait en tentant de nous inculquer quelques principes de base sur la recherche documentaire. Voilà un blocage enfin exorcisé !

J'ai donc acquis un nouveau savoir-faire, que je peux décrire de la façon suivante :

  • Sur présentation de ma carte d'identité, j'ai reçu une carte (gratuite) d'accès aux Archives, avec mes prénom et nom et un joli code barre.

  • J'ai rangé blouson, chapeau, sac, gants et téléphone dans un placard à code comme les coffres-forts d'hôtel et j'ai mis tout ce dont j'avais besoin, papiers, crayons, iPad et appareil photo, dans une grande pochette en plastique transparent.

  • J'ai pris une place en salle de lecture et je l'ai marquée avec une plaque "Place occupée" ; il y a une lampe (inutile aux heures où j'y étais, compte tenu de la lumière du jour largement diffusée par les fenêtres), une prise de courant pour l'ordinateur que je n'avais pas apporté et un lutrin pour la lecture des gros registres.

  • J'ai noté le numéro de ma place : il faut l'indiquer lorsque l'on commande un document, puis lorsque l'on va le chercher au comptoir et lorsqu'on le rapporte.

  • J'ai appris à consulter les tables en libre accès, rangées sur les étagères près des grandes baies vitrées, pour y relever les cotes des documents à commander.

  • J'ai appris à faire fonctionner le lecteur de microfilms, avec l'aide du responsable de salle fort serviable, puis d'une voisine bienveillante, parce qu'il n'est pas rare de se tromper plusieurs fois avant d'acquérir les bons gestes.

  • J'ai mis un billet de 10 € dans une machine, qui m'a fourni en échange une carte verte rechargeable, pour imprimer des documents.

  • J'ai appris à imprimer les documents microfilmés. Là aussi quelques difficultés, l'imprimante ayant besoin d'une nouvelle cartouche d'encre, mais tout est rapidement rentré dans l'ordre après quelques feuilles jetées dans la corbeille.

  • J'ai appris à commander des documents en scannant mon code barre et en tapant les cotes sur l'ordinateur (retour, F8, F9…).

  • J'ai appris à patienter et à guetter l'arrivée de mes documents (temps moyen annoncé et respecté 20 minutes) sur l'écran où les numéros de places défilent comme dans une salle de cotation.

  • J'ai constaté que je ne pouvais disposer que d'un seul document à la fois, même si j'en commandais deux d'un coup. Il faut rendre le premier pour disposer du second.

Vous avez compris : la prochaine fois, je devrais être plus efficace. Néanmoins, cette première journée a été fructueuse.

J'ai récupéré une dizaine d'actes de naissance, de mariage et de décès reconstitués après les incendies de la Commune : ils m'ont permis de lever quelques incertitudes. J'ai consulté le registre paroissial de l'église Saint-Merri de l'année 1848, dans lequel j'ai trouvé le mariage que je recherchais. Et j'ai eu accès aux registres matricules de deux de mes ancêtres. Bilan tout à fait positif, donc.

Lors de ma prochaine visite, j'ai l'intention de consulter la collection des Bottins pour y glaner des informations supplémentaires sur les activités professionnelles de mes ancêtres parisiens. J'ai également repéré un certain nombre d'ouvrages en libre accès dont la consultation devrait être intéressante.


(1) Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris

lundi 4 mars 2013

Réhabilitation d'un mariage au XVIIIe siècle


La généalogie est une source inépuisable de découvertes. Lorsque j'entamai des recherches sur mes ancêtres normands, je savais que l'Église comme l'État réprouvaient les unions entre trop proches parents, mais je n'avais pas approfondi la question. Jusqu'à ce que, au détour d'une page, je tombe sur le texte suivant : "L'an mil sept cent cinquante quatre le dix huit juillet nous soussigné curé de la paroisse de Notre Dame de Touchet, avons réhabilité le mariage de Jean Toullier laboureur…". De quoi s'agissait-il ?

Source : Archives départementales de la Manche

Le texte(1), réparti sur deux feuillets, long d'une page environ, très lisible (merci, monsieur le curé), nous conte l'histoire par le menu. Jean Toullier et Martine Chancé se sont mariés quelques années auparavant, le 15 février 1749, "toutes les cérémonies de l'église légitimement observées et après la publication de trois bans sans opposition et sans avoir connu à leur dit mariage aucun empêchement civil ou canonique". Jusque-là tout allait bien.

Le mari a 42 ans au moment où il convole et son épouse seulement 23 ans, mais ce sont là choses relativement courantes à l'époque. Le premier enfant s'annonce dès le 23 octobre 1749, soit huit mois après le mariage, nous ne leur en tiendrons pas rigueur. C'est une fille prénommée Anne. Viennent ensuite Jean Martin en novembre 1752, puis Jeanne Renée Elisabeth (pourquoi cette débauche de prénoms tout à coup ?) en février 1755, André en mai 1757, un petit Jean qui ne survit pas à son baptême en février 1759, enfin un autre Jean en juillet 1763.

Mais, entre-temps, une difficulté surgit : en juillet 1754, les époux apprennent qu'ils sont "parents dans le quatrième degré de consanguinité". Allons bon !

Un détour par Google, et me voici sur le blog de GeneaNet qui relaie une réponse de la Chambre syndicale des généalogistes et héraldistes de France (CSGHF) sur les réhabilitations de mariage. L'information date d'avril 2005, mais elle n'a rien perdu de sa pertinence.

Il existe plusieurs empêchements possibles à la célébration d'un mariage : la consanguinité jusqu'au 4e degré canonique, la parenté spirituelle ou affinité (liens entre parrain, marraine, filleuls et parents de ces derniers), la parenté civile (liens entre un veuf ou une veuve et la parenté de l'époux défunt), l'honnêteté publique (?)(2)

D'après le texte, Jean Toullier et Martine Chancé sont parents au 4e degré selon le droit canon. Cela veut dire qu'ils ont un ancêtre commun à la 4e génération, c'est-à-dire un arrière-arrière-grand-parent commun ! Malheureusement, les registres paroissiaux du Touchet, dont ils sont tous deux originaires, ne permettent pas de remonter au-delà de mai 1687. Ce n'est pas suffisant pour reconstituer leur arbre généalogique sur quatre générations.

À y regarder de plus près, je constate quand même que l'une des arrière-grands-mères de Martine Chancé se nomme Martine Toullier. Si j'ai bien compris le système des degrés canoniques, elle devrait avoir un frère qui serait l'arrière-grand-père de Jean Toullier (vous me suivez toujours ?).

Bien, mais que se passe-t-il si le mariage a été célébré et si l'empêchement a été connu après ? Eh bien, le mariage est annulé. Soit, mais dit le texte de 1754, "duquel mariage ainsi contracté et consommé dans la bonne foi, ils ont eu deux enfants qui sont encore en vie" (parce que, si les enfants n'avaient pas survécu, cela aurait changé quelque chose ?). Les époux se tournent vers "Monseigneur l'évêque d'Avranches pour obtenir dispense du quatrième degré de consanguinité aux fins de réhabiliter leur mariage contracté dans leur bonne foi en mil sept cent quarante neuf".

C'est le vicaire général du diocèse, monsieur de Saint-Germain, qui leur accorde la dispense le 16 juillet 1754. Ouf ! Le curé du Touchet peut procéder à une nouvelle célébration du mariage. Je suppose que tout cela ne fut pas gratuit, bien entendu. Quatre témoins, dont un prêtre, un notaire royal et un propriétaire signent au bas de l'acte de réhabilitation.

Le couple eut finalement six enfants, avant que Jean Toullier ne décède en 1765, à l'âge de 58 ans. Dans l'acte de sépulture, il est qualifié de propriétaire au village des Dix Sillons. Son épouse lui survivra plus de trente-deux ans, sans se remarier, avant de décéder à son tour au même village des Dix Sillons en février 1798. Il est amusant de noter que l'agent municipal qui rédige alors l'acte de décès, Michel Charles Libor, porte le même nom que le curé qui avait procédé à la réhabilitation du mariage en 1754. Sans doute sont-ils de la même famille.



(1) AD Manche, Notre-Dame-du-Touchet, 5MI 2034, vue 93/254.
(2) Voir également l'article publié par WikiGenWeb à l'adresse suivante : http://www.francegenweb.org/~wiki/index.php/Dispense_de_consanguinité.
Ce dernier donne notamment des précisions sur "l'honnêteté publique".