lundi 28 novembre 2016

La quatrième bougie

Eh oui ! Les semaines passent, les mois filent et les années s'accumulent, à quelques jours d'un autre anniversaire, où j'aurai, hélas, beaucoup plus que quatre bougies à souffler !

Quatre ans donc que je me suis lancée dans l'aventure d'un blog consacré à la généalogie et à l'histoire familiale. C'est un excellent aiguillon : des recherches à mener, des archives à consulter, des livres à dévorer, des connaissances à approfondir, des anecdotes à raconter… je ne m'ennuie pas une seconde et ma base de données s'enrichit sans bruit.


Quatre ans, cela représente plus de deux cent cinquante billets, à raison d'un par semaine (un par jour durant les challenges AZ), même si je me suis parfois accordé quelques pauses, durant les vacances estivales ou les fêtes carillonnées.

J'ai aussi anticipé les lointains voyages qui me tenaient éloignée de mon camp de base, en programmant quelques pages à paraître durant mes absences.

Je rentre ainsi tout juste du Japon : quinze jours en immersion dans une culture passablement différente de la nôtre, vingt mille kilomètres aller et retour, huit heures de décalage horaire dont je ne suis pas encore totalement remise… mais aussi plus d'un millier de photos à transférer sur l'ordinateur, à retoucher et à renommer. Bref, ne m'en veuillez pas si la généalogie est passée provisoirement au second plan.


Mon enthousiasme n'a pas faibli pour autant. C'est promis, je ferai mon possible pour être de retour lundi prochain…

lundi 21 novembre 2016

Sur les chemins de Serendip…

L'histoire commence par un acte de décès. Celui de Marie Joseph Valuche, veuve de François Raimbault, à Champtocé-sur-Loire en 1853 : "Le douze février, à dix heures du matin… sont comparus Luda Laud, cultivateur au Hardas en cette commune, âgé de quarante un ans, gendre de la décédée…"

AD Maine-et-Loire, Champtocé-sur-Loire 1850-1853 vue 138/174 

Je bute sur le nom du déclarant et, comme je ne suis pas sûre d'avoir correctement déchiffré l'écriture de l'officier de l'état civil, je fais un petit tour sur Geneanet. Une première recherche sur le couple Raimbault-Valuche ne m'éclaire en rien. Manifestement, la fratrie n'est pas complète, aucun gendre n'a de nom approchant.

Ne nous décourageons pas et lançons une recherche sur Champtocé, sans indiquer aucun nom. Bien sûr, j'obtiens plus de douze mille résultats, mais en parcourant rapidement la liste… bingo ! à la page 10, le patronyme Luda apparaît. Je suis dirigée vers la fiche d'un certain Laud Luda, mari de Françoise Raimbault qu'il a épousée le 14 novembre 1842 à Bécon-les-Granits.

Il n'y a plus qu'à détricoter l'écheveau. L'acte de mariage indique "Laud Luda, jardinier demeurant à Montjean, né à l'hospice d'Angers le 3 octobre 1811 ainsi qu'il est constaté par son acte de naissance inscrit sur les registres de la commune et ville d'Angers…"

Voyons cela. Le prétendu acte de naissance est en réalité un procès-verbal d'exposition. Le commissaire de police du 3e arrondissement, le sieur Gaspard Pierre Berthault, se présente au bureau de l'état civil : le 30 septembre précédent à 8 heures du soir, un enfant a été "exposé à l'hôpital général, maison de dépôt des enfants de la patrie". Son âge estimé : environ un mois.

Suit une longue description de ses vêtements, dont certains détails m'échappent. Je relève néanmoins une brassière de finette blanche, une chemise garnie de mousseline noire, un mouchoir de coton à fond blanc et barres violettes, un bonnet de finette blanche avec un tour en soie jaune, un béguin garni de mousseline mouchetée… mais pas de marque, ni de billet sur lui.

"Avons inscrit le dit enfant sous les prénom de Laud et nom de Luda". Voilà !

Le prénom de Laud renvoie à une paroisse du même nom dans la ville d'Angers. "L'église, exposée hors de l'enceinte à tous les pillages, était une des plus pauvres de la ville", nous précise Célestin Port dans son Dictionnaire historique. Ma foi, cela convient à un enfant abandonné. Mais le patronyme ? Les mêmes lettres que le prénom, dans un ordre différent : amateur d'anagrammes, le commissaire ?

Je continue mes recherches dans les archives d'Angers disponibles en ligne. La collection départementale comporte les registres de baptêmes des enfants abandonnés entre 1807 et 1840, plus de 11 000 durant cette période. L'examen de la table alphabétique laisse apparaître une prédilection pour des patronymes commençant par la même lettre que le prénom (de façon à faciliter les recherches, si le besoin s'en fait sentir ?).

L'acte de baptême est succinct : "Le deux octobre 1811 a été baptisé Placide nommé à la municipalité Laud Luda né d'hier inconnu." Suivent les noms du parrain, de la marraine, sans doute des employés de l'hôpital, et le nom de l'aumônier. L'enfant n'est manifestement pas né la veille, mais peu importe. Cette imprécision le suivra toute sa vie, il faudra faire avec.

Un mot, au passage, sur l'exposition. C'est le terme employé pour les enfants déposés dans un tour, ce cylindre qui pivote sur un axe de façon à ce que l'ouverture soit tantôt orientée vers la rue, tantôt vers l'hospice, et préserve ainsi l'anonymat de la personne déposante. Officiellement institué par le décret du 19 janvier 1811, le tour existait déjà sous l'Ancien Régime et fut finalement supprimé sous le Second Empire.

Tour d'abandon de l'hôpital de Provins
Source Gallica

Mais revenons à Laud Luda. À trente-et-un ans, il épouse Françoise Raimbault, domestique âgée de trente-neuf ans. La profession de l'épouse explique sans doute ce mariage tardif. J'ignore quand le couple s'installe à Champtocé, où naît leur fils Pierre en 1845 et où décède Françoise en 1869.


Qualifié de jardinier lors de son mariage, Laud Luda devient cultivateur au Hardas, puis laboureur au Petit Verger, puis fermier à la Tidoire avec son fils. Il y décède en octobre 1889, alors qu'il avait soixante-dix-huit ans. Je n'ai pas de lien direct avec lui ; il avait simplement épousé la nièce d'une de mes ancêtres à la septième génération, mais son nom m'a suffisamment intriguée pour que je m'accorde ce détour dans les registres, sur les chemins de Serendip…

lundi 14 novembre 2016

L'envers de la Belle Époque

Je voudrais vous entretenir aujourd'hui d'un livre qui donne à réfléchir : La place des bonnes(1), sous-titré La domesticité féminine à Paris en 1900. De quoi réviser de façon radicale son point de vue sur les décennies qui précédèrent la Première Guerre mondiale.


L'ouvrage s'intéresse en priorité aux jeunes provinciales venues se placer à Paris, à la fois pour échapper aux conditions de vie très dures du monde rural et pour se constituer un pécule, plutôt que de voir ses gages le plus souvent accaparés par le chef de famille. Quitte à revenir finir ses jours dans le village d'origine, avec un tout nouveau statut de citadine. Chèrement acquis, comme on va le voir.

En préambule, l'auteur évoque la pénurie de bonnes à tout faire à la toute fin du XIXe siècle, principalement due à l'essor d'une petite bourgeoisie qui aspire à se faire servir pour se démarquer du prolétariat. Ce n'est pas le nombre de domestiques qui diminue, c'est la demande qui augmente fortement.

L'ouvrage est divisé en trois parties. La première traite des conditions de travail : placement chez des employeurs, rémunération, tâches dévolues aux domestiques, hébergement. La seconde évoque à la fois la mentalité des gens de maison et la façon dont ils sont perçus dans l'imaginaire de ceux qui les emploient. La dernière partie passe en revue leurs loisirs (rares) et leur vie sexuelle.

Un univers dans lequel on plonge et dont on ne sort pas indemne !

Commençons par les tâches qui incombent à la domestique, tout au long d'une interminable journée qui commence à six heures du matin pour s'achever au mieux après la vaisselle du dîner : l'entretien du feu, l'élimination de la poussière, l'évacuation des eaux usées, la lessive, les courses, la cuisine… On n'imagine guère aujourd'hui les innombrables allées et venues dans les escaliers pour monter les seaux de charbon, vider les cendres, les cuvettes et les pots de chambre. Les difficultés à nettoyer des pièces encombrées de meubles et surchargées de bibelots. L'insalubrité d'une cuisine humide, exigüe, mal aérée, donnant sur une obscure courette et encombrée d'un dangereux fourneau…

Pour le repos quotidien, deux options. Soit la bonne est logée dans l'appartement de ses maîtres, le plus souvent dans un réduit qui s'apparente plus à un débarras qu'à une chambre. Soit elle dispose d'une pièce au dernier étage de l'immeuble (les fameuses "chambres du sixième"), accessible par l'escalier de service, mansardée, éclairée par une simple tabatière, non chauffée(2).

Inutile de préciser qu'à l'époque les gens de maison ne bénéficient d'aucune protection sociale : pas de repos hebdomadaire obligatoire ("Ces domestiques qui exigent leur dimanche tous les dimanches !"), pas de rémunération en cas de maladie, pas de législation des accidents du travail, pas de retraite.

La quasi absence de vie privée explique que les domestiques soient le plus souvent célibataires, ce qui n'exclut pas pour autant les grossesses, catastrophiques dans la mesure où elles sont immanquablement cause de renvoi. D'où les manœuvres pour les dissimuler, les avortements, les accouchements solitaires, les infanticides et les abandons d'enfants. Il vaut mieux avoir le cœur bien accroché à la lecture de certains paragraphes.

Vous l'aurez compris, ce livre ne laisse pas indifférent. Il traite des domestiques, et plus particulièrement des "bonnes à tout faire", mais il offre également une vision en creux de la bourgeoisie qui les emploie. L'envers de la Belle Époque, en quelque sorte.



(1) Anne Martin-Fugier, La place des bonnes, La domesticité féminine à Paris en 1900, Perrin, collection Tempus n°58, 1979, 2004, 377 pages, ISBN 978-2-262-02104-7

(2) Le tableau est sombre, mais il illustre bien la description des appartements et des immeubles que l'on trouve dans les calepins des propriétés bâties, évoqués dans le billet intitulé "Sur la piste de mes ancêtres parisiens".

lundi 7 novembre 2016

Tonnerre d'automne

En feuilletant les pages d'un registre paroissial, je tombe sur cette mention insolite :

AD Manche Buais 1745-1754
5 MI 1438 vue 90/211

"Le 2e jour de novembre 1751 le tonnerre tomba
sur le clocher de Buais endommagea une des jambes
de force decouvrit tout à l'entier la fleche et le dôme
la reparation en a couté sept cens livres suivant
l'adjudication qui en a été faitte & mise à prix par le s(ieu)r
prieur ce fut sur les neuf heures du soir que le
tonnerre tomba, partagea le cocq par la moitié on
en a mis un neuf, La France couvreur en ardoise
d(emeura)nt à Landivy a couvert de neuf le bois quarré
le dôme & la fleche. L'année 1752 le bled seigle
valant quatre livres le boisseau le 9 may 1752."

Le scripteur est avare en ponctuation, ce qui est fréquent à l'époque. Nous sommes à Buais, à deux lieues au sud de Notre-Dame-du-Touchet, dans l'actuel département de la Manche. Deux lieues de plus vers le sud, et nous voilà à Landivy, dans le département de la Mayenne, d'où venait l'artisan qui a refait la toiture ravagée par l'orage.

Je note l'insistance du prieur curé sur le coût des travaux et le remplacement de la girouette, au point d'exprimer le pouvoir d'achat de la livre en boisseaux de seigle, pour que chacun mesure l'importance de la somme.

Mais, au fait, comment étaient financés les travaux d'entretien, de réparation, d'embellissement des édifices religieux sous l'Ancien Régime ? Et, d'une manière plus générale, quelles étaient les ressources du clergé dans les paroisses avant la Révolution ?

Les ressources du clergé

Elles sont principalement de deux ordres : les bénéfices ecclésiastiques et la dîme.

Les premiers sont des biens fonciers, attachés à une fonction ecclésiastique, pratique qui remonte, semble-t-il, au Moyen-Âge. Ces biens produisent des revenus : on parle de mense(1) épiscopale pour les évêques, de mense abbatiale pour les abbés, de prébende pour les chanoines et de mense paroissiale pour les curés.

Ces revenus fonciers se distinguent du casuel, qui correspond aux rétributions accordées par les fidèles à l'homme d'église pour l'exercice de certains ministères (baptêmes, mariages, funérailles, bénédictions). Ce casuel est bien entendu extrêmement variable d'une paroisse à l'autre, en fonction du nombre de paroissiens et de leur générosité, au point que des tarifs furent petit à petit instaurés pour les différentes cérémonies.

Lorsque le bénéfice ecclésiastique n'est pas directement attaché à une cure, mais relève d'une abbaye ou d'un chapitre, une part appelée portion congrue est prélevée pour rémunérer la cure : de 1629 à 1768, elle fut de 300 livres par an pour les desservants d'une paroisse et de 150 livres pour ses vicaires. Elle fut portée à 500 livres en 1768, puis à 700 livres en 1786 (et moitié moins pour les vicaires). La pratique a disparu, mais l'expression est restée dans le langage courant.

L'autre ressource importante est la dîme : il s'agit d'un impôt en nature prélevé par l'Église sur les produits agricoles, pour l'entretien des ministres du culte. Le bénéficiaire, appelé décimateur, en confie le plus souvent la perception à un fermier des dîmes, moyennant une somme convenue. À charge pour lui de revendre les produits prélevés sur les récoltes.

La perception de la dîme s'effectue sur le champ et en nature, ce qui veut dire que l'agent est présent au moment même de la récolte pour effectuer le prélèvement : gerbes de blé ou de seigle, lin, chanvre, fruits, légumes, raisin, agneaux, laine…

Le taux de prélèvement est théoriquement de 10 %, d'où le nom de dîme(2), mais il est en réalité extrêmement variable d'une paroisse à l'autre, selon les produits. La dîme est partagée entre l'évêché et la paroisse (en général, un quart à l'évêché et trois quarts à la paroisse).

Le financement des travaux

Il est régi selon un principe de base : dans chaque église, le chœur est à la charge des décimateurs et la nef à la charge des paroissiens. Et le clocher, me direz-vous ? cela dépend de son implantation !

C'est le moment d'évoquer la fabrique, ce groupe de laïcs, marguilliers ou fabriciens, chargé d'administrer les biens de la paroisse, de s'occuper de l'entretien, des réparations, de l'achat du mobilier… La fabrique gère les recettes courantes (casuel, quêtes, location des bancs) ainsi que les donations et les fondations (lorsqu'un paroissien alloue par testament une somme pour la célébration de messes anniversaires, par exemple).

Selon leur importance et leur localisation, les travaux d'une église peuvent donc être financés par la dîme ou sur les fonds gérés par la fabrique.

Il arrive également que le curé ou l'évêque fasse appel à la piété des fidèles par des quêtes exceptionnelles, assorties ou non d'indulgences.

Un impôt exceptionnel peut même être autorisé par le pouvoir politique, selon toute une procédure (requête auprès de l'intendant, assemblée générale des paroissiens, nomination d'experts, établissement de devis, adjudication, nomination de collecteurs de l'impôt, établissement du rôle…).

Enfin, des bienfaiteurs financent parfois tout ou partie des dépenses : construction de chapelles, pose de verrières, achat de vases sacrés ou de vêtements liturgiques.

Et voilà comment la lecture d'une mention insolite dans un registre m'a permis, de fil en aiguille, d'avoir une vue plus claire sur les ressources financières des paroisses sous l'Ancien Régime.

Sources

La construction des églises paroissiales du XVe au XVIIIe siècle, article de Marc Venard dans la Revue d'histoire de l'Église de France, année 1987, volume 73, n°190, pp. 7 à 24, sur le site Persée

Dictionnaire de l'Ancien Régime, sous la direction de Lucien Bély, PUF, 1996




(1) Du latin mensa, table pour les repas, nourriture.
(2) Du latin decima, dixième partie.