Je voudrais vous entretenir aujourd'hui d'un livre qui donne
à réfléchir : La place des bonnes(1),
sous-titré La domesticité féminine à
Paris en 1900. De quoi réviser de façon radicale son point de vue sur les
décennies qui précédèrent la Première Guerre mondiale.
L'ouvrage s'intéresse en priorité aux jeunes provinciales
venues se placer à Paris, à la fois pour échapper aux conditions de vie très
dures du monde rural et pour se constituer un pécule, plutôt que de voir ses gages
le plus souvent accaparés par le chef de famille. Quitte à revenir finir ses
jours dans le village d'origine, avec un tout nouveau statut de citadine.
Chèrement acquis, comme on va le voir.
En préambule, l'auteur évoque la pénurie de bonnes à tout
faire à la toute fin du XIXe siècle, principalement due à l'essor
d'une petite bourgeoisie qui aspire à se faire servir pour se démarquer du
prolétariat. Ce n'est pas le nombre de domestiques qui diminue, c'est la
demande qui augmente fortement.
L'ouvrage est divisé en trois parties. La première traite
des conditions de travail : placement chez des employeurs, rémunération,
tâches dévolues aux domestiques, hébergement. La seconde évoque à la fois la
mentalité des gens de maison et la façon dont ils sont perçus dans l'imaginaire
de ceux qui les emploient. La dernière partie passe en revue leurs loisirs
(rares) et leur vie sexuelle.
Un univers dans lequel on plonge et dont on ne sort pas
indemne !
Commençons par les tâches qui incombent à la domestique,
tout au long d'une interminable journée qui commence à six heures du matin pour
s'achever au mieux après la vaisselle du dîner : l'entretien du feu,
l'élimination de la poussière, l'évacuation des eaux usées, la lessive, les
courses, la cuisine… On n'imagine guère aujourd'hui les innombrables allées et
venues dans les escaliers pour monter les seaux de charbon, vider les cendres,
les cuvettes et les pots de chambre. Les difficultés à nettoyer des pièces
encombrées de meubles et surchargées de bibelots. L'insalubrité d'une cuisine
humide, exigüe, mal aérée, donnant sur une obscure courette et encombrée d'un
dangereux fourneau…
Pour le repos quotidien, deux options. Soit la bonne est
logée dans l'appartement de ses maîtres, le plus souvent dans un réduit qui
s'apparente plus à un débarras qu'à une chambre. Soit elle dispose d'une pièce
au dernier étage de l'immeuble (les fameuses "chambres du sixième"),
accessible par l'escalier de service, mansardée, éclairée par une simple
tabatière, non chauffée(2).
Inutile de préciser qu'à l'époque les gens de maison ne
bénéficient d'aucune protection sociale : pas de repos hebdomadaire
obligatoire ("Ces domestiques qui exigent leur dimanche tous les
dimanches !"), pas de rémunération en cas de maladie, pas de
législation des accidents du travail, pas de retraite.
La quasi absence de vie privée explique que les domestiques
soient le plus souvent célibataires, ce qui n'exclut pas pour autant les
grossesses, catastrophiques dans la mesure où elles sont immanquablement cause de
renvoi. D'où les manœuvres pour les dissimuler, les avortements, les
accouchements solitaires, les infanticides et les abandons d'enfants. Il vaut
mieux avoir le cœur bien accroché à la lecture de certains paragraphes.
Vous l'aurez compris, ce livre ne laisse pas indifférent. Il
traite des domestiques, et plus particulièrement des "bonnes à tout
faire", mais il offre également une vision en creux de la bourgeoisie qui
les emploie. L'envers de la Belle Époque, en quelque sorte.
(1) Anne Martin-Fugier, La place des bonnes,
La domesticité féminine à Paris en 1900, Perrin, collection Tempus n°58,
1979, 2004, 377 pages, ISBN 978-2-262-02104-7
(2) Le
tableau est sombre, mais il illustre bien la description des appartements et
des immeubles que l'on trouve dans les calepins des propriétés bâties, évoqués
dans le billet intitulé "Sur
la piste de mes ancêtres parisiens".
Je l'ai demandé au Père Noël! ;)
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