lundi 26 février 2018

Langue écrite, mode d'emploi

J'ai déjà évoqué, ici même il y a… quatre ans déjà ! quelques ouvrages utiles à nous autres, généablogueurs et généablogueuses. Permettez-moi d'y ajouter aujourd'hui une découverte toute récente, le dernier livre de Muriel Gilbert(1).


Attention ! Risques de fous-rires. Si, si, je vous assure, on peut réviser (apprendre ?) quelques règles de grammaire, d'orthographe et de ponctuation en s'amusant. Ce qui ne me paraît pas complètement inutile, quelque huit mois avant le prochain challenge AZ.

D'autant que nous autres, pauvres amateurs, sommes particulièrement exposés aux fautes de toute sorte, à force de déchiffrer des actes de "baptesme" en "datte" de "febvrier", "apvril" ou "aoust" et de tenter de décrypter les patronymes de "pareins" et de "mareinnes", à une époque où l'orthographe n'était certainement pas la préoccupation majeure des officiants. Lesquels, fort fiers de manier la plume sur des registres dûment cotés et paraphés par le greffe du baillage ou de la sénéchaussée, se permettaient de parsemer leur texte d'abréviations absconses aux yeux des profanes, de distribuer les virgules et les accents au petit bonheur la chance et d'agrémenter leur signature de ruches pour preuve de leur dextérité. Le seul moyen d'épater leurs paroissiens illettrés, si l'on y réfléchit bien.

Je ne vous cacherai pas que j'éprouve une forte sympathie pour cette traqueuse de perles en tous genres, qui n'hésite pas à citer l'ordonnance de Villers-Cotterêts (merci François 1er, grâce à qui les textes officiels qui rythmaient la vie de nos ancêtres du royaume de France furent désormais écrits en langue vulgaire). Elle ajoute au passage que c'est finalement Louis Philippe qui inventa en quelque sorte les fautes en imposant à l'Administrâââtion (comme dirait un des miens cousins) de respecter l'orthographe de l'Académie !

Un secret pour être un correcteur ou une correctrice efficace ? Ne pas s'impliquer dans la lecture du texte, mais se transformer en chien truffier. Si, si, je vous assure (bis)… Du temps où j'officiais dans un univers professionnel, nous pratiquions ce que nous appelions la revue indépendante. Késako ? eh bien, la lecture des rapports rédigés par les collègues, sur des dossiers qui nous étaient tout à fait étrangers : le meilleur moyen de dénicher à la fois les incohérences, les incongruités et les diverses erreurs de syntaxe et d'orthographe qui auraient échappé à l'attention du rédacteur. Une calculette et un dictionnaire à portée de main, bien entendu…

Encore quelques mots sur cette correctrice qui officie au journal Le Monde, dotée d'un humour à toute épreuve : elle avoue laisser passer, comme tout un chacun, quelques boulettes. Et une citation, relevée page 61 : "L'orthographe, a dit Éric-Emmanuel Schmitt un jour où il pensait comme moi, c'est comme la propreté, une question de respect de l'autre."

Bon, je vous laisse, je retourne à mes lectures, en espérant être passée cette fois-ci à travers les mailles du filet.




(1) Muriel Gilbert, Au bonheur des fautes, confessions d'une dompteuse de mots, Vuibert, 2017, 256 pages, ISBN 978-2-298-13843-6

lundi 19 février 2018

Le curé qui se prenait pour un notaire

Du côté de mon grand-père paternel, toute une branche de la famille est originaire de la Sologne.

En remontant le fil, depuis mon arrière-grand-mère, Madeleine Augustine Laubret, qui se maria en l'église Saint-Pierre de Montmartre, j'arrive à un certain Etienne Dazon, baptisé au milieu du XVIIe siècle à Selles-Saint-Denis, dans l'actuel département du Loir-et-Cher. Un de mes ancêtres à la dixième génération.

Son parrain s'appelait Estienne Rinquedieu, ce qui est pour le moins original, mais ce n'est pas de cela que je veux vous entretenir aujourd'hui.

Parvenu à l'âge adulte, Etienne Dazon fut laboureur, comme l'étaient ses frères et comme l'était leur père avant eux. Il vécut à Orçay, pauvre bourg de moins de deux cents âmes à quelques lieues au nord de Vierzon, dans un pays d'étangs, de landes et de marécages. Sa première épouse, Silvine Leborne lui donna trois enfants, avant de mourir en accouchant du quatrième, en avril 1689.

Environs d'Orçay, Source Géoportail 

Etienne attendit février 1692 pour épouser en secondes noces une certaine Marie Salmon et là, surprise, le curé a couché dans le registre paroissial ce qu'il appelle les "articles de mariage" ! Le texte clôt l'année 1692, après la succession des actes de baptême, de mariage et de sépulture.

Après avoir indiqué l'identité des époux et nommé les témoins de l'accord entre les parties, le prêtre précise que "les cérémonies de la Sainte Eglise observées les dits futurs époux iront au mesme hostel et maison pour y demeurer uns et communs en tous leurs biens meubles et immeubles présents et à venir acquest et conquest".

Il précise le montant de la dot apportée par l'épouse (deux cents livres), le douaire(1) (quarante écus sans enfant, mais seulement vingt avec enfant), les objets qui reviendront au survivant (bagues et joyaux, meilleurs chefs d'habits, lit et coffre), ainsi que les règles de partage en cas de décès. Ce qui me permet au passage de noter que, sur les quatre enfants du premier mariage d'Etienne Dazon, deux seulement sont vivants à la date où est conclue la convention. Lesquels, cela n'est pas précisé.

Bref, tout ceci ressemble fort à un véritable contrat de mariage, habituellement du ressort du notaire.

Il ne s'agit pas d'un cas isolé. En feuilletant les registres, j'ai trouvé sept autres de ces "articles de mariage", datés respectivement de 1679, 1681 et 1700. Les mariages sont évidemment plus nombreux. Alors je m'interroge : quelle est la motivation des futurs époux pour s'adresser au curé plutôt qu'au notaire ? S'agit-il de raisons financières, de difficultés de transport, de vacance provisoire des charges notariales ? Je n'ai pas la réponse.

Ce second mariage ne dura guère, rendant sans doute caduques les dispositions prises : Etienne Dazon fut porté en terre dix-huit mois plus tard, le 12 août 1693, et son épouse l'y rejoignit sept mois après, le 25 mars 1694. Aucun enfant n'était issu de cette union. Le royaume de France était entré dans ce qu'un historien(2) a appelé les années de misère…



(1) Selon le Dictionnaire de l'Ancien Régime, usufruit sur les biens du mari défunt, qui permet à la veuve de survivre en percevant des revenus, sans être propriétaire des biens.

(2) Marcel Lachiver, Les années de misère, la famine au temps du Grand Roi, Fayard, 1991

lundi 12 février 2018

Cinq mariages et combien d'enterrements ?

Au chapitre des curiosités, je vous présente Mathurin Pinier. Il s'agit du frère aîné de l'un de mes ancêtres côté paternel, à la dixième génération.

L'histoire commence à Thouarcé, sur les rives du Layon, au sud de la Loire, le 31 décembre 1669. Ce jour-là, le petit Mathurin, qui vient de voir le jour treize mois après le mariage de ses parents, est porté sur les fonts baptismaux par son grand-père, Laurent Pinier. L'officiant porte le joli nom de René Loyselleur.

Pour une raison qui m'échappe et à une date que j'ignore, la famille Pinier a quitté la paroisse de Thouarcé pour s'installer à une dizaine de lieues de là, de l'autre côté de la Loire, à Saint-Clément-de-la-Place. C'est donc à Saint-Clément que Mathurin Pinier épouse Marie Ravary le 24 novembre 1692, alors qu'il n'a pas encore vingt-trois ans.

Deux enfants naissent de ce premier mariage, Simon en novembre 1694 et Marie en avril 1696. Leur mère n'a guère le temps de les élever : elle est portée en terre le 6 juin suivant, à vingt-quatre ans.

Carte établie sous la direction de César-François Cassini de Thury
Extrait de la feuille n°98, Source Gallica

Mathurin Pinier, qui est maintenant métayer à la Chiffolière, attend le 28 novembre 1697 pour prendre une nouvelle épouse, Marie Brevet, originaire de la paroisse voisine de Bescon (aujourd'hui Bécon-les-Granits). Celle-ci met au monde un garçon en octobre suivant, puis une fille onze mois plus tard ; "baptisée à la maison et décédée en même temps", elle n'a pas reçu de prénom. L'accouchement a dû être plus que difficile, car la mère rend son dernier souffle quatre jours après ! Elle devait avoir vingt-sept ans.

Mathurin Pinier n'a pas trente ans et il est déjà deux fois veuf. Le 23 septembre 1700, il épouse en troisièmes noces Michèle Poyrier. Ils se connaissent bien : Michèle Poyrier est servante à la Chiffolière et, le 18 janvier précédent, ils étaient tous deux parrain et marraine d'un neveu de Mathurin. Ce qui nécessita une dispense de l'évêque d'Angers pour le mariage, mais parvint-elle à temps ou fut-elle égarée ? la date du précieux document est laissée en blanc dans le registre…

Vingt-huit semaines plus tard, un enfant pointe le bout de son nez. "Baptisé à la maison et décédé une demie heure après", il n'a pas eu le temps de recevoir un prénom ; tout juste sait-on qu'il s'agissait d'un garçon. La mère le rejoint dans les quinze jours qui suivent. Selon le curé, elle avait vingt-trois ans. Le troisième mariage de Mathurin Pinier n'a pas duré sept mois !

Il attend un peu plus d'un an pour épouser, en septembre 1701, une certaine Marie Fourrier. Laquelle, très classiquement, met au monde un garçon en octobre 1702 et devinez quoi ? elle décède quatre jours après. Elle avait à peu près trente-cinq ans. Cette fois-ci, le mariage a duré treize mois.

Enfin, le 6 juillet 1703, Mathurin Pinier épouse Jeanne Lefrançois. Est-elle de constitution plus robuste que les précédentes ? elle va donner le jour à cinq enfants de mai 1704 à juillet 1712. Mais Mathurin ne connaîtra jamais la petite Jacquine, car c'est lui qui a été porté en terre en mars 1712, quatre mois auparavant ! Il avait quarante-deux ans.

Cinq mariages entre 1692 et 1703, onze rejetons entre 1694 et 1712, mais combien sont parvenus jusqu'à l'âge adulte ?

Je n'ai pas pu reconstituer le parcours de chacun, mais six d'entre eux sont décédés avant d'avoir le temps de fonder une famille. Je ne donne pas cher non plus du petit Simon, le premier de la liste, baptisé le 20 novembre 1694 après avoir été "ondoyé par nécessité" la veille. J'ignore le sort de Laurent, né en octobre 1698. Trois enfants de Mathurin Pinier se sont mariés de façon certaine : Marie à deux reprises, Jeanne et Mathurin, chacun une fois.

L'histoire des cinq mariages de Mathurin Pinier se déroula sous le règne de Louis XIV, dans une paroisse que Célestin Port(1) décrivait ainsi :

"Sise dans un terrain bas, humide, de terres fortes et rudes vers le nord, parsemées vers le sud dans les meilleurs champs de gros blocs erratiques où se brisait la charrue, elle se divisait en nombreuses mais chétives métairies et comptait cinquante pauvres ménages pour le moins. Le passage des faux saulniers et des gabelous exposait d'ailleurs à toutes les misères."

Bref, la vie était rude pour nos ancêtres en ce temps-là…



(1) Célestin Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, publié à Angers en 1880, consultable en ligne sur le site des Archives départementales du Maine-et-Loire

lundi 5 février 2018

Le curé qui se voulait journaliste

Les voies du Seigneur sont impénétrables, celles de la culture aussi ! Je feuilletais les registres paroissiaux de Thouarcé, lorsque je tombai sur cette mention, après les derniers actes de l'année 1669 et avant ceux de l'année 1670 :

AD Maine-et-Loire
Thouarcé BMS 1668-1676 vue 34/169

"Dans ce temps est venüe la nouvelle de la mort de
notre saint père le pappe Clement 9 qui
arriva le vingt cinquieme novembre dernier
successeur d'Alexandre 7 lequel a tint (?) le siège
environ deux ans et duquel son successeur s'apelle
Clement 10 cardinal, de la promotion de
son devancier en mémoire duquel il a pris
son nom le neufvieme avril 16 soixante
et dix
"

La preuve qu'il faut toujours vérifier les informations, même lorsqu'elles émanent d'un homme digne de foi : une rapide consultation de Wikipédia nous informe que Clément IX est décédé le 9 décembre 1669, et non pas le 25 novembre, comme semblait le croire François Thibaudeau, curé de Saint-Pierre de Thouarcé !

Élu par le conclave à la mort d'Alexandre VII, le cardinal Giulio Rospigliosi n'occupa le siège pontifical sous le nom de Clément IX que durant deux ans et demi, de juin 1667 à décembre 1669, mais il eut quand même le temps de commander au Bernin la fameuse colonnade de la basilique Saint-Pierre.

Portrait de Clément IX par Carlo Maratti

En novembre 1669, Clément IX éleva à la pourpre cardinalice l'évêque Emilio Altieri. Ce dernier, élu le 29 (et non pas le 9) avril 1670, lui succèdera en prenant le nom de Clément X.

Les deux hommes n'ont apparemment pas laissé un souvenir impérissable : ils n'ont même pas droit à un article dans l'Encyclopaedia Universalis, c'est dire ! Pourtant, du temps où il ne s'appelait encore que Giulio Rospigliosi, le futur Clément IX avait écrit des livrets d'opéra…


Voilà, c'était la minute culturelle.