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lundi 28 mai 2018

Questions autour d'une photo

C'est assurément l'une de mes photos préférées. À ce titre, je l'ai scannée à plusieurs reprises, non sans l'avoir recadrée quelque peu, et elle figure en permanence sur une étagère de mon bureau, dans un cadre argenté.

Collection personnelle

Mais lui appliquer les fameuses questions QQOQCCP, supposées en faciliter l'analyse, a le don de m'irriter à la manière d'un petit caillou dans la chaussure. Je vous explique.

La réponse à la première question est facile. Qui ? Ma mère, sans aucun doute possible.

Question suivante, de quoi s'agit-il ? À première vue d'un mariage, au cours duquel Marie-Thérèse était demoiselle d'honneur. Les indices : la longue robe claire, les discrètes boucles d'oreilles (des "clips", car elle n'avait pas les oreilles percées), le bouquet et manifestement, bien que hors champ, une autre personne vêtue de même à ses côtés.

C'est à partir de là que les choses se compliquent.  ? Mystère. Je distingue à l'arrière-plan les fenêtres d'une maison dissimulées derrière un massif de plantes, délimité par une bordure de carreaux en forme de palmettes. Le sol est en partie dallé, avec une bouche d'évacuation des eaux pluviales, et en partie constitué de gravillons.

Difficile de dire s'il s'agit d'une propriété privée ou d'un espace public. Est-ce à Pau, à Oloron, à Toulouse ou ailleurs ? Je ne décèle aucun indice permettant d'orienter les recherches et je ne reconnais aucune des résidences familiales, ni Bagatelle, ni la Ronceraie, ni l'immeuble de la rue O' Quin.

Quand ? Ma mère étant née en avril 1913 et s'étant mariée en 1940, je pense que le cliché a été pris dans les années trente, sans plus de précision.

Il ne s'agit pas du mariage de sa sœur aînée, en novembre 1929. J'ai vérifié sur les clichés pris lors de cet événement : Marie-Thérèse, qui n'avait alors que seize ans, portait une robe courte et affichait une timidité d'adolescente. Ni du premier mariage de son frère Paul : c'était en août 1943, à une époque où ma mère était déjà mariée.

Il ne s'agit pas davantage du mariage de sa cousine Andrée, en 1933 : si Marie-Thérèse faisait partie du cortège des demoiselles d'honneur avec sa jeune sœur Jacqueline, leurs robes longues étaient différentes et, pour tout dire, moins vaporeuses. Là aussi, j'ai vérifié.

Quant aux autres membres de la famille, oncles maternels, cousins et cousines, ils se sont mariés soit juste après la Première Guerre mondiale, quand ma mère était encore enfant, soit après la Seconde, alors qu'elle était déjà mère de famille.

Je penche donc pour un mariage dans l'entourage de mes grands-parents maternels. Des amis suffisamment proches pour solliciter la participation de Marie-Thérèse (et peut-être de sa sœur Jacqueline) au cortège d'honneur. Mais qui ?

Comment cette photo m'est-elle parvenue ? Avec quantité d'autres, collectées lorsqu'il a fallu vider l'appartement que mes parents occupaient à la fin de leur vie. Je n'ai pas souvenir de l'avoir vue avant, je l'aurais à coup sûr remarquée. Ce qui pourrait vouloir dire que ma mère l'a récupérée, comme nombre d'autres, lors de cet ultime séjour palois.

Combien de photos prises à l'occasion de cet événement ? Impossible de le dire, c'est le seul exemplaire en ma possession. En outre, la photo est tronquée ! C'est le moment d'en examiner le format : 9 cm x ? cm, tirage sur papier chamois, bords droits, sans marge. Il y a 3 mm d'écart entre le bas et le haut de la photo, ce qui semble indiquer un coup de ciseaux a posteriori.

Pourquoi ce coup de ciseaux ? Là, soyons francs, mes soupçons se portent immédiatement sur Jacqueline, la plus jeune sœur de ma mère, coutumière du fait lorsque quelque chose lui déplaisait dans un cliché. D'ailleurs, à y regarder de plus près, il est fort possible qu'il s'agisse d'une photo 9x12 ou 9x13 (format paysage), représentant la mariée entourée de ses demoiselles d'honneur. La tache blanche, en bas à droite du fragment en ma possession, serait en fait une partie de la traîne de la robe de la mariée étalée en éventail à ses pieds, comme cela se pratiquait parfois.


Résumons-nous. Une photo, prise dans les années trente, à l'occasion d'un mariage dans l'entourage de mes grands-parents maternels. Sans indication de lieu, ce qui ne facilite pas les investigations. Elle risque de garder longtemps encore une partie de son mystère…

lundi 12 février 2018

Cinq mariages et combien d'enterrements ?

Au chapitre des curiosités, je vous présente Mathurin Pinier. Il s'agit du frère aîné de l'un de mes ancêtres côté paternel, à la dixième génération.

L'histoire commence à Thouarcé, sur les rives du Layon, au sud de la Loire, le 31 décembre 1669. Ce jour-là, le petit Mathurin, qui vient de voir le jour treize mois après le mariage de ses parents, est porté sur les fonts baptismaux par son grand-père, Laurent Pinier. L'officiant porte le joli nom de René Loyselleur.

Pour une raison qui m'échappe et à une date que j'ignore, la famille Pinier a quitté la paroisse de Thouarcé pour s'installer à une dizaine de lieues de là, de l'autre côté de la Loire, à Saint-Clément-de-la-Place. C'est donc à Saint-Clément que Mathurin Pinier épouse Marie Ravary le 24 novembre 1692, alors qu'il n'a pas encore vingt-trois ans.

Deux enfants naissent de ce premier mariage, Simon en novembre 1694 et Marie en avril 1696. Leur mère n'a guère le temps de les élever : elle est portée en terre le 6 juin suivant, à vingt-quatre ans.

Carte établie sous la direction de César-François Cassini de Thury
Extrait de la feuille n°98, Source Gallica

Mathurin Pinier, qui est maintenant métayer à la Chiffolière, attend le 28 novembre 1697 pour prendre une nouvelle épouse, Marie Brevet, originaire de la paroisse voisine de Bescon (aujourd'hui Bécon-les-Granits). Celle-ci met au monde un garçon en octobre suivant, puis une fille onze mois plus tard ; "baptisée à la maison et décédée en même temps", elle n'a pas reçu de prénom. L'accouchement a dû être plus que difficile, car la mère rend son dernier souffle quatre jours après ! Elle devait avoir vingt-sept ans.

Mathurin Pinier n'a pas trente ans et il est déjà deux fois veuf. Le 23 septembre 1700, il épouse en troisièmes noces Michèle Poyrier. Ils se connaissent bien : Michèle Poyrier est servante à la Chiffolière et, le 18 janvier précédent, ils étaient tous deux parrain et marraine d'un neveu de Mathurin. Ce qui nécessita une dispense de l'évêque d'Angers pour le mariage, mais parvint-elle à temps ou fut-elle égarée ? la date du précieux document est laissée en blanc dans le registre…

Vingt-huit semaines plus tard, un enfant pointe le bout de son nez. "Baptisé à la maison et décédé une demie heure après", il n'a pas eu le temps de recevoir un prénom ; tout juste sait-on qu'il s'agissait d'un garçon. La mère le rejoint dans les quinze jours qui suivent. Selon le curé, elle avait vingt-trois ans. Le troisième mariage de Mathurin Pinier n'a pas duré sept mois !

Il attend un peu plus d'un an pour épouser, en septembre 1701, une certaine Marie Fourrier. Laquelle, très classiquement, met au monde un garçon en octobre 1702 et devinez quoi ? elle décède quatre jours après. Elle avait à peu près trente-cinq ans. Cette fois-ci, le mariage a duré treize mois.

Enfin, le 6 juillet 1703, Mathurin Pinier épouse Jeanne Lefrançois. Est-elle de constitution plus robuste que les précédentes ? elle va donner le jour à cinq enfants de mai 1704 à juillet 1712. Mais Mathurin ne connaîtra jamais la petite Jacquine, car c'est lui qui a été porté en terre en mars 1712, quatre mois auparavant ! Il avait quarante-deux ans.

Cinq mariages entre 1692 et 1703, onze rejetons entre 1694 et 1712, mais combien sont parvenus jusqu'à l'âge adulte ?

Je n'ai pas pu reconstituer le parcours de chacun, mais six d'entre eux sont décédés avant d'avoir le temps de fonder une famille. Je ne donne pas cher non plus du petit Simon, le premier de la liste, baptisé le 20 novembre 1694 après avoir été "ondoyé par nécessité" la veille. J'ignore le sort de Laurent, né en octobre 1698. Trois enfants de Mathurin Pinier se sont mariés de façon certaine : Marie à deux reprises, Jeanne et Mathurin, chacun une fois.

L'histoire des cinq mariages de Mathurin Pinier se déroula sous le règne de Louis XIV, dans une paroisse que Célestin Port(1) décrivait ainsi :

"Sise dans un terrain bas, humide, de terres fortes et rudes vers le nord, parsemées vers le sud dans les meilleurs champs de gros blocs erratiques où se brisait la charrue, elle se divisait en nombreuses mais chétives métairies et comptait cinquante pauvres ménages pour le moins. Le passage des faux saulniers et des gabelous exposait d'ailleurs à toutes les misères."

Bref, la vie était rude pour nos ancêtres en ce temps-là…



(1) Célestin Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, publié à Angers en 1880, consultable en ligne sur le site des Archives départementales du Maine-et-Loire

lundi 19 septembre 2016

Le mariage de Jeanne

Jeanne Raimbault est née le 1er juillet 1700 à Vern d'Anjou et fut baptisée le jour même par P. Pichery, vicaire de l'église Saint Gervais et Saint Protais.

Fille de Jean Raimbault (je l'écris ainsi, mais il y a des variantes orthographiques) et d'Hélène Séjourné, elle eut pour parrain son oncle Nicolas Raimbault et pour marraine l'épouse de celui-ci, Madeleine Séjourné. Vous l'aurez compris, les deux frères ont épousé les deux sœurs, dans cette paroisse qui comptait à l'époque moins d'un millier d'habitants.

Jeanne est la troisième de la fratrie. Auparavant, un petit Élie, né dix mois après le mariage de ses parents, avait rejoint les anges deux jours après son baptême. Il fut "inhumé devant la grande porte de l'église". Puis vinrent Louise en juin 1698 et notre Jeanne en juillet 1700. Jean, mon ancêtre direct, naquit deux ans plus tard, en octobre 1702, à la Pouëze. Le père y était désormais métayer au village des Hayes.

C'est aussi à la Pouëze que se marie Jeanne le 6 février 1714, alors qu'elle a treize ans et sept mois ! Elle épouse un certain René Neveu, dont l'âge n'est pas précisé dans l'acte, mais qui est déjà veuf, après un premier mariage célébré onze ans plus tôt. Lorsqu'il décède en janvier 1744, le vicaire du Louroux-Béconnais lui donne soixante ans ; il aurait donc eu la trentaine lors de son mariage avec Jeanne.

Détail de nappe d'autel, collection personnelle

Les parents de cette dernière décèdent tous deux un an après le mariage de leur fille, Hélène Séjourné d'abord, en janvier 1715, puis Jean Raimbault en mars. Aucun indice dans les registres, rien qui permette d'émettre des hypothèses sur les causes du décès de l'un ou de l'autre.

Mais revenons à nos mariés. Le couple formé par René Neveu et sa très jeune épouse a-t-il eu une descendance ? Je ne trouve aucun baptême dans les premières années de leur mariage, ni au Louroux-Béconnais, ni à la Pouëze, ni à Bécon-les-Granits, paroisse voisine… J'ai néanmoins identifié deux enfants : Paul, né en mai 1722 au Louroux-Béconnais et décédé en février 1731, et René, beaucoup plus tard, né en novembre 1737, dans la même paroisse. Il atteindra l'âge adulte et se mariera en janvier 1758, toujours au Louroux-Béconnais, en présence de sa mère.

C'est, à ma connaissance, la première fois que je tombe sur une mariée aussi jeune au cours de mes recherches généalogiques. L'occasion d'étudier les diverses majorités sous l'Ancien Régime.

La majorité matrimoniale, tout d'abord : selon divers édits royaux, elle est de vingt-cinq ans pour les filles et de trente ans pour les garçons. En d'autres termes, tant que les futurs conjoints n'ont pas atteint cet âge, l'assentiment des parents est requis (d'où la formule "présents et consentants" dans les actes de mariage, à longueur de registres paroissiaux).

Quelles sont les sanctions encourues en cas de non respect de cette règle ? D'une part, l'exhérédation, mot savant pour dire que les parents ont alors la faculté de déshériter leurs enfants, et d'autre part l'annulation du mariage, sous prétexte de "rapt de séduction".

Une fois la majorité matrimoniale atteinte, les futurs conjoints n'en doivent pas moins adresser à leurs parents des sommations respectueuses pour obtenir leur consentement, mais ils peuvent passer outre au troisième refus.


Cette majorité matrimoniale ne doit toutefois pas être confondue avec l'âge nubile, c'est-à-dire l'âge minimum pour convoler : sous l'Ancien Régime, l'Église l'avait fixé à douze ans pour les filles et quatorze ans pour les garçons. Mais jusqu'à présent, l'âge moyen de mes ancêtres lors de leur première union était plus près de vingt-cinq ans pour les femmes et de vingt-huit ans pour les hommes, si j'en crois les statistiques fournies par la toute dernière version d'Heredis. Jeanne fait donc figure d'exception.

lundi 27 janvier 2014

Le mariage d'Achille Maitreau


Le mariage est une chose sérieuse, surtout quand on est militaire. Lorsque, à l'âge de 47 ans, Achille Maitreau, capitaine au 58e régiment d'infanterie de ligne, se décide enfin à fonder une famille, il enclenche une procédure dont voici les éléments les plus marquants.

Tout d'abord une demande de permission de mariage, qui donne lieu à un rapport au Ministre de la Guerre. Le document émanant du Bureau de l'Infanterie contient les rubriques suivantes en colonne sur une double page :
  • Nom et Prénoms de l'Officier qui demande à se marier,
  • Grade et Position,
  • Nom et Prénoms de la Future,
  • Quotité et nature de la dot,
  • Avis de l'autorité supérieure qui a transmis la demande,
  • Observations et Propositions,
  • Décision du Ministre.
Source SHD 4YF 83 863

On y apprend que, à l'époque (nous sommes en mai 1868), l'armée ne plaisante pas avec les ressources financières des candidates au mariage. Jugez plutôt :
"La dot se compose
1° de titres nominatifs formant une rente de 973 F,
2° d'une somme de 6 100 F déposée au nom de Melle Morel à la Trésorerie générale de Pau ; elle est destinée à l'achat de 227 F de rente sur l'Etat et complètera les 1 200 F de rente exigés par le règlement." C'est moi qui souligne.

Le rédacteur ajoute : "Espérances évaluées à 40 000 F." Décidément, voilà qui confirmerait le caractère intéressé d'Achille Maitreau, relevé par certains de ses supérieurs(1).

L'avis favorable est assorti de ce commentaire :
"Melle Morel, fille unique d'un médecin-major de 1ère classe en retraite à Pau, jouit ainsi que sa famille d'une excellente réputation. L'union projetée est également satisfaisante sous le rapport de la fortune.
On propose en conséquence au Ministre d'accorder à M. Maitreau l'autorisation qu'il sollicite."

Général Castelnau, source Wikimedia Commons

C'est le général Henri-Pierre Castelnau, aide de camp de l'empereur Napoléon III, qui signe l'autorisation. J'apprends au passage que le mariage des militaires était à cette époque régi par le décret du 16 juin 1808 : il nécessitait la permission du Ministre de la Guerre pour les officiers, et du conseil d'administration de leur corps pour les sous-officiers et les soldats. Le décret n'a été abrogé que fort récemment et l'autorisation subsiste toujours pour les militaires désirant épouser une personne de nationalité étrangère, ainsi que pour les militaires servant à titre étranger (légionnaires).

Deuxième épisode : la signature du contrat de mariage. Elle intervient le 30 mai 1868 devant Maître Haure, notaire à Pau. Les futurs époux ont opté pour le régime de la communauté réduite aux acquêts. Outre les valeurs mobilières destinées à lui assurer une rente de 1 200 F par an, Eugénie apporte un trousseau "composé d'habits, linges, hardes, bijoux et autres objets", d'une valeur de 2 000 F. J'ai déjà consacré un billet à ce sujet(2).

Et Achille Maitreau ? L'énumération de ses avoirs m'en apprend un peu plus sur lui :
  • 12 obligations du canal de Suez produisant un intérêt annuel de 300 F,
  • Une somme de 3 600 F placée par Maître Taureau, notaire à Doué-la-Fontaine,
  • Une créance de 4 000 F sur M. Aubineau, propriétaire à Concourson,
  • Deux pièces de terre d'une valeur de 3 000 F à Concourson,
  • Deux vignobles d'une valeur de 750 F dans la même commune.

Bien qu'installé à Pau, mon arrière-grand-père n'avait pas rompu toutes ses attaches avec sa région d'origine, ce qui devrait m'inciter à aller consulter le cadastre, aux Archives départementales du Maine-et-Loire.

Une phrase dans le préambule du contrat, concernant les parents d'Eugénie, en dit long sur l'incapacité juridique des femmes au XIXe siècle : "M. et Madame Morel, celle-ci autorisée par son mari, agissant aussi en leur nom personnel, à cause de la donation qu'ils vont faire…" Il faudra attendre 1965 pour que la femme mariée puisse gérer seule ses biens !

Je relève également l'article 7 du contrat de mariage : "Si la future décède sans postérité avant ses père et mère, ceux-ci l'autorisent expressément à disposer en faveur de son mari, en toute propriété et usufruit du trousseau qu'ils viennent de lui constituer."

Passons maintenant au mariage civil. Il a lieu le 9 juin 1868 à 8 heures du matin, en l'hôtel de ville de Pau. Pourquoi si tôt ? Un rapide coup d'œil aux autres pages du registre me confirme le caractère insolite de cet horaire. En juin 1868, sur seize mariages célébrés à la mairie, onze le sont en soirée (dix à huit heures du soir, un à dix heures du soir) et cinq en matinée : trois à dix heures, un à neuf heures et un seul, celui de mes arrière-grands-parents, dès potron-minet !

La lecture de l'acte apporte, à mon avis, la réponse : Eugénie Morel est née le 22 mai 1831 à Strasbourg, mais ses parents ne se sont mariés à Metz que cinquante-six mois plus tard, le 21 janvier 1836, légitimant explicitement dans l'acte leur fille alors âgée de quatre ans et demi. Tout cela sera lu à haute voix par l'officier d'état civil, avant la signature de l'acte par les époux et les témoins. Il y a là de quoi choquer la bourgeoisie et les esprits bien pensants, n'en doutons pas.

L'heure matinale choisie pour la cérémonie civile était donc vraisemblablement destinée à décourager toute velléité d'y participer. D'autant que le mariage religieux eut lieu le même jour en la paroisse Saint-Martin, devant une assistance que je suppose plus nombreuse. Cette naissance hors mariage d'Eugénie explique peut-être également pourquoi elle avait déjà trente-sept ans lorsqu'elle épousa Achille Maitreau.

Extrait du carnet Maitreau-Morel, Archives personnelles
 La consultation du dossier de François Morel au Service historique de la Défense m'en apprendra peut-être davantage sur les circonstances du mariage de ce dernier, d'autant qu'il dut lui aussi solliciter l'autorisation du Ministre de la Guerre. Marie François, la mère de sa fille, d'origine modeste, ne disposait vraisemblablement pas d'une dot suffisante au regard de l'autorité militaire, mais n'anticipons pas.

Revenons au mariage d'Achille Maitreau. Deux enfants vont naître de cette union : Maurice, mon grand-père maternel, en octobre 1869, et Jeanne Marie, sa sœur, en avril 1871. Le capitaine Maitreau, gravement blessé au bras lors de la bataille de Sedan le 1er septembre 1870, prendra sa retraite en juillet 1873 et consacrera les quarante années suivantes à la gestion de ses biens, comme l'atteste le livre de raison qu'il nous a laissé.



(1) Voir "Le dossier Achille Maitreau", janvier 2014
(2) Voir "Le trousseau de la mariée", février 2013

lundi 18 novembre 2013

Nouvelle visite aux Archives de Paris


Je suis retournée aux Archives de Paris, mardi dernier, alors qu'un brouillard d'eau enveloppait la capitale. J'avais deux objectifs :
  • Consulter le Bottin du Commerce à la recherche d'informations sur mes ancêtres peintres en bâtiments,
  • Consulter les registres de catholicité pour compléter les lignes de vie de ces mêmes ancêtres parisiens.

Aucun succès avec le Bottin du Commerce. J'ai déroulé en vain plusieurs bobines de microfilms, sans trouver trace de mes peintres, ni aux différentes adresses où ils demeuraient, ni dans les listes par profession. Étaient-ils salariés, installés à leur compte, travaillaient-ils à la tâche ? Il va falloir que je me documente plus sérieusement sur l'exercice de ce métier au XIXe siècle, ainsi que sur les conditions d'inscription dans les pages du Bottin.

Peintres en bâtiment, par Gustave Caillebotte, 1877

Davantage de résultats en revanche du côté des registres de catholicité. C'est ainsi que j'ai pu consulter, photographier et transcrire quatre actes qui m'intéressaient.

1.   L'acte de baptême de Marie Augustine Chancé

C'est la fille de Louis, le broyeur de couleurs(1) qui décèdera six ans plus tard, à l'âge de trente-sept ans, et de son épouse Rosalie Mabire.

L'enfant est porté sur les fonts baptismaux de l'église Saint-Merri le dimanche 12 janvier 1851. Normal, les parents demeurent à l'époque à quelques pas de là, au n°3 de la rue de la Coutellerie. Tout comme la marraine, Marie Chalvet, qui n'est autre que la première épouse de François Chancé, l'un des frères de Louis, et par conséquent la tante par alliance de l'enfant.

Je note au passage que mes Normands ne s'étaient sans doute pas complètement défaits de leur accent, car le vicaire a écrit "Chauvet" et non "Chalvet".

Le parrain, Auguste Lemonnier, est jardinier… rue des Quatre Jardiniers, "au petit Charonne", dit le vicaire. Rappelons qu'en 1851 la capitale n'avait pas encore absorbé tout ou partie des villages au-delà du mur des Fermiers généraux.

Juste une question : pourquoi avoir attendu une semaine pour baptiser la fillette née le 5 janvier ? À l'époque, le baptême avait lieu le jour même ou le lendemain, tellement la mortalité était élevée. Petit mystère, sans réponse pour l'instant.

2.   L'acte de mariage religieux de Frédéric Chancé et Victoire Poirier

Mon arrière-grand-père du côté paternel se marie à la paroisse Saint-Jacques du Haut-Pas, à quelques maisons du 301 de la rue Saint-Jacques, le 5 juin 1860. Manifestement, Frédéric et Victoire, originaires du même village normand, se sont déjà mis en ménage, puisque l'adresse indiquée pour les deux futurs mariés est la même. Et que Victoire, la jeune piqueuse de bottines dont j'ai déjà parlé dans un précédent billet(2), donnera le jour cinq  mois plus tard à une petite Marie Léonie, à la maternité Port-Royal, avant de décéder des suites de l'accouchement.

Réprobation du vicaire pour l'état de la mariée ou volonté de réduire les frais, il est indiqué dans la marge du registre que la cérémonie est un mariage de… 8e classe ! Ici encore, certains patronymes ou certains noms de rue sont écorchés, tant pis pour les futurs généalogistes.

3.   L'acte de mariage religieux de Frédéric Chancé et Madeleine Laubret

Le jeune veuf se remarie le 9 novembre 1861. Entre-temps, il a rejoint l'un de ses frères, installé dans le tout nouveau 18e arrondissement de Paris, rue Feutrier. La cérémonie a donc lieu à l'église Saint-Pierre de Montmartre, en haut de la butte où la basilique du Sacré-Cœur n'a pas encore été édifiée (la première pierre ne sera posée qu'en juin 1875, plusieurs années après les épisodes de la Commune).

Quelques imprécisions dans le registre paroissial, où le patronyme de François Chancé, témoin et frère du marié, se voit transformé en Chaussay.

4.   L'acte de mariage de Frédéric Chancé et Jenny Letourneau

Il s'agit cette fois-ci de mon grand-père paternel, fils du couple évoqué dans l'acte de mariage précédent. La bénédiction nuptiale est donnée le 23 avril 1908 dans l'église Saint-Nicolas des Champs, proche du 226 rue Saint-Martin, où résidait ma grand-mère paternelle. En juin dernier, j'avais publié la photo officielle(3), prise ce jour-là.

Mariage Frédéric Chancé et Jenny Letourneau,
Archives personnelles

Et cette fois-ci, je butte sur la mention suivante : "Vu la dispense du temps prohibé". Allons bon, de quoi s'agit-il ? Brigitte, assise à côté de moi dans la grande salle de lecture des Archives de Paris, me rappelle gentiment qu'il est des périodes dans l'année où l'église ne célèbre pas de mariage, ce qui explique a contrario les "pics" des mois de novembre, d'une part, et janvier-février, d'autre part, dans les registres paroissiaux de l'Ancien Régime. Question à creuser.

Commençons par le calendrier : le 23 avril 1908 est un jeudi, le premier qui suit les fêtes de Pâques, célébrées cette année-là le dimanche 19 avril. Dans mon souvenir, les temps prohibés étant l'Avent et le Carême, il va falloir pousser plus loin mes recherches.

Je consulte cette fois le catéchisme de Saint Pie X (que ne ferait-on pas pour la généalogie), qui explique notamment les préceptes de l'église catholique par un jeu de questions et de réponses. J'y découvre la phrase suivante : "Par le 5e précepte, l'Église ne défend pas la célébration du sacrement de Mariage, mais seulement la solennité des mariages, du premier dimanche de l'Avent à l'Épiphanie et du premier jour du Carême à l'Octave de Pâques."

Nous y voilà. Contrairement aux croyances généralement admises, les temps prohibés vont au-delà de Noël et de Pâques. Toutefois, le mariage peut être célébré, mais sans solennité et sans pompe extraordinaire. Les dispenses sont vraisemblablement accordées moyennant une modeste contribution aux frais de l'évêché, je n'ai aucune illusion en ce domaine.

Reste une question : quel motif ont invoqué mes grands-parents pour choisir pareille date ? Nouvel aller et retour sur le calendrier : mon père est né quarante semaines après le mariage de ses parents, ce qui semble écarter la raison de l'urgence. Alors, s'agissait-il d'éviter des frais jugés excessifs et superfétatoires ? les grandes orgues, les fleurs, les cloches, le bedeau et tout le toutim ? Pingres, mes grands-parents ? tout est possible !

Vous l'aurez compris, la lecture des registres de catholicité disponibles aux Archives de Paris réserve quelques surprises.

Un dernier point : pour trouver facilement un acte, il faut disposer de deux éléments, une date (au moins approximative) et le nom d'une paroisse. Un seul hic, j'en ai dénombré environ quatre-vingts ! C'est pourquoi je vous recommande un petit livre fort utile, que j'ai trouvé aux dernières Généalogiques, le 10 novembre dernier : le "Plan itinéraire de Paris par arrondissements en 1850"(4), qui permet de découvrir les anciens arrondissements, les anciens noms de rues et leur localisation sur un plan, les paroisses, les études de notaires… bref, une mine d'informations.




(1) Voir "B comme broyeur de couleurs", publié le 2 avril 2013, et "Retour à la terre", publié le 9 septembre 2013.
(2) Voir "P comme piqueuse de bottines", publié le 18 avril 2013.
(3) Voir "Autre mariage, autre photo", publié le 24 juin 2013.
(4) Marie-Odile Mergnac, Plan itinéraire de Paris par arrondissements en 1850, 96 pages, Archives et Culture, 2007.