lundi 30 novembre 2015

Une matinée aux Archives historiques de la RATP

Je n'ai pas connu mon grand-père paternel, mort longtemps avant ma naissance, et je disposais jusqu'à présent de peu d'éléments à son sujet : deux ou trois photos, une alliance avec la date de mariage gravée sur la face interne, un titre de rente viagère pour la vieillesse, deux bulletins de déclaration de pension à l'administration fiscale, deux courriers de la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (CMP) datés de 1936 et une plaque en cuivre pour imprimer des cartes de visite avec son adresse.

Cet inventaire à la Prévert m'a permis de collecter dans un premier temps ses actes de naissance, de mariage et de décès. Puis de me rendre aux Archives de Paris pour y trouver sa fiche matricule, dénicher l'acte de mariage religieux, consulter les tables de successions et absences et déchiffrer la déclaration de mutation par décès.

J'avais néanmoins le sentiment de ne pas avoir épuisé toutes les ressources… En faisant une recherche sur Internet, j'ai découvert que la RATP disposait d'archives historiques ouvertes au public. Un article de l'Association Histoire et Mémoire ouvrière en Seine-Saint-Denis détaillait les fonds et indiquait notamment l'existence de dossiers du personnel des sociétés qui ont précédé la création de la RATP : Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (CMP), Compagnie Nord-Sud, Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP).

Les dossiers du personnel

L'ensemble couvre la période de 1900, date de mise en exploitation de la première ligne de métro, à 1960.

J'ai donc téléphoné au numéro indiqué sur le site de la RATP et mon interlocutrice, la responsable des archives, m'a aimablement indiqué la procédure à suivre. J'ai confirmé ma demande par courriel le jour même, j'ai reçu en réponse un formulaire à remplir et quelques jours plus tard un coup de fil m'indiquait que le dossier demandé était à ma disposition. Rendez-vous fut pris pour lundi dernier.

La médiathèque est située au sous-sol de la Maison de la RATP, à deux pas de la gare de Lyon, entre la rue de Bercy et le quai de la Rapée. Distraite par une distribution de tracts à l'entrée du vaste hall du bâtiment, j'ai loupé l'Accueil et je suis descendue directement à la médiathèque en suivant les flèches… pour trouver porte close ! Au bout de quelques minutes, une personne m'a aperçue derrière la paroi vitrée et m'a fait entrer. Ouf ! J'avais enfin entre les mains le dossier tant espéré et j'allais en savoir davantage sur mon grand-père paternel.

Source Archives historiques de la RATP

Le contenu d'un dossier

Naïvement, je ne m'attendais pas à recueillir autant d'informations contenues dans une chemise somme toute assez mince. Jugez plutôt.

Tout d'abord, une photo d'identité de mon grand-père jeune, en uniforme de l'entreprise, avec son numéro matricule sur les pattes de col. Le cliché nécessitera quelques retouches, pour faire disparaître les traces de trombone. L'occasion de mettre à profit le guide Restaurer ses photos de famille(1), acquis récemment.

Portrait de Frédéric Chancé
Source Archives historiques de la RATP

La lettre de candidature manuscrite, adressée à Monsieur le Directeur de l'Exploitation du Chemin de fer métropolitain, curieusement non datée.

Une feuille de renseignements sur laquelle figure la liste des entreprises qui ont employé mon grand-père avant son entrée à la CMP. Noms, adresses, dates d'entrée et de sortie, bref, une mine à exploiter et de quoi reconstituer l'ensemble de sa carrière.

Deux certificats médicaux.

Un permis provisoire de "receveur d'automobile" (?) à en-tête de la Préfecture de police et de la CMP. Il est daté du 27 septembre 1902 et valable deux mois.

Divers courriers, certains dactylographiés et d'autres manuscrits sur des formulaires à en-tête de la CMP. Dans l'un d'eux, mon grand-père sollicite un certificat de ses appointements et indemnités, à fournir à la Préfecture, son fils (mon père) ayant été admis comme boursier au collège Chaptal. Il précise fièrement que celui-ci a été reçu 27e sur 216 candidats.

Un livret individuel, détenu en temps normal par le chef de service, qui contient, outre les renseignements d'état civil, les mutations, maladies et blessures, congés et punitions (!).

Une fiche de suivi des congés et maladies, instructive à la fois sur les conditions de travail dans l'entreprise entre 1902 et 1920 et sur la santé de mon grand-père.

Une fiche de suivi des punitions, avec des colonnes prévues pour les observations, les réprimandes, les blâmes, les avertissements. La colonne des motifs est à lire attentivement car elle est révélatrice, entre autres choses, de l'obsession de l'entreprise pour le respect des horaires des rames de métro.

Quelques récépissés et documents administratifs divers.

Enfin une lettre manuscrite de ma grand-mère paternelle, datée du 28 août 1920. En l'absence de son mari, désormais à la retraite, elle répond à l'entreprise qui réclame un solde dû relatif à l'habillement. J'en déduis que la société faisait payer à ses employés l'uniforme qu'elle leur imposait.

Mon grand-père entra à la CMP comme "garde" en septembre 1902, avant de devenir chef de train (à ne pas confondre avec le conducteur) en octobre 1903. Il relevait du service du Mouvement, alors que les conducteurs relevaient du service de la Traction(2). Je dis ça, mais il va falloir me documenter davantage sur le sujet…

Mon grand-père fut mis à la retraite le 1er juillet 1920, à l'âge de cinquante-cinq ans, et fut maintenu dans son emploi comme agent auxiliaire jusqu'au 1er août suivant, date à laquelle il démissionna. Il était resté dix-huit ans dans la compagnie.

Ici comme dans les autres services d'archives, j'ai eu l'autorisation de photographier les pièces qui m'intéressaient. Deux heures plus tard, je repartais satisfaite et depuis lors j'ai une pensée pour mon grand-père chaque fois que je monte dans une rame du métro.



(1) Robert Correll, Restaurer ses photos de famille, Eyrolles, 2015, 254 pages
(2) Jean Tricoire, Un siècle de métro en 14 lignes, De Bienvenüe à Météor, Éditions La vie du Rail, 1999, 351 pages

lundi 23 novembre 2015

Trois ans déjà !

Eh oui, cela fait trois ans que je m'efforce d'être présente chaque lundi dans la blogosphère à la rubrique généalogie, trois ans que j'ai mis en ligne mes deux premiers billets…

Source PhotoPin

Bref coup d'œil sur le chemin parcouru : à ce jour plus de 90 000 pages vues, même si certains lecteurs y sont arrivés par erreur, peut-être leurrés par un titre trompeur, ce n'est pas si mal. Cent quatre-vingt-huit billets, y compris les challenges AZ de 2013 et 2014, pour une adepte de la procrastination, c'est fantastique !

Au hit-parade des billets les plus lus :


 C'est finalement assez représentatif de mes thèmes de prédilection. Le partage de ma modeste expérience, lorsque je me rends sur des lieux où sont stockées des archives potentiellement intéressantes. Mes découvertes, lorsque je dépouille les papiers de famille. Les mentions insolites dans les registres paroissiaux, lorsque je les feuillète page après page. Un zeste de méthodologie, lorsque j'explore les possibilités des logiciels. Et les photos anciennes, lorsque je les scrute dans leurs moindres détails pout tenter de les faire parler…

Je suis consciente que le succès de certains billets est dû à ceux qui les ont relayés, Sophie Boudarel avec la Geneaveille et le Geneathème, Thierry Sabot dans la Gazette du vendredi, Brigitte et Evelyne qui les partagent sur Facebook, Twitter ou Google+, et pardon si je ne vous nomme pas tous, mais soyez tous ici remerciés.

Un grand merci également à celles et ceux qui prennent le temps de poster un commentaire, ainsi qu'aux personnes qui m'ont contactée, à la suite de certaines parutions. Je pense notamment aux descendants de la famille Lacabanne, de la famille Gardères ou de la famille Fourcade. Avec une reconnaissance toute particulière à la personne qui m'a transmis des actes et des contrats de mariage en provenance des Hautes-Pyrénées…


C'est grâce à vous tous si j'éprouve le besoin de pousser plus loin mes recherches et d'en apprendre davantage sur le contexte historique de mes ancêtres. Alors, à lundi prochain !

lundi 16 novembre 2015

Médecin dans la Grande Guerre

Du temps où j'en avais encore la possibilité, j'interrogeai un jour une cousine de ma mère, en lui montrant un visage sur une photo de mariage :
-       Et ce monsieur au quatrième rang ?
-       Le docteur Lacoste, me répondit-elle sans hésiter.
Je notai l'information et continuai à passer en revue les invités alignés sur le perron du Grand Hôtel, à Pau.

Le Docteur Lacoste

J'y reviens aujourd'hui, car il fait partie des personnages récurrents de la saga familiale. Un nom parmi ceux qui résonnaient à mes oreilles enfantines, lorsque ma grand-mère Julia et ma mère évoquaient leurs souvenirs empreints de nostalgie.

Le Dictionnaire biographique et album des Basses-Pyrénées, qui m'avait déjà aidée à plusieurs reprises(1), m'a permis d'en apprendre davantage à son sujet, grâce à cette courte notice :

LACOSTE (Justin), né à Castet le 24 février 1873.
Docteur à Pau.
Reçu docteur de la Faculté de médecine et de pharmacie de Paris le 24 février 1899. M. Lacoste prit pour sujet de sa thèse de doctorat : Evacuation totale de la plèvre dans les grands épanchements.
Ancien externe des hôpitaux de Paris.
Rue Nouvelle-Halle, 23, à Pau.

Un petit tour dans les registres de l'état civil et les fiches matricules des Pyrénées-Atlantiques, ensuite, afin d'exploiter et de compléter ces premières informations.

Fils d'agriculteurs, né dans un village du Haut-Béarn, Justin Lacoste est étudiant en médecine à Paris lors du conseil de révision de la classe 1893. Il bénéficie donc des dispositions de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement de l'armée ; à ce titre, il n'effectue qu'un an de service, au lieu des trois années normalement prévues. Il est alors soldat de 2e classe au 18e Régiment d'infanterie, en garnison à Pau.

Il accomplira ensuite des périodes d'exercice à intervalles réguliers, deviendra médecin auxiliaire de réserve en 1899, puis médecin aide major de réserve en 1900. Il a quarante-et-un ans lorsque le décret de mobilisation générale le rappelle à l'activité en août 1914. Le voilà parti en campagne contre l'Allemagne pour une période qui s'étendra du 3 août 1914 au 7 janvier 1919. Oui, il a survécu à l'horreur, contrairement aux innombrables Morts pour la France dont nous indexons en ce moment les fiches, mais j'imagine qu'il en resta néanmoins marqué à tout jamais.

De gauche à droite
Justin Lacoste, Henri Lacabanne et Maurice Maitreau

Un peu perdue dans la longue liste des services et mutations diverses, agrémentée d'abréviations et de sigles sibyllins qui figurent sur sa fiche matricule, j'ai décidé d'étudier de plus près l'organisation des services de santé durant la Première Guerre mondiale et voilà ce que j'ai appris.

Le service de santé des armées durant la Première Guerre mondiale

En 1914, lorsque éclate le conflit, l'organisation est la suivante : une médecine d'urgence sur le front, qui consiste à donner les premiers soins, puis à évacuer les blessés par voie ferroviaire sur des installations chirurgicales fixes installées à l'arrière. Dans des conditions sanitaires plus que précaires. "Emballer, étiqueter, expédier", c'est, semble-t-il l'expression consacrée pour la première phase médicale, ce qui en dit long sur les mentalités qui prévalaient alors.

Cette doctrine, développée à partir des conflits précédents où prédominaient les blessures par balles, eut des conséquences catastrophiques (gangrènes gazeuses, amputations extrêmement mutilantes et invalidantes…), dans la mesure où les plaies par éclats d'obus et de grenades étaient désormais prépondérantes. À l'ère industrielle, la guerre avait changé d'échelle et les soldats étaient réellement devenus de la "chair à canon" !

Une nouvelle chaîne de santé se mit donc en place à partir de 1915 :

  • Des postes de secours avancé, au plus près de la ligne de front, où les brancardiers amènent les blessés et où sont pratiqués les gestes de secours initiaux ;
  • Des ambulances intermédiaires, qui ne sont pas les véhicules de transport que nous connaissons aujourd'hui, mais des unités médico-chirurgicales mobiles au niveau du corps d'armée, numérotées en fonction des unités auxquelles elle se rattachent ;
  • Des hôpitaux d'évacuation, centres de soin et de régulation situés en dehors de la zone de combat, appelés HOE (pour hôpitaux origine d'étapes, même si cette appellation est parfois controversée aujourd'hui), avant le transfert vers les centres de convalescence et de rééducation de l'intérieur.

Il faut également citer les formations chirurgicales automobiles, appelées "autochir", qui fonctionnaient de manière autonome, mais pouvaient venir renforcer les formations hospitalières existantes.

L'ensemble reposait sur la notion de triage des blessés : il s'agissait de définir les priorités d'évacuation et de traitement, en fonction de l'urgence des soins à prodiguer, le tout étant matérialisé par des fiches de couleurs différentes selon les cas (évacuable, intransportable…).

Les flux furent considérables, de l'ordre de 9 millions d'entrées dans les hôpitaux, toutes maladies et blessures confondues, soit un chiffre supérieur à l'effectif total des mobilisés (plus de la moitié d'entre eux ont subi des hospitalisations successives).

Le décryptage de la fiche matricule

Mais revenons au Docteur Lacoste. Si je comprends bien les indications portées sur sa fiche matricule, il a dû dans un premier temps être affecté à l'arrière, mais il se retrouva rapidement sur le front, comme médecin de bataillon, puis comme médecin chef d'un groupe de brancardiers divisionnaire (GBD).

Au cours de sa longue campagne contre l'Allemagne, il reçut cinq citations, dont celle-ci datée du 11 octobre 1918 :

"Officier de complément de la plus belle énergie et de grande bravoure. Au front depuis le début de la campagne a demandé à y être maintenu. Dans la nuit du 25 au 26 septembre a donné un bel exemple du devoir en établissant sous un violent bombardement ennemi des postes de secours pour ypérités. A toujours assuré des services difficiles, payant de sa personne en toute occasion avec un absolu mépris du danger. A en particulier dans la nuit du 9 au 10 octobre organisé d'une façon parfaite les évacuations de nombreux ypérités."

Il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur par décret du 28 décembre 1918, mais son dossier est malheureusement introuvable dans la base Léonore.

Il retourna ensuite à la vie civile.


Sources

Le service de santé français pendant la guerre de 1914-1918, par Alain Larcan, dans La Revue du Praticien vol. 82, février 2012

Le service de santé aux armées pendant la Première Guerre mondiale, article paru dans La Cliothèque sur l'ouvrage écrit par Alain Larcan et Jean-Jacques Ferrandis, paru aux éditions LBM en 2008

La santé en guerre 1914-1918, Une politique pionnière en univers incertain, Introduction à l'ouvrage écrit par Vincent Viet et paru aux Presses de Sciences Po en 2015





(1) Voir L comme Lacabanne et W comme Who's who, publiés lors du challenge AZ de juin 2014.

lundi 9 novembre 2015

Jacques Antoine Danois, soldat de l'Empire

Enfant puis adolescente, je passais toutes les vacances d'été dans une station balnéaire du pays de Caux. Mes parents y louaient à l'année le premier étage d'une villa sur le coteau et nous y allions tous les week-ends, depuis le dimanche des Rameaux jusqu'au pont du 11 novembre. C'est là que j'ai tapé mes premières balles de tennis, sur des courts en terre battue. Pas très rassurée quand il fallait aller les récupérer dans la prairie voisine, au milieu des vaches.

Lorsque des amis nous rendaient visite, nous partions en promenade à la découverte des curiosités des environs. Combien de fois ai-je pénétré dans la cour intérieure du manoir d'Ango pour y admirer le pigeonnier et la galerie où l'armateur dieppois reçut, dit-on, le roi de France François 1er ? Combien de fois ai-je gravi l'escalier du phare d'Ailly jusqu'à la lanterne sommitale, avec son ampoule de 1000 watts et sa lentille de Fresnel ? J'ai encore dans l'oreille le son de la corne de brume qui perçait l'obscurité, à intervalles réguliers, les nuits de brouillard…

Nous poussions ensuite jusqu'à l'église de Varengeville, à l'extrémité d'un chemin encaissé entre les talus plantés de hêtres (les Normands appellent cela une "cavée"). Dédiée à Saint Valéry, elle présente la particularité d'avoir deux nefs accolées, l'une édifiée au XIIe siècle et la seconde quatre siècles plus tard. Perchée sur la hauteur, elle offre une vue magnifique sur les valleuses en contrebas,  sur la mer à perte de vue et sur l'alignement des falaises de la Côte d'Albâtre.

Vue aérienne de l'église de Varengeville-sur-Mer prise dans les années 60
Carte postale CIM

L'édifice est entouré de trois côtés par le cimetière qui comprend quelques tombes remarquables, pour la plupart des personnalités décédées au XXe siècle, romanciers, peintres ou compositeurs de musique. Le plus connu d'entre eux aujourd'hui est sans conteste Georges Braque, décédé en 1963, qui possédait une propriété dans les environs. Sa Bentley passait silencieusement sur la route en direction de Dieppe, devant nos yeux d'enfants ébahis.

Mais c'était une tombe plus ancienne qui attirait à l'époque notre attention et ce pour plusieurs raisons. Sa forme insolite tout d'abord, une sorte de polyèdre posé sur deux pieds. L'inscription qui figure sur une de ses faces, ensuite. Jugez plutôt :

Tombe Danois
Photo prise avec un iPhone un jour de pluie

Jacques Antoine Danois fut 14 ans sous les drapeaux
Il gagna le grade de sous-lieutenant et le titre
de chevalier de la Légion d'honneur dans le 57me régiment de ligne
Retraité il fut agent voyer percepteur
des contributions directes résident à Varengeville
Il combattit vaillamment en Autriche en Prusse en Russie
Il était à Ulm Austerlitz Iéna Eylau Friedland Eckmunl (sic) Esling
Wagram Smolensk la Moskowa Lutzen Bautzen Dresde
Soldat il fut brave sous son toit dans les fonctions publiques il fut bon et probe

La généalogie était le cadet de mes soucis, à l'époque, mais il en va différemment aujourd'hui et, lorsque j'ai revu cette tombe, par une journée particulièrement pluvieuse de septembre dernier, j'ai voulu en apprendre davantage. D'où une incursion dans les registres mis en ligne par les Archives départementales de Seine-Maritime et dans les dossiers de la Légion d'honneur.

Jacques Antoine Danois, baptisé le 10 janvier 1780 dans l'église de Varengeville, est le fils aîné de Jacques Danois, charpentier, et de Marie Hebert, lesquels se sont mariés sept mois plus tôt dans la même paroisse.

Il est appelé sous les drapeaux le 3 floréal an XI, autrement dit le 23 avril 1803, alors que Bonaparte n'est encore que premier consul. D'abord envoyé au camp de Boulogne, où se préparait l'invasion de l'Angleterre (qui, comme vous le savez, n'eut jamais lieu), il fait ensuite partie de la Grande Armée chargée d'affronter les troupes de la Coalition.

À ce titre, il participe aux campagnes d'Autriche, de Prusse, de Pologne, de Russie et d'Allemagne, de 1805 à 1813, gravissant les premiers échelons de la hiérarchie militaire : caporal en 1808, sergent en 1811, adjudant en mars 1813 et enfin sous-lieutenant en juin de la même année. D'après ses états de services, il semble qu'il n'ait subi qu'une blessure sans gravité, le 22 mai 1809, à la bataille d'Essling (Autriche), à proximité de Vienne. Il est nommé chevalier de la Légion d'honneur le 19 septembre 1813.

Sa carrière militaire prend fin lorsque s'achève l'épopée napoléonienne. Il quitte le corps "pour se rendre dans ses foyers avec le traitement de non activité" le 1er août 1814. Il serait donc resté onze ans sous les drapeaux, et non pas quatorze ans comme indiqué sur sa pierre tombale, mais cela n'en est pas moins remarquable.

De retour à la vie civile, Jacques Antoine Danois épouse Marie Françoise Leroux, le 14 novembre 1816 dans l'église de Varengeville. Il a trente-six ans et la jeune femme dix ans de moins que lui. De cette union naîtront cinq enfants, entre septembre 1817 et janvier 1825, trois garçons et deux filles.

Le 6 août 1817 à Dieppe, il jure fidélité au Roi, à l'honneur et à la Patrie, selon la formule de ce qui est devenu entretemps l'Ordre royal de la Légion d'honneur. Je n'ai malheureusement pas d'élément sur sa carrière en tant qu'agent voyer (responsable de la construction et de l'entretien des chemins vicinaux) ou comme percepteur des contributions directes (vous savez, les "quatre vieilles" : contribution foncière, contribution personnelle et mobilière, patente, impôt sur les portes et fenêtres ; l'impôt sur le revenu n'était pas encore inventé, en ce temps-là).

Jacques Antoine Danois s'éteint le 20 août 1857, à l'âge respectable pour l'époque de soixante-dix-sept ans, alors qu'il était veuf depuis huit ans déjà. Sa femme repose auprès de lui, dans la même tombe.

lundi 2 novembre 2015

Modeste contribution à l'indexation des Morts pour la France

Après avoir assisté aux premiers Matins malins de la saison, consacrés au site Mémoire des Hommes et au défi lancé par Jean-Michel Gilot, #1Jour1Poilu, je me suis laissée convaincre.

Le défi 1Jour1Poilu

Pour ceux qui ne sauraient pas de quoi il retourne, il s'agit d'indexer les fiches mises en ligne sur le site Mémoire des Hommes. Élaborées au lendemain de la Première Guerre mondiale par l'administration des anciens combattants, elles recensent les centaines de milliers de soldats et avec eux les quelques centaines de civils qui ont obtenu la mention "Mort pour la France".

L'ensemble représente plus de 1 325 000 fiches. Jusqu'à présent, les recherches ne pouvaient se faire que sur quatre critères : nom, prénom, date de naissance et département (ou pays) de naissance.

L'enjeu consiste à indexer treize autres rubriques à partir des informations figurant sur la fiche : grade, unité, lieu de naissance, bureau de recrutement, classe, matricule de recrutement, date, lieu, département et pays de décès, lieu, département et pays de transcription du décès. Il est évident qu'une base de données ainsi enrichie permettra une approche beaucoup plus fine, aussi bien pour les historiens que pour les généalogistes.

Le défi consiste à terminer l'indexation pour le 11 novembre 2018. Cela représente moins de mille fiches par jour à traiter, rien d'insurmontable donc, compte tenu du nombre de personnes intéressées par le sujet. Si chacun n'indexe que quelques fiches… bon, je ne vous fais pas le coup des petits ruisseaux qui font de grandes rivières, mais vous avez compris.

Comment s'y prendre

Je me suis donc lancée. J'ai commencé par traiter les fiches des quatre personnes figurant dans ma base de données Heredis, qui ont eu droit à cette mention "Mort pour la France" : un ami de mon grand-père maternel (il était témoin à son mariage), l'un des grands-oncles de mon mari, ainsi que deux autres individus rencontrés au fil de mes recherches. Histoire de tester la difficulté de l'opération. Cela ne m'a pris que quelques minutes.

J'ai donc décidé d'en faire davantage. En commençant par l'un des villages de mes ancêtres, le berceau de ma branche paternelle, même si mes ancêtres directs l'ont quitté dès le milieu du XIXe siècle pour venir s'installer à Paris. Il s'agit de Notre-Dame-du-Touchet, dans le sud du département de la Manche.

Collection personnelle

Collection personnelle

J'avais à l'occasion photographié le monument aux morts, mais il m'a paru plus judicieux, dans un premier temps, de travailler à partir du livre d'or rédigé par la commune. Ces livres d'or, instaurés par la loi du 25 octobre 1919 et établis pour la plupart dans la décennie qui a suivi, sont disponibles sur le site des Archives nationales.

Je choisis l'onglet "Recherche multicritères", puis "Rechercher dans tous les inventaires" et, dans "Recherche libre", je tape "livre d'or Notre-Dame-du-Touchet". J'obtiens un résultat, je clique dessus, je clique ensuite sur "Consulter les archives numérisées associées" et bingo ! me voici enfin devant un document de douze pages.

Il s'agit de la liste des morts de la commune, classés par ordre alphabétique, avec indication de leur nom et prénoms, date et lieu de naissance, régiment et grade, date et lieu de décès.

Ils sont quarante. La dernière page comprend en outre une liste de cinq noms griffonnés au crayon bleu, puis biffés. En comparant avec la liste du monument aux morts, je m'aperçois que ces derniers, absents du livre d'or, sont néanmoins gravés dans la pierre. A contrario, trois noms du livre d'or ne figurent pas sur le monument aux morts, sans doute parce qu'ils ont été inscrits sur le monument d'une autre commune.

À partir de là, j'ai appelé l'un après l'autre les noms du livre d'or et j'ai indexé les fiches correspondantes, sans trop de difficultés. Néanmoins alertée par un billet paru sur la plateforme En Envor, j'ai procédé à quelques vérifications :

  • La date et le lieu de naissance, du moins pour ceux qui ont vu le jour avant 1893, les registres d'état civil de la Manche n'étant en ligne que jusqu'en 1892 ;
  • Le bureau de recrutement et le numéro matricule, en consultant les fiches matricules en ligne, qui comprennent tout le parcours militaire des hommes appelés à se présenter au conseil de révision avec leur classe d'âge ;
  • La date et le lieu du décès figurant sur la fiche matricule, a priori plus fiable que la fiche Mort pour la France rédigée ultérieurement.

 Travailler à partir du livre d'or d'une commune présente en outre un intérêt certain. Les personnes y sont généralement nées et, si elles y habitaient encore lors de leur vingtième année, elles relevaient du même bureau de recrutement. C'est un gain de temps appréciable pour les vérifications dans les archives. C'est sans doute moins vrai dans les grandes villes, mais comme j'ai choisi un village du bocage normand…

Quelques réflexions

Ce simple travail d'indexation permet de toucher du doigt la douloureuse réalité de cette Première Guerre mondiale. Quarante soldats morts pour la France dans un village qui comptait à peine plus d'un millier d'habitants avant le conflit, c'est considérable.

La victime la plus jeune figurant sur le livre d'or de Notre-Dame-du-Touchet appartenait à la classe 1918 ! Il s'agit de Victor Mari, né le 24 février 1898 ; il avait donc seize ans à peine lors de la déclaration de guerre et vingt ans lorsqu'il fut tué à proximité de Saint-Quentin, en octobre 1918, un an après son incorporation.

Les deux victimes les plus âgées, Paul Dibon et Émile Dibon (non, ils ne sont pas frères, j'ai vérifié), étaient nées respectivement en 1872 et 1873. Paul Dibon est mort en 1915, à quarante-deux ans, à l'hôpital de Bourbourg (Nord) et Émile Dibon en 1918, à quarante-cinq ans, à celui de Cherbourg.

La vérification des actes de naissance, lorsqu'elle est possible, apporte un élément supplémentaire : les mentions marginales indiquant les mariages. J'ai une pensée (un peu tardive, je vous l'accorde) pour toutes ces jeunes veuves…

La suite

Les différences entre le monument aux morts et le livre d'or ont piqué ma curiosité. J'ai jeté un œil sur le livre d'or d'une commune voisine, Villechien : il comprend une vingtaine de noms, dont un figurant sur le monument aux morts de Notre-Dame-du-Touchet. Je vais donc continuer à indexer ces fameuses fiches, en élargissant le cercle de mes investigations.