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lundi 12 novembre 2018

Mes ancêtres dans la tourmente

En cette période de commémoration de l'armistice de 1918, l'attention des généalogistes se porte naturellement vers les combattants de la Première Guerre mondiale. L'occasion de faire le point sur mes ancêtres, face à ce conflit.

Formulaire présenté lors de l'exposition Été 1914 à la BNF

Mes ancêtres directs

Le hasard a voulu qu'ils soient épargnés, en raison de leur âge.

Mon grand-père paternel, né en 1865, fut définitivement libéré de ses obligations militaires le 1er octobre 1911, à l'âge de quarante-six ans. Mon père, né en 1909, ne gardait que le vague souvenir d'une foule attroupée devant les affiches de mobilisation générale ; il serait davantage concerné par le second conflit mondial…

Mon grand-père maternel, né en 1869 et exempté pour "faiblesse générale" lors du conseil de révision, se porta néanmoins volontaire en 1915 : il avait alors quarante-cinq ans. Incorporé au 10e régiment de hussards, il fut affecté au 8e groupe de cavaliers de remonte[1] à Tarbes (Hautes-Pyrénées), puis fut ensuite détaché comme agriculteur à Lons (Basses-Pyrénées, comme on disait à l'époque), toutes activités qui le tenaient fort éloigné du front[2].

Ce ne fut pas le cas de ses amis, Henri Lacabanne et le docteur Lacoste[3]. Le premier mourut des suites de ses blessures à Dugny-sur-Meuse en juin 1916. Le second, qui était médecin, passa toute la durée de la guerre sous les drapeaux, décrocha plusieurs citations et fut promu chevalier de la Légion d'honneur en décembre 1918.

Mes ancêtres collatéraux

Les frères de ma grand-mère maternelle, plus jeunes qu'elle, furent tous les quatre appelés à revêtir l'uniforme.

Joseph, né en janvier 1884, effectua dix-huit mois de service dans le 15e Régiment de dragons, d'octobre 1906 à mars 1908. Rappelé en activité dès la mobilisation générale, il fut renvoyé dans ses foyers en juin 1917 : il avait été blessé d'un coup de pied de cheval à la jambe gauche et il en conserva des séquelles de paralysie radiale qui lui valurent une pension d'invalidité de 30 %.

Jean, né en octobre 1889, effectua deux ans de service militaire dans le 18e Régiment d'infanterie, d'octobre 1910 à septembre 1912. Mobilisé dès le 2 août 1914, il ne fut envoyé en congé illimité que le 2 août 1919, après cinq longues années de guerre et sept années sous l'uniforme. Il avait été gazé en avril 1918 et avait obtenu la Croix de guerre avec étoile de bronze[4].

Théodore, né en juin 1894, fut incorporé au 144e Régiment d'infanterie en décembre 1914, mais fut réformé pour raisons médicales dès le mois de mai 1915.

Enfin Henri, né en juillet 1899, fut incorporé au 18e Régiment d'infanterie en avril 1918, mais fut également réformé pour raisons médicales moins de deux mois plus tard.

Ma grand-mère maternelle, qui n'avait eu à pleurer ni un mari ni un frère, revêtit néanmoins le deuil en octobre 1918 : la grippe espagnole venait d'emporter sa petite Geneviève, âgée de cinq ans et demi, sœur jumelle de ma mère…


[1] Chargés de la sélection et de l'achat de chevaux pour les besoins de l'armée.

[2] J'avais évoqué son parcours militaire lors du challenge AZ de juin 2014 dans le billet intitulé U comme uniforme.

[3] J'en ai parlé en novembre 2015 dans le billet intitulé Médecin dans la Grande Guerre.

[4] J'avais également évoqué son parcours militaire lors du challenge AZ de 2014 dans le billet intitulé Y comme ypérite.

lundi 16 avril 2018

Le mystère de la carte postale

Elle m'a été transmise avec d'autres papiers de famille et m'a longtemps intriguée, jusqu'à ce que je décide de l'analyser de façon plus méthodique.

Côté illustration, elle représente la Rabenplatz, autrement dit la place du Corbeau, à Strasbourg, au début du siècle dernier : deux tramways s'y croisent ; des hommes, la tête couverte d'un chapeau, et des femmes aux longues jupes marchent d'un pas vif sur les pavés. La cathédrale pointe son unique flèche derrière les toits.

Collection personnelle

Côté correspondance, elle a été rédigée il y a tout juste un siècle, en mai 1918 (j'y reviendrai), et commence par "Ma chère Julia". Pas de doute, il s'agit de ma grand-mère maternelle, même si la personne qui l'adresse à "Mme Paul Maitreau" confond l'époux, Maurice, et son fils Paul alors âgé de quinze ans.

Collection personnelle

"Notre voyage à Dugny a été moralement bien pénible".

Il s'agit vraisemblablement de Dugny-sur-Meuse, à moins de dix kilomètres au sud de Verdun. Cette proximité en fit le lieu de stationnement de nombreuses ambulances au cours de la Première Guerre mondiale.

"Hélas si jusqu'alors on pouvait vouloir toujours espérer voir revenir notre cher Henri, il n'y a plus d'espérance à avoir."

S'agirait-il d'Henri Lacabanne ? Prénommé Jean Marie Louis sur son acte de naissance mais toujours appelé Henri par sa famille, ses amis et connaissances, le capitaine Lacabanne(1) est décédé le 4 juin 1916 de blessures de guerre à l'ambulance 3/18 alors stationnée à Dugny, comme l'indique la fiche de Mort pour la France.

"J'ai beaucoup souffert" continue la personne qui a rédigé la carte postale, "mais sans le montrer à Jeanne dont je n'aurais pas voulu diminuer l'admirable courage. C'est vraiment une sainte que nous avons pour amie. Comme elle a dû souffrir. Entourez-la un peu le contre-coup sera certainement bien pénible."

Henri Lacabanne était un ami de longue date de mon grand-père Maurice Maitreau : je détiens plusieurs photos où j'identifie les deux jeunes gens, alors amateurs d'activités festives. Quelques années plus tard, Henri fut témoin au mariage de Maurice et de Julia ; c'était en novembre 1900. Il accompagna également mon grand-père à la mairie de Pau lorsque celui-ci déclara la naissance de ses deux aînés, Suzanne en 1902 et Paul en 1903.

L'épouse d'Henri Lacabanne, effectivement prénommée Jeanne, figurait également parmi les amies de ma grand-mère.

Mais continuons la lecture : "Embrassez pour moi votre gentille famille. Amitiés à Maurice. Bien à vous." Le tout signé "M. Perrineau".

Autre patronyme qui m'est familier, pour l'avoir entendu à maintes reprises lorsque ma mère et mes tantes évoquaient leurs souvenirs d'enfance. René Perrineau, horloger à Pau, accompagna Maurice Maitreau et Henri Lacabanne lors de la déclaration de naissance de Suzanne et de Paul ; il signa également l'acte de naissance de ma mère et de sa sœur jumelle.

Son épouse s'appelait Marguerite Labeyrie. C'est vraisemblablement elle qui rédigea et signa la carte postale qui m'intéresse aujourd'hui. J'ai recherché l'acte de mariage pour comparer les deux signatures : ce n'est pas probant, mais l'écriture a pu évoluer au cours des vingt années qui séparaient la mère de trois enfants de la jeune mariée rougissante, âgée de dix-huit ans à peine.

Les familles Maitreau, Perrineau et Lacabanne étaient donc très liées. C'est également René Perrineau qui déclara le décès d'Eugénie Morel, la mère de Maurice Maitreau, et celui d'Eugénie Caperet, la mère de Julia. Quant à Henri Lacabanne, son nom figure comme témoin sur les actes de naissance de deux des trois enfants Perrineau.

Si je n'ai plus guère de doute sur les différentes personnes nommées dans cette carte postale, il n'en subsiste pas moins trois interrogations, toutes relatives à la date indiquée, "18 mai 1918", confirmée par le cachet de la poste :
  • Comment expliquer que l'épouse d'Henri Lacabanne et ses amis soient restés près de deux ans dans l'incertitude concernant son décès ?

  • À cette date, mi-mai 1918, des civils pouvaient-ils se rendre en des lieux aussi proches de la ligne de front que Dugny-sur-Meuse ?

  • Comment se fait-il que la carte postale soit datée et apparemment postée de Strasbourg, avec en outre un timbre de la République française, alors que la ville était à ma connaissance encore en territoire allemand, au moins jusqu'à l'armistice du 11 novembre ?

 Toute réponse à ces questions serait la bienvenue…


(1) Voir à son sujet le billet intitulé L comme Lacabanne, publié le 13 juin 2014

lundi 21 mars 2016

Vingt-quatre heures dans les tranchées

Je viens d'achever la lecture d'un très court livre, intitulé Les obus jouaient à pigeon vole(1). Il décrit la vie de Guillaume Apollinaire et de ses camarades de tranchée, face aux lignes allemandes, au Bois des Buttes (Aisne) en mars 1916.


Rappelons que le poète, né en Italie en 1880 mais d'origine polonaise, s'était porté volontaire pour servir dans l'armée française. Il fut naturalisé le 9 mars 1916, huit jours avant d'être blessé à la tempe par un éclat d'obus, alors qu'il lisait un exemplaire du Mercure de France(2). Vous connaissez sûrement ces portraits de l'homme en uniforme, la tête bandée ou le front ceint d'une courroie de cuir…

Le livre reprend le compte à rebours des vingt-quatre heures qui précèdent la blessure. Il décrit sobrement le quotidien misérable de l'infanterie dans les tranchées et constitue un intéressant contrepoint aux innombrables ouvrages savants sur la Première Guerre mondiale.

Guillaume Apollinaire sera emporté par la grippe espagnole le 9 novembre 1918, deux jours avant l'armistice, et il sera enterré au cimetière du Père-Lachaise. Les cinq mille ouvrages de sa bibliothèque seront acquis par la Bibliothèque historique de la ville de Paris en 1990.



(1) Raphaël Jerusalmy, Les obus jouaient à pigeon vole, Editions Bruno Doucey, 2016, 184 pages, ISBN 978-2-36229-094-7

(2) À l'époque, revue bimensuelle qui publiait des poèmes et des textes littéraires. Disponible en ligne sur le site de Gallica.

lundi 16 novembre 2015

Médecin dans la Grande Guerre

Du temps où j'en avais encore la possibilité, j'interrogeai un jour une cousine de ma mère, en lui montrant un visage sur une photo de mariage :
-       Et ce monsieur au quatrième rang ?
-       Le docteur Lacoste, me répondit-elle sans hésiter.
Je notai l'information et continuai à passer en revue les invités alignés sur le perron du Grand Hôtel, à Pau.

Le Docteur Lacoste

J'y reviens aujourd'hui, car il fait partie des personnages récurrents de la saga familiale. Un nom parmi ceux qui résonnaient à mes oreilles enfantines, lorsque ma grand-mère Julia et ma mère évoquaient leurs souvenirs empreints de nostalgie.

Le Dictionnaire biographique et album des Basses-Pyrénées, qui m'avait déjà aidée à plusieurs reprises(1), m'a permis d'en apprendre davantage à son sujet, grâce à cette courte notice :

LACOSTE (Justin), né à Castet le 24 février 1873.
Docteur à Pau.
Reçu docteur de la Faculté de médecine et de pharmacie de Paris le 24 février 1899. M. Lacoste prit pour sujet de sa thèse de doctorat : Evacuation totale de la plèvre dans les grands épanchements.
Ancien externe des hôpitaux de Paris.
Rue Nouvelle-Halle, 23, à Pau.

Un petit tour dans les registres de l'état civil et les fiches matricules des Pyrénées-Atlantiques, ensuite, afin d'exploiter et de compléter ces premières informations.

Fils d'agriculteurs, né dans un village du Haut-Béarn, Justin Lacoste est étudiant en médecine à Paris lors du conseil de révision de la classe 1893. Il bénéficie donc des dispositions de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement de l'armée ; à ce titre, il n'effectue qu'un an de service, au lieu des trois années normalement prévues. Il est alors soldat de 2e classe au 18e Régiment d'infanterie, en garnison à Pau.

Il accomplira ensuite des périodes d'exercice à intervalles réguliers, deviendra médecin auxiliaire de réserve en 1899, puis médecin aide major de réserve en 1900. Il a quarante-et-un ans lorsque le décret de mobilisation générale le rappelle à l'activité en août 1914. Le voilà parti en campagne contre l'Allemagne pour une période qui s'étendra du 3 août 1914 au 7 janvier 1919. Oui, il a survécu à l'horreur, contrairement aux innombrables Morts pour la France dont nous indexons en ce moment les fiches, mais j'imagine qu'il en resta néanmoins marqué à tout jamais.

De gauche à droite
Justin Lacoste, Henri Lacabanne et Maurice Maitreau

Un peu perdue dans la longue liste des services et mutations diverses, agrémentée d'abréviations et de sigles sibyllins qui figurent sur sa fiche matricule, j'ai décidé d'étudier de plus près l'organisation des services de santé durant la Première Guerre mondiale et voilà ce que j'ai appris.

Le service de santé des armées durant la Première Guerre mondiale

En 1914, lorsque éclate le conflit, l'organisation est la suivante : une médecine d'urgence sur le front, qui consiste à donner les premiers soins, puis à évacuer les blessés par voie ferroviaire sur des installations chirurgicales fixes installées à l'arrière. Dans des conditions sanitaires plus que précaires. "Emballer, étiqueter, expédier", c'est, semble-t-il l'expression consacrée pour la première phase médicale, ce qui en dit long sur les mentalités qui prévalaient alors.

Cette doctrine, développée à partir des conflits précédents où prédominaient les blessures par balles, eut des conséquences catastrophiques (gangrènes gazeuses, amputations extrêmement mutilantes et invalidantes…), dans la mesure où les plaies par éclats d'obus et de grenades étaient désormais prépondérantes. À l'ère industrielle, la guerre avait changé d'échelle et les soldats étaient réellement devenus de la "chair à canon" !

Une nouvelle chaîne de santé se mit donc en place à partir de 1915 :

  • Des postes de secours avancé, au plus près de la ligne de front, où les brancardiers amènent les blessés et où sont pratiqués les gestes de secours initiaux ;
  • Des ambulances intermédiaires, qui ne sont pas les véhicules de transport que nous connaissons aujourd'hui, mais des unités médico-chirurgicales mobiles au niveau du corps d'armée, numérotées en fonction des unités auxquelles elle se rattachent ;
  • Des hôpitaux d'évacuation, centres de soin et de régulation situés en dehors de la zone de combat, appelés HOE (pour hôpitaux origine d'étapes, même si cette appellation est parfois controversée aujourd'hui), avant le transfert vers les centres de convalescence et de rééducation de l'intérieur.

Il faut également citer les formations chirurgicales automobiles, appelées "autochir", qui fonctionnaient de manière autonome, mais pouvaient venir renforcer les formations hospitalières existantes.

L'ensemble reposait sur la notion de triage des blessés : il s'agissait de définir les priorités d'évacuation et de traitement, en fonction de l'urgence des soins à prodiguer, le tout étant matérialisé par des fiches de couleurs différentes selon les cas (évacuable, intransportable…).

Les flux furent considérables, de l'ordre de 9 millions d'entrées dans les hôpitaux, toutes maladies et blessures confondues, soit un chiffre supérieur à l'effectif total des mobilisés (plus de la moitié d'entre eux ont subi des hospitalisations successives).

Le décryptage de la fiche matricule

Mais revenons au Docteur Lacoste. Si je comprends bien les indications portées sur sa fiche matricule, il a dû dans un premier temps être affecté à l'arrière, mais il se retrouva rapidement sur le front, comme médecin de bataillon, puis comme médecin chef d'un groupe de brancardiers divisionnaire (GBD).

Au cours de sa longue campagne contre l'Allemagne, il reçut cinq citations, dont celle-ci datée du 11 octobre 1918 :

"Officier de complément de la plus belle énergie et de grande bravoure. Au front depuis le début de la campagne a demandé à y être maintenu. Dans la nuit du 25 au 26 septembre a donné un bel exemple du devoir en établissant sous un violent bombardement ennemi des postes de secours pour ypérités. A toujours assuré des services difficiles, payant de sa personne en toute occasion avec un absolu mépris du danger. A en particulier dans la nuit du 9 au 10 octobre organisé d'une façon parfaite les évacuations de nombreux ypérités."

Il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur par décret du 28 décembre 1918, mais son dossier est malheureusement introuvable dans la base Léonore.

Il retourna ensuite à la vie civile.


Sources

Le service de santé français pendant la guerre de 1914-1918, par Alain Larcan, dans La Revue du Praticien vol. 82, février 2012

Le service de santé aux armées pendant la Première Guerre mondiale, article paru dans La Cliothèque sur l'ouvrage écrit par Alain Larcan et Jean-Jacques Ferrandis, paru aux éditions LBM en 2008

La santé en guerre 1914-1918, Une politique pionnière en univers incertain, Introduction à l'ouvrage écrit par Vincent Viet et paru aux Presses de Sciences Po en 2015





(1) Voir L comme Lacabanne et W comme Who's who, publiés lors du challenge AZ de juin 2014.

samedi 28 juin 2014

Y comme ypérite

Ypérite, le mot figure sur la fiche matricule de Jean Fourcade, une simple feuille qui résume sept longues années passées sous les drapeaux, dont cinq années pleines en campagne contre l'Allemagne, durant la Première Guerre mondiale.

J'ai déjà brièvement évoqué le parcours militaire des frères de Julia dans le billet intitulé K comme Kaiser Guillaume II. Permettez-moi de revenir aujourd'hui plus en détail sur le cas de Jean.

Fiche matricule de Jean Fourcade
Source AD Pyrénées-Atlantiques

Sa fiche matricule rappelle qu'il est né le 19 octobre 1889 à Pau et qu'il est le fils de Théodore Fourcade et d'Eugénie Caperet, domiciliés 20 rue des Arts. Elle comporte également une description sommaire : cheveux et sourcils noirs, yeux gris foncé, taille 1,66 m. Je passe sur le "front haut", le "nez moyen" et le "menton rond" qui ne m'ont jamais paru très parlants ; en cette matière, rien ne vaut la photo.

Mon grand-oncle sous les drapeaux

Classé dans la première partie de la liste par le Conseil de révision, Jean effectue deux ans de service militaire comme soldat de 2e classe au 18e régiment d'infanterie en garnison à Pau. Incorporé le 5 octobre 1910, il est libéré le 26 septembre 1912 avec un certificat de bonne conduite.

Retour à la vie civile, dans la chemiserie familiale, pour deux ans à peine. La mobilisation générale est décrétée le 2 août 1914, le voilà de nouveau sous l'uniforme. Le 6 août, le régiment quitte la gare de Pau pour monter directement au front.

Mais ne comptez par sur la fiche matricule pour vous fournir des détails sur le parcours de vos ancêtres militaires. Il faut se reporter aux journaux des marches et opérations (JMO) pour avoir le récit des événements auxquels chaque unité a participé. Hélas, ce précieux document n'existe plus pour le 18e régiment d'infanterie. On trouvera néanmoins sur Internet(1) les batailles dans lesquelles le régiment a été engagé : Charleroi, la Marne, le Chemin des Dames, Verdun, Craonne… la liste est longue !

Jean Fourcade sous l'uniforme vers 1917
Archives personnelles

La fiche matricule de Jean Fourcade comporte néanmoins trois indications importantes : une blessure, une citation et une décoration.

Intoxiqué au gaz ypérite

De quoi s'agit-il ? L'ypérite, autre nom du gaz moutarde, figure dans la liste des armes chimiques. À base de chlore et de soufre, elle a un effet vésicant et provoque de graves brûlures aux yeux, à la peau et aux muqueuses. Sans parler des effets dévastateurs sur le moral des troupes. Elle fut employée par les Allemands pour la première fois en 1915 dans la région d'Ypres, en Belgique, ce qui lui valut sa dénomination d'ypérite.

Jean Fourcade est intoxiqué par ce gaz le 22 avril 1918 à Tricot (Oise) et évacué le même jour. La fiche matricule indique qu'il souffre d'une kératite, c'est-à-dire d'une inflammation de la cornée à l'œil droit, et d'une conjonctivite, c'est-à-dire d'une inflammation de la muqueuse qui tapisse l'intérieur de la paupière, à l'œil gauche.

Les lésions devaient être sérieuses, car il ne sortira de l'hôpital qu'un mois plus tard, le 29 mai 1918 ; et retournera "aux armées" dès le 9 juin.

Cité à l'ordre de la brigade

Deuxième indication précieuse sur la fiche matricule, la mention suivante :
"Cité à l'ordre de la Brigade N°109 du 20.1.19. Chargé d'assurer la liaison entre l'I.D.(2) et son régiment pendant les durs combats de Guron(3) du 16 au 20 Sept. 1918 a parfaitement accompli sa mission malgré des bombardements sévères."

Cette citation lui vaudra une décoration.

Croix de guerre avec étoile de bronze

C'est une décoration instaurée par la loi du 2 avril 1915 pour récompenser les combattants qui ont accompli une action remarquable.

Il s'agit d'une croix à quatre branches, avec deux épées croisées. En son centre, à l'avers la tête de la République, coiffée du bonnet phrygien et d'une couronne de laurier. Au revers 1914-1915, puis successivement, car la guerre a duré plus longtemps que prévu, 1914-1916, 1914-1917, enfin 1914-1918.

Le ruban est vert avec des rayures rouges verticales et comporte une étoile de bronze, d'argent ou de vermeil, ou une palme de bronze ou d'argent suivant l'importance et le nombre de citations.

Croix de guerre 1914-1918
(sans étoile ni palme sur la photo) 

Compte tenu de sa citation à l'ordre de la brigade, Jean Fourcade est donc décoré de la Croix de guerre avec étoile de bronze. Il ne sera mis en congé illimité de démobilisation que le 2 août 1919 ! A-t-il stationné avec son régiment dans la région de Mulhouse, après l'armistice ? C'est vraisemblable, mais ce n'est qu'une supposition.

J'ai eu récemment l'occasion d'interroger l'une de ses petites-filles : elle m'a indiqué que son grand-père (mon grand-oncle) parlait fort peu de tout cela. Elle savait qu'il avait donné sept ans de sa jeunesse à l'armée, elle savait également qu'il avait été "gazé", mais elle ignorait tout de cette citation et de cette décoration. Jean faisait partie de ces innombrables héros discrets de la Première Guerre mondiale.

Il restait néanmoins mobilisable en cas de nouveau conflit. Simplement, comme il s'était marié en 1920, sa classe de mobilisation (à ne pas confondre avec la classe de recensement) reculait au fur et à mesure qu'augmentait le nombre de ses enfants. C'est pourquoi l'année 1909 est rayée et remplacée par 1903 en haut de sa fiche matricule.

Il ne fut définitivement dégagé de ses obligations militaires que le 15 octobre 1938, moins d'un an avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale ! Il avait alors quarante-neuf ans. Il vécut encore de nombreuses années, dans la bonne ville de Pau où sa sœur Julia venait lui rendre visite de temps en temps.


Jean Fourcade et sa soeur Julia
Archives personnelles



(1) Je vous conseille en particulier le site suivant : http://chtimiste.com

(2) I.D. est l'abréviation d'infanterie divisionnaire, unité qui regroupe plusieurs régiments.

(3) C'est du moins ce que je déchiffre sur le document, sans aucune certitude. Pinon serait plus vraisemblable, compte tenu de la date de l'événement.