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lundi 16 avril 2018

Le mystère de la carte postale

Elle m'a été transmise avec d'autres papiers de famille et m'a longtemps intriguée, jusqu'à ce que je décide de l'analyser de façon plus méthodique.

Côté illustration, elle représente la Rabenplatz, autrement dit la place du Corbeau, à Strasbourg, au début du siècle dernier : deux tramways s'y croisent ; des hommes, la tête couverte d'un chapeau, et des femmes aux longues jupes marchent d'un pas vif sur les pavés. La cathédrale pointe son unique flèche derrière les toits.

Collection personnelle

Côté correspondance, elle a été rédigée il y a tout juste un siècle, en mai 1918 (j'y reviendrai), et commence par "Ma chère Julia". Pas de doute, il s'agit de ma grand-mère maternelle, même si la personne qui l'adresse à "Mme Paul Maitreau" confond l'époux, Maurice, et son fils Paul alors âgé de quinze ans.

Collection personnelle

"Notre voyage à Dugny a été moralement bien pénible".

Il s'agit vraisemblablement de Dugny-sur-Meuse, à moins de dix kilomètres au sud de Verdun. Cette proximité en fit le lieu de stationnement de nombreuses ambulances au cours de la Première Guerre mondiale.

"Hélas si jusqu'alors on pouvait vouloir toujours espérer voir revenir notre cher Henri, il n'y a plus d'espérance à avoir."

S'agirait-il d'Henri Lacabanne ? Prénommé Jean Marie Louis sur son acte de naissance mais toujours appelé Henri par sa famille, ses amis et connaissances, le capitaine Lacabanne(1) est décédé le 4 juin 1916 de blessures de guerre à l'ambulance 3/18 alors stationnée à Dugny, comme l'indique la fiche de Mort pour la France.

"J'ai beaucoup souffert" continue la personne qui a rédigé la carte postale, "mais sans le montrer à Jeanne dont je n'aurais pas voulu diminuer l'admirable courage. C'est vraiment une sainte que nous avons pour amie. Comme elle a dû souffrir. Entourez-la un peu le contre-coup sera certainement bien pénible."

Henri Lacabanne était un ami de longue date de mon grand-père Maurice Maitreau : je détiens plusieurs photos où j'identifie les deux jeunes gens, alors amateurs d'activités festives. Quelques années plus tard, Henri fut témoin au mariage de Maurice et de Julia ; c'était en novembre 1900. Il accompagna également mon grand-père à la mairie de Pau lorsque celui-ci déclara la naissance de ses deux aînés, Suzanne en 1902 et Paul en 1903.

L'épouse d'Henri Lacabanne, effectivement prénommée Jeanne, figurait également parmi les amies de ma grand-mère.

Mais continuons la lecture : "Embrassez pour moi votre gentille famille. Amitiés à Maurice. Bien à vous." Le tout signé "M. Perrineau".

Autre patronyme qui m'est familier, pour l'avoir entendu à maintes reprises lorsque ma mère et mes tantes évoquaient leurs souvenirs d'enfance. René Perrineau, horloger à Pau, accompagna Maurice Maitreau et Henri Lacabanne lors de la déclaration de naissance de Suzanne et de Paul ; il signa également l'acte de naissance de ma mère et de sa sœur jumelle.

Son épouse s'appelait Marguerite Labeyrie. C'est vraisemblablement elle qui rédigea et signa la carte postale qui m'intéresse aujourd'hui. J'ai recherché l'acte de mariage pour comparer les deux signatures : ce n'est pas probant, mais l'écriture a pu évoluer au cours des vingt années qui séparaient la mère de trois enfants de la jeune mariée rougissante, âgée de dix-huit ans à peine.

Les familles Maitreau, Perrineau et Lacabanne étaient donc très liées. C'est également René Perrineau qui déclara le décès d'Eugénie Morel, la mère de Maurice Maitreau, et celui d'Eugénie Caperet, la mère de Julia. Quant à Henri Lacabanne, son nom figure comme témoin sur les actes de naissance de deux des trois enfants Perrineau.

Si je n'ai plus guère de doute sur les différentes personnes nommées dans cette carte postale, il n'en subsiste pas moins trois interrogations, toutes relatives à la date indiquée, "18 mai 1918", confirmée par le cachet de la poste :
  • Comment expliquer que l'épouse d'Henri Lacabanne et ses amis soient restés près de deux ans dans l'incertitude concernant son décès ?

  • À cette date, mi-mai 1918, des civils pouvaient-ils se rendre en des lieux aussi proches de la ligne de front que Dugny-sur-Meuse ?

  • Comment se fait-il que la carte postale soit datée et apparemment postée de Strasbourg, avec en outre un timbre de la République française, alors que la ville était à ma connaissance encore en territoire allemand, au moins jusqu'à l'armistice du 11 novembre ?

 Toute réponse à ces questions serait la bienvenue…


(1) Voir à son sujet le billet intitulé L comme Lacabanne, publié le 13 juin 2014

lundi 8 février 2016

Le carnet Maitreau

Il ne paie pas de mine avec sa couverture toilée beige salie par le temps, son dos renforcé de mauvais papier brun et son étiquette rongée par l'usure. C'est pourtant grâce à lui que j'ai pu entamer mes recherches du côté Maitreau.

Collection personnelle

Une trentaine de pages, guère plus, principalement de la main de mon arrière-grand-père Achille Maitreau, et je n'en ai pas encore épuisé toutes les ressources.

Les premiers feuillets sont consacrés à des données généalogiques : mariage d'Achille Maitreau et d'Eugénie Morel à Pau en 1868, option pour la France d'Eugénie Morel, née à Strasbourg, et de sa mère, née à Metz, naissance des deux enfants du couple,  Maurice André (mon grand-père maternel) en 1869 et Jeanne Marie Clarisse en 1871, mariage des enfants… le tout avec quelques informations complémentaires, comme la mention d'un contrat de mariage, le montant de la dot ou la date des vaccinations !

J'ai ainsi pu demander copie des actes correspondants ou y accéder directement lorsque les archives numérisées ont été disponibles en ligne.

Mais Achille Maitreau, quoique militaire de carrière, n'en était pas moins homme d'argent. Avec une obsession une fois à la retraite : ne pas favoriser Maurice au détriment de sa sœur Marie. D'où l'inventaire plusieurs fois répété de ses biens et de ceux, plus modestes, de son épouse.

C'est ainsi que sont mentionnées par exemple des actions dans les chemins de fer Paris-Lyon-Méditerranée ou dans le chemin de fer de Bône à Guelma, des obligations du Crédit foncier de France, du Crédit foncier égyptien ou du Canal de Panama ! Détaillés également l'avoir d'Eugénie Morel au jour du mariage,  l'héritage recueilli après le décès de la belle-mère ou celui d'une tante restée dans le Maine-et-Loire…

Ici ou là une mention qui fait sourire :
"Jardin situé chemin Labourdette à 2 minutes du tramway de la route de Bordeaux.
Demander si on veut vendre 10 francs du mètre.
Abaisser successivement jusqu'à 8 francs, ce dernier m'ayant été offert (sachez attendre)."

J'imagine que ce précieux document a été remis à Marie Maitreau, après la mort de son père en décembre 1914. Le titre en est suffisamment explicite : "Carnet de la famille Maitreau-Morel destiné à notre fille Marie". Cette dernière a d'ailleurs inscrit à plusieurs reprises des annotations sous certaines rubriques. Les dernières d'une écriture tremblée de vieille dame. Peut-être à l'époque où je l'ai rencontrée lorsque, deux fois veuve et déjà fort âgée, elle vivait auprès de sa fille et de son gendre, dans une villa paloise entourée d'un grand jardin.

Mais revenons aux annotations. Celle-ci notamment me fait rêver : "Darac (sic) rouge voiture automobile achetée à Henri Lacabanne par moi Marie Bergerot en 1905."

Le frère aîné de Marie, mon grand-père Maurice Maitreau, était un grand ami d'Henri Lacabanne et je pense qu'il n'a pas été complètement étranger à la transaction. Il n'empêche, j'aurais bien aimé avoir une photo de la Darracq en question !

Comment ce carnet est-il parvenu jusqu'à moi ? Marie s'est mariée deux fois, la première avec un certain Bergerot, capitaine d'infanterie (encore un militaire), décédé en 1901 à l'âge de quarante ans, la seconde avec Joseph Bordenave, qui l'emmena un temps en Algérie.


L'enfant né du premier mariage est décédé à huit ans. Andrée, fille née du second mariage et cousine germaine de ma mère, s'est certes mariée, mais n'a jamais eu d'enfant : j'ai tendance à penser qu'elle a remis à ma mère un grand nombre de documents et de photographies de la famille Maitreau, lorsque mes parents sont retournés dans les Pyrénées passer les dernières années de leur existence. Je lui en suis encore reconnaissante aujourd'hui !

jeudi 26 juin 2014

W comme Who's who

Vous connaissez peut-être ce dictionnaire biographique à couverture rouge, publié depuis une soixantaine d'années en France, sur une idée britannique beaucoup plus ancienne. Il répertorie les personnalités représentatives du monde politique, économique, scientifique, culturel et sportif.

Comme je note systématiquement tous les intervenants dont les noms figurent sur les actes, lors de mes recherches généalogiques, ma base de données dépasse le cadre strictement familial. Je pourrais presque me constituer une sorte de Who's who pour mon usage personnel. Je pense, par exemple, à certains maires, durant la Restauration ou le Second Empire, qui arborent des patronymes à tiroirs…

Source Photo Pin

Mais revenons à ma grand-mère, Julia Fourcade. Lorsque j'ai reçu la copie de l'acte de son mariage civil avec Maurice Maitreau, célébré le 22 novembre 1900 à l'Hôtel de la mairie de Pau, j'ai noté les quatre témoins et j'ai tenté d'en apprendre davantage à leur sujet. Histoire de répondre à la fameuse question : "Qui est qui ?"

Et voici ce que j'ai trouvé.

Paul Mortemard de Boisse

"Âgé de cinquante ans, chef de bataillon au 18e Régiment d'infanterie, chevalier de la Légion d'honneur", selon l'acte de mariage. En garnison à Pau, donc.

Un premier témoin dont le nom attire l'œil ! L'adjoint au maire, sans doute impressionné, l'a d'ailleurs gratifié d'une deuxième particule, l'appelant Paul de Mortemard de Boisse. Mais attention ! Ne pas confondre les Mortemard avec un "d" et les Mortemart avec un "t", ces derniers issus de la branche cadette de l'illustre maison de Rochechouart. Les fans de Tintin et des Dupondt, suivez mon regard !

L'accès à son dossier de la Légion d'honneur m'a permis de savoir que Paul Frédéric Mortemard de Boisse était né le 2 mai 1850 à Saint-Germain-en-Laye, qu'il avait un frère, né en 1837 au Havre, également chevalier de la Légion d'honneur, et que leur père était capitaine de frégate.

Notre témoin a participé à la guerre de 1870 dans l'Armée de Loire ; il a combattu contre l'Allemagne de janvier à mars 1871, alors qu'il avait vingt ans. Il intervint également durant l'insurrection de Paris et fut blessé lors de l'attaque de la Barrière du Trône, en mai 1871. Il participera à la Première Guerre mondiale et sera élevé au grade d'officier de la Légion d'honneur en novembre 1915.

Mais quel est le lien avec la famille Maitreau ? Le capitaine Achille Maitreau, blessé le 1er septembre 1870 à la bataille de Sedan, n'a participé ni aux opérations de l'Armée de Loire, ni à celles contre la Commune de Paris. Il avait alors quarante-neuf ans et, après une période de convalescence suivie d'une période de congé, il prit sa retraite en 1873.

A-t-il croisé le jeune Mortemard de Boisse dans un hôpital militaire ? Ou bien fréquentait-il un cercle d'officiers à Pau, où il aurait pu faire la connaissance du chef de bataillon ? À ce jour, je n'ai pas la réponse. J'ai juste tendance à penser qu'il n'était pas fâché de produire un témoin avec un nom qui sonne bien. Un peu snob, mon arrière-grand-père ?

Henri Lacabanne

"Âgé de vingt-huit ans, ingénieur", toujours selon l'acte de mariage de mes grands-parents maternels.

Ami de longue date de Maurice Maitreau, il se mariera l'année suivante, mais le registre des mariages de 1901 n'étant pas encore en ligne, je n'ai pu vérifier si Maurice lui avait rendu la pareille.

Henri Lacabanne
Archives personnelles

J'ai évoqué dans un précédent billet(1) le destin de cet ingénieur des Ponts et Chaussées, qui participa à la construction du réseau des tramways des Basses-Pyrénées et qui fut tué au cours de la Première Guerre mondiale, en 1916, laissant une jeune veuve de trente-quatre ans et trois enfants.

Sylvain Gardères

"Âgé de soixante ans, maître d'hôtel", toujours selon l'acte de mariage.

La profession de ce troisième témoin est a priori moins prestigieuse et je me suis un temps posé des questions. Mais méfions-nous des idées fausses ; selon Wikipédia, "dans un restaurant, un hôtel ou une maison particulière, le maître d'hôtel est la personne chargée de la coordination de l'ensemble du personnel de service", un poste clé, impliquant un engagement important et de lourdes responsabilités. Ce n'est pas rien.

Tout dépend de la taille de l'établissement, me direz-vous.

N'oublions pas que, dès la première moitié du XIXe siècle, Pau devint un lieu de villégiature fort prisé des Britanniques. Considérée comme une station climatique dont les bienfaits étaient vantés par le médecin écossais Alexandre Taylor(2), elle proposait aux riches oisifs terrain de golf, hippodrome, chasse au renard… et attirait du beau linge.

Cette renommée favorisa naturellement le développement de l'hôtellerie de luxe.

Or, au fil de mes recherches, je suis tombée sur cet article dans le Dictionnaire biographique et album des Basses-Pyrénées, à la rubrique Renseignements utiles :
"Hôtel de France à Pau, boulevard du Midi.
Fondé en 1830 par la famille Gardères, s'est transmis depuis de père en fils. Reconstruit en 1870 avec des dispositions et agencements modernes, cet hôtel offre tout le confort désirable.
Belle vue sur la chaîne des Pyrénées.
Le Cercle anglais occupe une des plus belles salles.
Garage d'automobiles, avec boxes pour les chevaux."

Hôtel de France
Source Médiathèque intercommunale Pau-Pyrénées

Cet imposant bâtiment, qui abrite aujourd'hui la communauté d'agglomération Pau-Pyrénées, est situé à l'angle de la place Royale et du boulevard des Pyrénées.

Nous y voilà ! Les Maitreau faisaient un peu d'esbroufe avec leurs témoins, les Fourcade rétorquaient du tac au tac. Car, en me penchant sur les branches collatérales (vive la généalogie descendante), j'ai découvert que Sylvain Gardères n'était autre qu'un cousin germain d'Eugénie Caperet, la mère de Julia !

Simon Théodore Conu

"Âgé de cinquante-neuf ans, Directeur des Postes et Télégraphes, domicilié à Montauban". Quatrième témoin, sans doute allié de la famille Fourcade, donc, si l'on considère que les deux premiers sont les témoins de Maurice Maitreau.

Mais là, rien, aucune piste ! J'éviterai le jeu de mots facile et je lance cette bouteille à la mer. Si quelqu'un a une idée…



(1) Voir L comme Lacabanne, publié le vendredi 13 juin

(2) Alexander Taylor (1802-1879), médecin, auteur d'un ouvrage intitulé Vertus du climat de Pau, bénéficie aujourd'hui d'une rue à son nom dans le centre de Pau.

mardi 24 juin 2014

U comme uniforme

Maurice Maitreau a-t-il fait la guerre de 1914-1918 ? Mon grand-père allait avoir quarante-cinq ans et il était déjà père de quatre enfants lors de la mobilisation générale. Je ne parvenais pas à l'imaginer dans les tranchées en première ligne et j'avais beau me creuser les méninges, je ne me souvenais d'aucune histoire familiale sur ce sujet.

Pourtant, j'avais bien trouvé dans les photos anciennes, dont je suis aujourd'hui dépositaire, trois clichés sur lesquels il me semblait le reconnaître en uniforme. Pour corser l'affaire, ces vues ne manquaient pas de m'intriguer : elles sont en noir et blanc, bien sûr, mais les tenues militaires portées par le mari de Julia semblent à chaque fois de couleur différente ; sur l'une d'entre elles, Maurice Maitreau paraît plus âgé ou plus fatigué, avec plus d'embonpoint, que sur les deux autres ; enfin, les clichés proviennent de deux studios différents, l'un situé à Pau et l'autre à Tarbes.

J. Lacoste, H. Lacabanne et M. Maitreau
Archives personnelles

La récente mise en ligne des fiches matricules sur le site des Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques m'a permis d'éclaircir quelques points.

D'abord exempté pour faiblesse générale

Maurice Maitreau, né en octobre 1869, relevait donc de la classe 1889. Lorsqu'il passe devant le conseil de révision, alors qu'il est encore étudiant (sans plus de précision), il est d'abord "ajourné pour faiblesse", puis finalement "exempté pour faiblesse générale". Allons bon ! Voilà qui n'était sans doute pas du goût de son père, Achille Maitreau, militaire de carrière !

J'ai au passage confirmation de sa petite taille, 1,55 m ou 1,58 m (après rectification) et j'apprends son degré d'instruction générale. Le niveau 4 indique qu'il a obtenu le brevet d'instruction primaire, mais il n'a sans doute pas décroché le baccalauréat, qu'il appelait pourtant de ses vœux dans une lettre adressée à sa sœur, en avril 1889, quelques mois avant les opérations de recensement.

Pas de service militaire, donc, pour mon grand-père. Les années vont passer, il va devenir greffier du tribunal civil d'Oloron-Sainte-Marie, épouser Julia Fourcade en novembre 1900, fonder une famille et couler des jours heureux jusqu'à la déclaration de guerre…

Puis engagé au 10e hussards

Comme chacun sait, la Première Guerre mondiale fut extrêmement meurtrière dès les premiers mois et il fallut bientôt trouver une solution pour combler les pertes. Des décrets successifs instituèrent des commissions de réforme, pour examiner le cas des hommes précédemment réformés, exemptés ou ajournés pour raisons diverses, afin de compléter les effectifs.

Maurice Maitreau fut finalement jugé "bon pour le service armé" par le conseil de révision le 29 décembre 1914, mais il ne fut pas immédiatement incorporé. Était-ce parce que, compte tenu de sa classe, il relevait de la réserve de l'armée territoriale ? Je ne suis pas suffisamment au fait de la chose militaire pour répondre avec certitude à cette question.

Quoi qu'il en soit, le 8 avril 1915, mon grand-père se présente à la mairie de Pau et il y contracte un engagement volontaire pour la durée de la guerre. Trois jours plus tard, le voilà à Tarbes, où il intègre le 10e régiment de hussards, ce qui est tout à fait cohérent avec son petit gabarit et sa passion pour les chevaux. Cohérent également avec la photo prise dans le studio de G. Francis, où il pose seul, sabre au côté, éperons aux pieds, la moustache toujours aussi conquérante.

Maurice Maitreau, en uniforme du 10e hussards
Archives personnelles

Malheureusement, la fiche matricule ne donne que des indices sur la suite des événements : Maurice Maitreau est nommé brigadier, l'équivalent de caporal dans les armes "à cheval", le 1er décembre 1915 et il fait partie du 8e groupe de cavaliers de remonte. De quoi s'agit-il ?

J'ai trouvé la réponse sur un forum qui traite de la Grande Guerre. La remonte a pour fonction de sélectionner, de dresser et de fournir des chevaux pour répondre aux besoins de l'armée, aussi bien pour les régiments de cavalerie montée, ce qui semble évident de prime abord, que pour la traction hippomobile, que l'on aurait davantage tendance à oublier.

Les groupes de remonte sont donc des unités à vocation non combattante. Le 8e groupe est pour sa part basé à Tarbes. Je pense que Maurice Maitreau y resta affecté jusqu'en octobre 1917 et c'est sans doute durant cette période que fut prise la photo suivante.

Groupe de cavaliers, Maurice Maitreau au centre
Archives personnelles

Enfin détaché comme agriculteur

En octobre 1917, changement d'affectation : voilà mon grand-père "détaché comme agriculteur à Lons catégorie A" et relevant désormais du 18e régiment d'infanterie ! Retour vers un site très intéressant, qui m'avait déjà permis de me faire une idée plus précise des classes mobilisables, Le Parcours du combattant de la guerre 1914-1918.

Il s'agit cette fois de résoudre la pénurie de main-d'œuvre agricole consécutive à la mobilisation en masse. C'est l'objet d'une circulaire du ministère de la Guerre, datée du 12 janvier 1917. Elle autorise le détachement des agriculteurs des classes 1888 et 1889 : ils ne sont plus en campagne contre l'Allemagne, mais militaires travaillant aux champs.

La catégorie A concerne les propriétaires exploitants, les fermiers et les métayers ; la catégorie B les ouvriers agricoles, ainsi que les agriculteurs des régions envahies. Les premiers doivent un temps de travail hebdomadaire à la communauté, inversement proportionnel au nombre d'hectares de la propriété, les seconds sont affectés à une commune ou à une exploitation.

Comment mon grand-père greffier s'est-il retrouvé détaché agricole catégorie A ? Mystère ! Même si ma mère me parlait de la ferme de Labourie, située sur la commune de Lons, et du petit vacher qui lui avait tressé un panier lorsqu'elle était enfant, même si une carte postale d'avant-guerre comporte cette adresse… Encore des recherches en perspective.

Cette situation ne dura guère et Maurice Maitreau fut finalement mis en sursis d'appel illimité en mai 1918, alors qu'il avait quarante-huit ans. Il reprit son activité de greffier à Oloron.

Je conclurai en disant que, trompée par les sempiternelles images de tranchées et de combats en première ligne, je n'avais pas imaginé les autres activités (administration, intendance, approvisionnement…), moins glorieuses sans doute, mais tout aussi nécessaires à la conduite de la guerre. C'est de cette façon que mon grand-père accomplit son devoir de soldat.

vendredi 13 juin 2014

L comme Lacabanne

Je voudrais vous parler aujourd'hui de l'entourage de mes grands-parents maternels. J'ai en tête quelques noms qui émaillaient les conversations familiales de mon enfance (Lacabanne, Lacoste, Perrineau…), mais est-il possible d'en savoir davantage après tant d'années ?

Prenons Henri Lacabanne, par exemple. C'était, à n'en pas douter, un ami de mon grand-père Maurice Maitreau. Son nom figure au dos de deux photos de groupe prises lorsque les jeunes gens étaient encore célibataires et qu'ils menaient manifestement joyeuse vie ; mais si je reconnais Maurice sans trop de peine, j'étais jusqu'à présent incapable d'identifier son ami Henri.

Je savais également que lorsque Henri Lacabanne se maria, son épouse se lia tout naturellement d'amitié avec Julia. Ma grand-mère l'évoquait souvent et je me demande même si je ne l'ai pas croisée une fois ou deux. Mais je ne la connaissais que sous le nom de "Madame Lacabanne". Alors, comment faire ?

Une première recherche dans Geneanet n'avait rien donné, une autre dans les fiches matricules récemment mises en ligne par les Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, pas davantage. Et pourquoi pas Google ? à tout hasard, sans trop y croire, je tapai "Henri Lacabanne". Et là, bingo ! Le Dictionnaire et album des Basses-Pyrénées, publié vers 1906 et répertorié sur le site des Médiathèques de l'agglomération Pau-Pyrénées(1), contenait ces quatre lignes :

"Lacabanne (Henri) né à Pau le 25 août 1872
Ingénieur des constructions civiles
Ingénieur de la construction du réseau de tramways des Basses-Pyrénées
Villa Marcelle, avenue Dufau, Pau"

La courte notice biographique contenait non seulement de précieuses informations, une date et un lieu de naissance, une profession, et même une adresse, mais elle était en outre accompagnée d'un portrait ! Ce qui me permit de faire le lien avec quelques photos en ma possession.

Etape suivante, le site des Archives de Pau, pour y consulter l'acte de naissance(2). L'enfant né le 25 août 1872 à trois heures du matin était bien le fils d'un certain Victor Lacabanne, boulanger de son état, mais il était prénommé… Jean Marie Louis. Pas la moindre trace d'Henri. Bon, je ne sais si c'est une coutume simplement paloise ou plus largement béarnaise, mais j'ai déjà rencontré des Jean Baptiste Raphaël Théodore que tout le monde appelait "Théo", alors pourquoi pas Henri ?

L'acte de naissance était en outre assorti d'une mention marginale (merci monsieur le législateur) : le Lacabanne en question s'était marié à Pau le 30 mai 1901 avec Marie Eulalie Jeanne Gabard. Un nom qui me disait vaguement quelque chose…

Henri Lacabanne et son épouse
Archives personnelles

À partir de là, tout se débloqua. Un retour sur les fiches matricules me permit d'en apprendre davantage. Henri, ou plutôt Jean Marie Louis Lacabanne était élève de l'École des Ponts et Chaussées au moment du conseil de révision, en 1892. Il fit son service militaire au 18e Régiment d'infanterie de novembre 1893 à septembre 1894, puis plusieurs périodes d'exercice en tant qu'officier de réserve durant les années qui suivirent.

Il habita successivement Pau, Dax et Oloron, puis revint à Pau avant le début de la Première Guerre mondiale. Promu au grade de capitaine, il fut grièvement blessé et mourut le 4 juin 1916 à Dugny, dans la Meuse. Une citation à l'ordre de l'armée lui rend cet hommage posthume :"Ayant repris sur sa demande du service pour la guerre, a dirigé personnellement les travaux de sa compagnie, pendant plusieurs nuits successives dans une zone violemment bombardée et bien que déjà contusionné. Est mort, ayant été enseveli, des suites de lésions…"(3)

Une nouvelle incursion sur le site de Geneanet m'a permis de compléter et d'ajuster les différentes pièces du puzzle. Le couple a eu trois enfants. Les deux filles, Germaine et Yvonne, se sont mariées respectivement en 1921 et 1929, la première avec un certain Paul Planté et la seconde avec un certain René Litre. Une cousine de ma mère, que j'avais eu la présence d'esprit d'interroger quand il en était encore temps, avait identifié les deux couples sur des photos qui m'intriguaient.

Mais revenons à Jeanne Gabard, l'épouse d'Henri Lacabanne et l'amie de Julia. Elle s'était donc retrouvée veuve à trente-quatre ans, son époux étant mort pour la France. J'ai découvert qu'elle avait à peine six mois de plus que ma grand-mère et qu'elle était décédée à Pau en 1963.

Aurai-je autant de chance avec les autres patronymes qui résonnent encore à mes oreilles ?



(2) Archives de Pau 1 E 244 vue 84/128
(3) Le papier collé sur la fiche matricule est tronqué.