Maurice Maitreau a-t-il fait la guerre de 1914-1918 ?
Mon grand-père allait avoir quarante-cinq ans et il était déjà père de quatre
enfants lors de la mobilisation générale. Je ne parvenais pas à l'imaginer dans
les tranchées en première ligne et j'avais beau me creuser les méninges, je ne
me souvenais d'aucune histoire familiale sur ce sujet.
Pourtant, j'avais bien trouvé dans les photos anciennes,
dont je suis aujourd'hui dépositaire, trois clichés sur lesquels il me semblait
le reconnaître en uniforme. Pour corser l'affaire, ces vues ne manquaient pas
de m'intriguer : elles sont en noir et blanc, bien sûr, mais les tenues
militaires portées par le mari de Julia semblent à chaque fois de couleur
différente ; sur l'une d'entre elles, Maurice Maitreau paraît plus âgé ou
plus fatigué, avec plus d'embonpoint, que sur les deux autres ; enfin, les
clichés proviennent de deux studios différents, l'un situé à Pau et l'autre à
Tarbes.
J. Lacoste, H. Lacabanne et M. Maitreau Archives personnelles |
La récente mise en ligne des fiches matricules sur le site
des Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques m'a permis d'éclaircir
quelques points.
D'abord exempté pour
faiblesse générale
Maurice Maitreau, né en octobre 1869, relevait donc de la
classe 1889. Lorsqu'il passe devant le conseil de révision, alors qu'il est
encore étudiant (sans plus de précision), il est d'abord "ajourné pour
faiblesse", puis finalement "exempté pour faiblesse générale".
Allons bon ! Voilà qui n'était sans doute pas du goût de son père, Achille
Maitreau, militaire de carrière !
J'ai au passage confirmation de sa petite taille, 1,55 m
ou 1,58 m (après rectification) et j'apprends son degré d'instruction
générale. Le niveau 4 indique qu'il a obtenu le brevet d'instruction
primaire, mais il n'a sans doute pas décroché le baccalauréat, qu'il appelait
pourtant de ses vœux dans une lettre adressée à sa sœur, en avril 1889,
quelques mois avant les opérations de recensement.
Pas de service militaire, donc, pour mon grand-père. Les
années vont passer, il va devenir greffier du tribunal civil
d'Oloron-Sainte-Marie, épouser Julia Fourcade en novembre 1900, fonder une
famille et couler des jours heureux jusqu'à la déclaration de guerre…
Puis engagé au 10e
hussards
Comme chacun sait, la Première Guerre mondiale fut
extrêmement meurtrière dès les premiers mois et il fallut bientôt trouver une
solution pour combler les pertes. Des décrets successifs instituèrent des
commissions de réforme, pour examiner le cas des hommes précédemment réformés,
exemptés ou ajournés pour raisons diverses, afin de compléter les effectifs.
Maurice Maitreau fut finalement jugé "bon pour le
service armé" par le conseil de révision le 29 décembre 1914, mais il
ne fut pas immédiatement incorporé. Était-ce parce que, compte tenu de sa
classe, il relevait de la réserve de l'armée territoriale ? Je ne suis pas
suffisamment au fait de la chose militaire pour répondre avec certitude à cette
question.
Quoi qu'il en soit, le 8 avril 1915, mon grand-père se
présente à la mairie de Pau et il y contracte un engagement volontaire pour la
durée de la guerre. Trois jours plus tard, le voilà à Tarbes, où il intègre le
10e régiment de hussards, ce qui est tout à fait cohérent avec son
petit gabarit et sa passion pour les chevaux. Cohérent également avec la photo
prise dans le studio de G. Francis, où il pose seul, sabre au côté, éperons aux
pieds, la moustache toujours aussi conquérante.
Maurice Maitreau, en uniforme du 10e hussards Archives personnelles |
Malheureusement, la fiche matricule ne donne que des indices
sur la suite des événements : Maurice Maitreau est nommé brigadier, l'équivalent
de caporal dans les armes "à cheval", le 1er décembre 1915
et il fait partie du 8e groupe de cavaliers de remonte. De quoi
s'agit-il ?
J'ai trouvé la réponse sur un forum qui traite de la Grande
Guerre. La remonte a pour fonction de sélectionner, de dresser et de fournir
des chevaux pour répondre aux besoins de l'armée, aussi bien pour les régiments
de cavalerie montée, ce qui semble évident de prime abord, que pour la traction
hippomobile, que l'on aurait davantage tendance à oublier.
Les groupes de remonte sont donc des unités à vocation non
combattante. Le 8e groupe est pour sa part basé à Tarbes. Je pense
que Maurice Maitreau y resta affecté jusqu'en octobre 1917 et c'est sans doute
durant cette période que fut prise la photo suivante.
Groupe de cavaliers, Maurice Maitreau au centre Archives personnelles |
Enfin détaché comme
agriculteur
En octobre 1917, changement d'affectation : voilà mon
grand-père "détaché comme agriculteur à Lons catégorie A" et relevant
désormais du 18e régiment d'infanterie ! Retour vers un site
très intéressant, qui m'avait déjà permis de me faire une idée plus précise des
classes mobilisables, Le
Parcours du combattant de la guerre 1914-1918.
Il s'agit cette fois de résoudre la pénurie de main-d'œuvre
agricole consécutive à la mobilisation en masse. C'est l'objet d'une circulaire
du ministère de la Guerre, datée du 12 janvier 1917. Elle autorise le
détachement des agriculteurs des classes 1888 et 1889 : ils ne sont plus
en campagne contre l'Allemagne, mais militaires travaillant aux champs.
La catégorie A concerne les propriétaires exploitants,
les fermiers et les métayers ; la catégorie B les ouvriers agricoles,
ainsi que les agriculteurs des régions envahies. Les premiers doivent un temps
de travail hebdomadaire à la communauté, inversement proportionnel au nombre
d'hectares de la propriété, les seconds sont affectés à une commune ou à une
exploitation.
Comment mon grand-père greffier s'est-il retrouvé détaché
agricole catégorie A ? Mystère ! Même si ma mère me parlait de
la ferme de Labourie, située sur la commune de Lons, et du petit vacher qui lui
avait tressé un panier lorsqu'elle était enfant, même si une carte postale
d'avant-guerre comporte cette adresse… Encore des recherches en perspective.
Cette situation ne dura guère et Maurice Maitreau fut
finalement mis en sursis d'appel illimité en mai 1918, alors qu'il avait quarante-huit ans. Il reprit son activité
de greffier à Oloron.
Je conclurai en disant que, trompée par les sempiternelles
images de tranchées et de combats en première ligne, je n'avais pas imaginé les
autres activités (administration, intendance, approvisionnement…), moins
glorieuses sans doute, mais tout aussi nécessaires à la conduite de la guerre.
C'est de cette façon que mon grand-père accomplit son devoir de soldat.
Bonjour
RépondreSupprimerIntéressant billet,
ou toute la différence entre lire une fiche matricule et la décoder,
afin de retracer le chemin parcouru par son ancêtre dans cette période particulière.
Félicitations !
J'ai appris plein de choses - Nésida