Soigneusement occultées devant les enfants, les questions
d'argent n'en étaient pas moins présentes chez nos parents, perturbant les
relations entre gendres et belle-mère, beaux-frères et belles-sœurs…
Certains papiers, enfouis au fond des tiroirs depuis des
décennies, ont refait surface à l'occasion d'un ultime déménagement. C'est
ainsi que j'ai découvert avec surprise des doubles de courriers évoquant des
conseils de famille, des copies de reçus, des listes de meubles meublants
constitutifs de dot, des calculs d'usufruit et de pension alimentaire. Drôle
d'époque !
Devenue veuve à cinquante-sept ans, en décembre 1939, ma
grand-mère Julia fut très certainement confrontée à des difficultés
financières. La guerre, les restrictions, l'inflation, les mariages de ses
enfants la contraignirent à modifier sensiblement son mode de vie. J'ignore à
quelle date Julia quitta Pau de façon définitive, mais en janvier 1945
elle résidait à Issy-les-Moulineaux, non loin du Parc des Expositions de la
Porte de Versailles.
Julia passa ainsi les vingt dernières années de sa vie tantôt chez mes parents, tantôt chez mes oncles et mes tantes, sans toujours éviter dans
l'esprit de certains des arrière-pensées et des calculs inavoués : "Combien de mois, combien d'années chez nous,
n'est-ce pas un peu au tour des autres, beaux-frères et belles-sœurs, de
prendre la relève ?"
L'exiguïté des appartements parisiens et le caractère vif(1) de ma grand-mère ne simplifiaient pas cette cohabitation plus ou moins bien
acceptée ! Je revois cet après-midi où elle revint, après un bref séjour
chez son fils ou sa fille aînée, peu importe, et où elle jeta rageusement son
sac sur le divan, au summum d'une colère contenue pendant tout le trajet du
retour ! Fine silhouette vêtue de sombre, raidie par la fureur, chapeau
sur la tête, la main crispée sur sa canne.
Je n'entrerai pas dans la polémique, d'autant que tous les
acteurs de ces scènes ont aujourd'hui disparu. Mais permettez-moi un instant de
nostalgie à la lecture de la dot de ma mère. Outre une somme en espèces et un
trousseau, elle comprenait des meubles qui ont fait partie du décor de mon
enfance, même si certains sont difficilement identifiables : "un grand tapis", "un petit tapis", "un lustre", "trois couvertures en laine"…
Inventaire des meubles de la dot de Marie-Thérèse Archives personnelles |
Je repère néanmoins dans cet inventaire la "grande armoire béarnaise" qui a résisté
à plusieurs démontages et remontages, et dans laquelle je range aujourd'hui
vêtements et linge de maison. Je n'ai par contre aucun souvenir des "cinq chaises Henri II", mais
je soupçonne mon père de s'en être débarrassé à la première occasion.
Armoire béarnaise, détail Collection personnelle |
Ses goûts étaient quelque peu différents de ceux de ma
grand-mère. En atteste cet autre article dans la liste, "un tableau Roses, de Blanche Odin",
dont Julia faisait grand cas, mais qui n'avait pas l'heur de plaire à mon père.
Il resta néanmoins longtemps accroché à un mur du salon, avant de finir dans
une salle de ventes, sans doute.
La curiosité m'a poussée à jeter un coup d'œil sur la
biographie de Blanche Odin(2).
Cette aquarelliste, née à Troyes en 1865, passa la majeure partie de sa vie
dans le sud-ouest, du côté de Bagnères-de-Bigorre. Elle avait une prédilection
pour les fleurs et avait mis au point une technique particulière, avec des
papiers au grammage lourd, maintenus humides pour obtenir un fondu particulier
des couleurs. Elle semble jouir désormais d'une certaine notoriété.
Je me demande quelle est aujourd'hui la cote de ce tableau
que mon père jugeait trop mièvre ? Question d'argent, encore… mais simple
curiosité de ma part.
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