Ypérite, le mot figure sur la fiche matricule de Jean
Fourcade, une simple feuille qui résume sept longues années passées sous les
drapeaux, dont cinq années pleines en campagne contre l'Allemagne, durant la
Première Guerre mondiale.
J'ai déjà brièvement évoqué le parcours militaire des frères
de Julia dans le billet intitulé K comme
Kaiser Guillaume II. Permettez-moi de revenir aujourd'hui plus en
détail sur le cas de Jean.
Fiche matricule de Jean Fourcade Source AD Pyrénées-Atlantiques |
Sa fiche matricule rappelle qu'il est né le 19 octobre
1889 à Pau et qu'il est le fils de Théodore Fourcade et d'Eugénie Caperet,
domiciliés 20 rue des Arts. Elle comporte également une description
sommaire : cheveux et sourcils noirs, yeux gris foncé, taille 1,66 m.
Je passe sur le "front haut",
le "nez moyen" et le "menton rond" qui ne m'ont jamais
paru très parlants ; en cette matière, rien ne vaut la photo.
Mon grand-oncle sous
les drapeaux
Classé dans la première partie de la liste par le Conseil de
révision, Jean effectue deux ans de service militaire comme soldat de 2e classe
au 18e régiment d'infanterie en garnison à Pau. Incorporé le
5 octobre 1910, il est libéré le 26 septembre 1912 avec un certificat
de bonne conduite.
Retour à la vie civile, dans la chemiserie familiale, pour
deux ans à peine. La mobilisation générale est décrétée le 2 août 1914, le
voilà de nouveau sous l'uniforme. Le 6 août, le régiment quitte la gare de
Pau pour monter directement au front.
Mais ne comptez par sur la fiche matricule pour vous fournir
des détails sur le parcours de vos ancêtres militaires. Il faut se reporter aux
journaux des marches et opérations (JMO) pour avoir le récit des événements
auxquels chaque unité a participé. Hélas, ce précieux document n'existe plus
pour le 18e régiment d'infanterie. On trouvera néanmoins sur
Internet(1) les batailles dans lesquelles le régiment a été engagé : Charleroi, la
Marne, le Chemin des Dames, Verdun, Craonne… la liste est longue !
Jean Fourcade sous l'uniforme vers 1917 Archives personnelles |
La fiche matricule de Jean Fourcade comporte néanmoins trois
indications importantes : une blessure, une citation et une décoration.
Intoxiqué au gaz
ypérite
De quoi s'agit-il ? L'ypérite, autre nom du gaz
moutarde, figure dans la liste des armes chimiques. À base de chlore et de
soufre, elle a un effet vésicant et provoque de graves brûlures aux yeux, à la
peau et aux muqueuses. Sans parler des effets dévastateurs sur le moral des
troupes. Elle fut employée par les Allemands pour la première fois en 1915 dans
la région d'Ypres, en Belgique, ce qui lui valut sa dénomination d'ypérite.
Jean Fourcade est intoxiqué par ce gaz le 22 avril 1918
à Tricot (Oise) et évacué le même jour. La fiche matricule indique qu'il souffre
d'une kératite, c'est-à-dire d'une inflammation de la cornée à l'œil droit, et
d'une conjonctivite, c'est-à-dire d'une inflammation de la muqueuse qui tapisse
l'intérieur de la paupière, à l'œil gauche.
Les lésions devaient être sérieuses, car il ne sortira de
l'hôpital qu'un mois plus tard, le 29 mai 1918 ; et retournera "aux armées" dès le 9 juin.
Cité à l'ordre de la
brigade
Deuxième indication précieuse sur la fiche matricule, la mention
suivante :
"Cité à l'ordre
de la Brigade N°109 du 20.1.19. Chargé
d'assurer la liaison entre l'I.D.(2) et son régiment pendant les durs combats de Guron(3) du 16 au 20 Sept. 1918 a parfaitement accompli sa mission malgré des
bombardements sévères."
Cette citation lui vaudra une décoration.
Croix de guerre avec
étoile de bronze
C'est une décoration instaurée par la loi du 2 avril
1915 pour récompenser les combattants qui ont accompli une action remarquable.
Il s'agit d'une croix à quatre branches, avec deux épées
croisées. En son centre, à l'avers la tête de la République, coiffée du bonnet
phrygien et d'une couronne de laurier. Au revers 1914-1915, puis
successivement, car la guerre a duré plus longtemps que prévu, 1914-1916,
1914-1917, enfin 1914-1918.
Le ruban est vert avec des rayures rouges verticales et
comporte une étoile de bronze, d'argent ou de vermeil, ou une palme de bronze
ou d'argent suivant l'importance et le nombre de citations.
Croix de guerre 1914-1918 (sans étoile ni palme sur la photo) |
Compte tenu de sa citation à l'ordre de la brigade, Jean
Fourcade est donc décoré de la Croix de guerre avec étoile de bronze. Il ne
sera mis en congé illimité de démobilisation que le 2 août 1919 !
A-t-il stationné avec son régiment dans la région de Mulhouse, après l'armistice ?
C'est vraisemblable, mais ce n'est qu'une supposition.
J'ai eu récemment l'occasion d'interroger l'une de ses
petites-filles : elle m'a indiqué que son grand-père (mon grand-oncle)
parlait fort peu de tout cela. Elle savait qu'il avait donné sept ans de sa
jeunesse à l'armée, elle savait également qu'il avait été "gazé", mais elle ignorait tout de
cette citation et de cette décoration. Jean faisait partie de ces innombrables
héros discrets de la Première Guerre mondiale.
Il restait néanmoins mobilisable en cas de nouveau conflit.
Simplement, comme il s'était marié en 1920, sa classe de mobilisation (à ne pas
confondre avec la classe de recensement) reculait au fur et à mesure
qu'augmentait le nombre de ses enfants. C'est pourquoi l'année 1909 est rayée
et remplacée par 1903 en haut de sa fiche matricule.
Il ne fut définitivement dégagé de ses obligations militaires
que le 15 octobre 1938, moins d'un an avant le déclenchement de la Seconde
Guerre mondiale ! Il avait alors quarante-neuf ans. Il vécut encore de
nombreuses années, dans la bonne ville de Pau où sa sœur Julia venait lui
rendre visite de temps en temps.
Jean Fourcade et sa soeur Julia Archives personnelles |
(2) I.D. est l'abréviation d'infanterie divisionnaire, unité qui regroupe plusieurs
régiments.
(3) C'est du moins ce que je déchiffre sur le document, sans aucune certitude. Pinon
serait plus vraisemblable, compte tenu de la date de l'événement.
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