lundi 16 novembre 2015

Médecin dans la Grande Guerre

Du temps où j'en avais encore la possibilité, j'interrogeai un jour une cousine de ma mère, en lui montrant un visage sur une photo de mariage :
-       Et ce monsieur au quatrième rang ?
-       Le docteur Lacoste, me répondit-elle sans hésiter.
Je notai l'information et continuai à passer en revue les invités alignés sur le perron du Grand Hôtel, à Pau.

Le Docteur Lacoste

J'y reviens aujourd'hui, car il fait partie des personnages récurrents de la saga familiale. Un nom parmi ceux qui résonnaient à mes oreilles enfantines, lorsque ma grand-mère Julia et ma mère évoquaient leurs souvenirs empreints de nostalgie.

Le Dictionnaire biographique et album des Basses-Pyrénées, qui m'avait déjà aidée à plusieurs reprises(1), m'a permis d'en apprendre davantage à son sujet, grâce à cette courte notice :

LACOSTE (Justin), né à Castet le 24 février 1873.
Docteur à Pau.
Reçu docteur de la Faculté de médecine et de pharmacie de Paris le 24 février 1899. M. Lacoste prit pour sujet de sa thèse de doctorat : Evacuation totale de la plèvre dans les grands épanchements.
Ancien externe des hôpitaux de Paris.
Rue Nouvelle-Halle, 23, à Pau.

Un petit tour dans les registres de l'état civil et les fiches matricules des Pyrénées-Atlantiques, ensuite, afin d'exploiter et de compléter ces premières informations.

Fils d'agriculteurs, né dans un village du Haut-Béarn, Justin Lacoste est étudiant en médecine à Paris lors du conseil de révision de la classe 1893. Il bénéficie donc des dispositions de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement de l'armée ; à ce titre, il n'effectue qu'un an de service, au lieu des trois années normalement prévues. Il est alors soldat de 2e classe au 18e Régiment d'infanterie, en garnison à Pau.

Il accomplira ensuite des périodes d'exercice à intervalles réguliers, deviendra médecin auxiliaire de réserve en 1899, puis médecin aide major de réserve en 1900. Il a quarante-et-un ans lorsque le décret de mobilisation générale le rappelle à l'activité en août 1914. Le voilà parti en campagne contre l'Allemagne pour une période qui s'étendra du 3 août 1914 au 7 janvier 1919. Oui, il a survécu à l'horreur, contrairement aux innombrables Morts pour la France dont nous indexons en ce moment les fiches, mais j'imagine qu'il en resta néanmoins marqué à tout jamais.

De gauche à droite
Justin Lacoste, Henri Lacabanne et Maurice Maitreau

Un peu perdue dans la longue liste des services et mutations diverses, agrémentée d'abréviations et de sigles sibyllins qui figurent sur sa fiche matricule, j'ai décidé d'étudier de plus près l'organisation des services de santé durant la Première Guerre mondiale et voilà ce que j'ai appris.

Le service de santé des armées durant la Première Guerre mondiale

En 1914, lorsque éclate le conflit, l'organisation est la suivante : une médecine d'urgence sur le front, qui consiste à donner les premiers soins, puis à évacuer les blessés par voie ferroviaire sur des installations chirurgicales fixes installées à l'arrière. Dans des conditions sanitaires plus que précaires. "Emballer, étiqueter, expédier", c'est, semble-t-il l'expression consacrée pour la première phase médicale, ce qui en dit long sur les mentalités qui prévalaient alors.

Cette doctrine, développée à partir des conflits précédents où prédominaient les blessures par balles, eut des conséquences catastrophiques (gangrènes gazeuses, amputations extrêmement mutilantes et invalidantes…), dans la mesure où les plaies par éclats d'obus et de grenades étaient désormais prépondérantes. À l'ère industrielle, la guerre avait changé d'échelle et les soldats étaient réellement devenus de la "chair à canon" !

Une nouvelle chaîne de santé se mit donc en place à partir de 1915 :

  • Des postes de secours avancé, au plus près de la ligne de front, où les brancardiers amènent les blessés et où sont pratiqués les gestes de secours initiaux ;
  • Des ambulances intermédiaires, qui ne sont pas les véhicules de transport que nous connaissons aujourd'hui, mais des unités médico-chirurgicales mobiles au niveau du corps d'armée, numérotées en fonction des unités auxquelles elle se rattachent ;
  • Des hôpitaux d'évacuation, centres de soin et de régulation situés en dehors de la zone de combat, appelés HOE (pour hôpitaux origine d'étapes, même si cette appellation est parfois controversée aujourd'hui), avant le transfert vers les centres de convalescence et de rééducation de l'intérieur.

Il faut également citer les formations chirurgicales automobiles, appelées "autochir", qui fonctionnaient de manière autonome, mais pouvaient venir renforcer les formations hospitalières existantes.

L'ensemble reposait sur la notion de triage des blessés : il s'agissait de définir les priorités d'évacuation et de traitement, en fonction de l'urgence des soins à prodiguer, le tout étant matérialisé par des fiches de couleurs différentes selon les cas (évacuable, intransportable…).

Les flux furent considérables, de l'ordre de 9 millions d'entrées dans les hôpitaux, toutes maladies et blessures confondues, soit un chiffre supérieur à l'effectif total des mobilisés (plus de la moitié d'entre eux ont subi des hospitalisations successives).

Le décryptage de la fiche matricule

Mais revenons au Docteur Lacoste. Si je comprends bien les indications portées sur sa fiche matricule, il a dû dans un premier temps être affecté à l'arrière, mais il se retrouva rapidement sur le front, comme médecin de bataillon, puis comme médecin chef d'un groupe de brancardiers divisionnaire (GBD).

Au cours de sa longue campagne contre l'Allemagne, il reçut cinq citations, dont celle-ci datée du 11 octobre 1918 :

"Officier de complément de la plus belle énergie et de grande bravoure. Au front depuis le début de la campagne a demandé à y être maintenu. Dans la nuit du 25 au 26 septembre a donné un bel exemple du devoir en établissant sous un violent bombardement ennemi des postes de secours pour ypérités. A toujours assuré des services difficiles, payant de sa personne en toute occasion avec un absolu mépris du danger. A en particulier dans la nuit du 9 au 10 octobre organisé d'une façon parfaite les évacuations de nombreux ypérités."

Il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur par décret du 28 décembre 1918, mais son dossier est malheureusement introuvable dans la base Léonore.

Il retourna ensuite à la vie civile.


Sources

Le service de santé français pendant la guerre de 1914-1918, par Alain Larcan, dans La Revue du Praticien vol. 82, février 2012

Le service de santé aux armées pendant la Première Guerre mondiale, article paru dans La Cliothèque sur l'ouvrage écrit par Alain Larcan et Jean-Jacques Ferrandis, paru aux éditions LBM en 2008

La santé en guerre 1914-1918, Une politique pionnière en univers incertain, Introduction à l'ouvrage écrit par Vincent Viet et paru aux Presses de Sciences Po en 2015





(1) Voir L comme Lacabanne et W comme Who's who, publiés lors du challenge AZ de juin 2014.

1 commentaire:

  1. Bel article intéressant et bien documenté sur l'organisation des services de santé. Cela me donne des renseignements et l'envie d'écrire sur un grand-père médecin qui a participé à la grande Guerre.

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