Du temps où j'en avais encore la possibilité, j'interrogeai
un jour une cousine de ma mère, en lui montrant un visage sur une photo de
mariage :
-
Et ce monsieur au quatrième rang ?
-
Le docteur Lacoste, me répondit-elle sans hésiter.
Je notai l'information et continuai à passer en revue les
invités alignés sur le perron du Grand Hôtel, à Pau.
Le Docteur Lacoste
J'y reviens aujourd'hui, car il fait partie des personnages
récurrents de la saga familiale. Un nom parmi ceux qui résonnaient à mes
oreilles enfantines, lorsque ma grand-mère Julia et ma mère évoquaient leurs
souvenirs empreints de nostalgie.
Le Dictionnaire
biographique et album des Basses-Pyrénées, qui m'avait déjà aidée à
plusieurs reprises(1), m'a
permis d'en apprendre davantage à son sujet, grâce à cette courte notice :
LACOSTE (Justin), né à Castet le 24 février 1873.
Docteur à Pau.
Reçu docteur de la Faculté de médecine et de pharmacie de
Paris le 24 février 1899. M. Lacoste prit pour sujet de sa thèse de doctorat :
Evacuation totale de la plèvre dans les
grands épanchements.
Ancien externe des hôpitaux de Paris.
Rue Nouvelle-Halle, 23, à Pau.
Un petit tour dans les registres de l'état civil et les
fiches matricules des Pyrénées-Atlantiques, ensuite, afin d'exploiter et de
compléter ces premières informations.
Fils d'agriculteurs, né dans un village du Haut-Béarn,
Justin Lacoste est étudiant en médecine à Paris lors du conseil de révision de
la classe 1893. Il bénéficie donc des dispositions de l'article 23 de la
loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement de l'armée ; à ce titre, il
n'effectue qu'un an de service, au lieu des trois années normalement prévues.
Il est alors soldat de 2e classe au 18e Régiment
d'infanterie, en garnison à Pau.
Il accomplira ensuite des périodes d'exercice à intervalles
réguliers, deviendra médecin auxiliaire de réserve en 1899, puis médecin aide major
de réserve en 1900. Il a quarante-et-un ans lorsque le décret de mobilisation
générale le rappelle à l'activité en août 1914. Le voilà parti en campagne
contre l'Allemagne pour une période qui s'étendra du 3 août 1914 au
7 janvier 1919. Oui, il a survécu à l'horreur, contrairement aux
innombrables Morts pour la France dont nous indexons en ce moment les fiches, mais
j'imagine qu'il en resta néanmoins marqué à tout jamais.
De gauche à droite Justin Lacoste, Henri Lacabanne et Maurice Maitreau |
Un peu perdue dans la longue liste des services et mutations
diverses, agrémentée d'abréviations et de sigles sibyllins qui figurent sur sa
fiche matricule, j'ai décidé d'étudier de plus près l'organisation des services
de santé durant la Première Guerre mondiale et voilà ce que j'ai appris.
Le service de santé
des armées durant la Première Guerre mondiale
En 1914, lorsque éclate le conflit, l'organisation est la
suivante : une médecine d'urgence sur le front, qui consiste à donner les
premiers soins, puis à évacuer les blessés par voie ferroviaire sur des
installations chirurgicales fixes installées à l'arrière. Dans des conditions
sanitaires plus que précaires. "Emballer,
étiqueter, expédier", c'est, semble-t-il l'expression consacrée pour
la première phase médicale, ce qui en dit long sur les mentalités qui
prévalaient alors.
Cette doctrine, développée à partir des conflits précédents
où prédominaient les blessures par balles, eut des conséquences catastrophiques
(gangrènes gazeuses, amputations extrêmement mutilantes et invalidantes…), dans
la mesure où les plaies par éclats d'obus et de grenades étaient désormais prépondérantes.
À l'ère industrielle, la guerre avait changé d'échelle et les soldats étaient réellement
devenus de la "chair à canon" !
Une nouvelle chaîne de santé se mit donc en place à partir
de 1915 :
- Des postes de secours avancé, au plus près de la ligne de front, où les brancardiers amènent les blessés et où sont pratiqués les gestes de secours initiaux ;
- Des ambulances intermédiaires, qui ne sont pas les véhicules de transport que nous connaissons aujourd'hui, mais des unités médico-chirurgicales mobiles au niveau du corps d'armée, numérotées en fonction des unités auxquelles elle se rattachent ;
- Des hôpitaux d'évacuation, centres de soin et de régulation situés en dehors de la zone de combat, appelés HOE (pour hôpitaux origine d'étapes, même si cette appellation est parfois controversée aujourd'hui), avant le transfert vers les centres de convalescence et de rééducation de l'intérieur.
Il faut également citer les formations chirurgicales
automobiles, appelées "autochir", qui fonctionnaient de manière
autonome, mais pouvaient venir renforcer les formations hospitalières
existantes.
L'ensemble reposait sur la notion de triage des
blessés : il s'agissait de définir les priorités d'évacuation et de
traitement, en fonction de l'urgence des soins à prodiguer, le tout étant
matérialisé par des fiches de couleurs différentes selon les cas (évacuable,
intransportable…).
Les flux furent considérables, de l'ordre de 9 millions
d'entrées dans les hôpitaux, toutes maladies et blessures confondues, soit un
chiffre supérieur à l'effectif total des mobilisés (plus de la moitié d'entre
eux ont subi des hospitalisations successives).
Le décryptage de la
fiche matricule
Mais revenons au Docteur Lacoste. Si je comprends bien les
indications portées sur sa fiche matricule, il a dû dans un premier temps être
affecté à l'arrière, mais il se retrouva rapidement sur le front, comme médecin
de bataillon, puis comme médecin chef d'un groupe de brancardiers divisionnaire
(GBD).
Au cours de sa longue campagne contre l'Allemagne, il reçut
cinq citations, dont celle-ci datée du 11 octobre 1918 :
"Officier de
complément de la plus belle énergie et de grande bravoure. Au front depuis le
début de la campagne a demandé à y être maintenu. Dans la nuit du 25 au 26
septembre a donné un bel exemple du devoir en établissant sous un violent
bombardement ennemi des postes de secours pour ypérités. A toujours assuré des
services difficiles, payant de sa personne en toute occasion avec un absolu
mépris du danger. A en particulier dans la nuit du 9 au 10 octobre organisé
d'une façon parfaite les évacuations de nombreux ypérités."
Il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur par décret du
28 décembre 1918, mais son dossier est malheureusement introuvable dans la
base Léonore.
Il retourna ensuite à la vie civile.
Sources
Le service de
santé français pendant la guerre de 1914-1918, par Alain Larcan, dans La
Revue du Praticien vol. 82, février 2012
Le service de
santé aux armées pendant la Première Guerre mondiale, article paru dans La
Cliothèque sur l'ouvrage écrit par Alain Larcan et Jean-Jacques Ferrandis, paru
aux éditions LBM en 2008
La santé en
guerre 1914-1918, Une politique pionnière en univers incertain,
Introduction à l'ouvrage écrit par Vincent Viet et paru aux Presses de Sciences
Po en 2015
Bel article intéressant et bien documenté sur l'organisation des services de santé. Cela me donne des renseignements et l'envie d'écrire sur un grand-père médecin qui a participé à la grande Guerre.
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