L'histoire commence par un acte de décès. Celui de Marie
Joseph Valuche, veuve de François Raimbault, à Champtocé-sur-Loire en
1853 : "Le douze février, à dix
heures du matin… sont comparus Luda Laud, cultivateur au Hardas en cette
commune, âgé de quarante un ans, gendre de la décédée…"
AD Maine-et-Loire, Champtocé-sur-Loire 1850-1853 vue 138/174 |
Je bute sur le nom du déclarant et, comme je ne suis pas sûre d'avoir correctement déchiffré l'écriture de l'officier de l'état civil, je fais un petit tour sur Geneanet. Une première recherche sur le couple Raimbault-Valuche ne m'éclaire en rien. Manifestement, la fratrie n'est pas complète, aucun gendre n'a de nom approchant.
Ne nous décourageons pas et lançons une recherche sur
Champtocé, sans indiquer aucun nom. Bien sûr, j'obtiens plus de douze mille
résultats, mais en parcourant rapidement la liste… bingo ! à la
page 10, le patronyme Luda apparaît. Je suis dirigée vers la fiche d'un
certain Laud Luda, mari de Françoise Raimbault qu'il a épousée le
14 novembre 1842 à Bécon-les-Granits.
Il n'y a plus qu'à détricoter l'écheveau. L'acte de mariage
indique "Laud Luda, jardinier
demeurant à Montjean, né à l'hospice d'Angers le 3 octobre 1811 ainsi
qu'il est constaté par son acte de naissance inscrit sur les registres de la
commune et ville d'Angers…"
Voyons cela. Le prétendu acte de naissance est en réalité un
procès-verbal d'exposition. Le commissaire de police du 3e arrondissement,
le sieur Gaspard Pierre Berthault, se présente au bureau de l'état civil :
le 30 septembre précédent à 8 heures du soir, un enfant a été "exposé à l'hôpital général, maison de dépôt
des enfants de la patrie". Son âge estimé : environ un mois.
Suit une longue description de ses vêtements, dont certains
détails m'échappent. Je relève néanmoins une brassière de finette blanche, une
chemise garnie de mousseline noire, un mouchoir de coton à fond blanc et barres
violettes, un bonnet de finette blanche avec un tour en soie jaune, un béguin
garni de mousseline mouchetée… mais pas de marque, ni de billet sur lui.
"Avons inscrit le
dit enfant sous les prénom de Laud et nom de Luda". Voilà !
Le prénom de Laud renvoie à une paroisse du même nom dans la
ville d'Angers. "L'église, exposée
hors de l'enceinte à tous les pillages, était une des plus pauvres de la ville",
nous précise Célestin Port dans son Dictionnaire historique. Ma foi, cela
convient à un enfant abandonné. Mais le patronyme ? Les mêmes lettres que
le prénom, dans un ordre différent : amateur d'anagrammes, le
commissaire ?
Je continue mes recherches dans les archives d'Angers
disponibles en ligne. La collection départementale comporte les registres de
baptêmes des enfants abandonnés entre 1807 et 1840, plus de 11 000 durant
cette période. L'examen de la table alphabétique laisse apparaître une
prédilection pour des patronymes commençant par la même lettre que le prénom
(de façon à faciliter les recherches, si le besoin s'en fait sentir ?).
L'acte de baptême est succinct : "Le deux octobre 1811 a été baptisé Placide
nommé à la municipalité Laud Luda né d'hier inconnu." Suivent les noms
du parrain, de la marraine, sans doute des employés de l'hôpital, et le nom de
l'aumônier. L'enfant n'est manifestement pas né la veille, mais peu importe.
Cette imprécision le suivra toute sa vie, il faudra faire avec.
Un mot, au passage, sur l'exposition. C'est le terme employé
pour les enfants déposés dans un tour, ce cylindre qui pivote sur un axe de
façon à ce que l'ouverture soit tantôt orientée vers la rue, tantôt vers
l'hospice, et préserve ainsi l'anonymat de la personne déposante.
Officiellement institué par le décret du 19 janvier 1811, le tour existait
déjà sous l'Ancien Régime et fut finalement supprimé sous le Second Empire.
Tour d'abandon de l'hôpital de Provins Source Gallica |
Mais revenons à Laud Luda. À trente-et-un ans, il épouse
Françoise Raimbault, domestique âgée de trente-neuf ans. La profession de
l'épouse explique sans doute ce mariage tardif. J'ignore quand le couple
s'installe à Champtocé, où naît leur fils Pierre en 1845 et où décède Françoise
en 1869.
Qualifié de jardinier lors de son mariage, Laud Luda devient
cultivateur au Hardas, puis laboureur au Petit Verger, puis fermier à la
Tidoire avec son fils. Il y décède en octobre 1889, alors qu'il avait
soixante-dix-huit ans. Je n'ai pas de lien direct avec lui ; il avait
simplement épousé la nièce d'une de mes ancêtres à la septième génération, mais
son nom m'a suffisamment intriguée pour que je m'accorde ce détour dans les
registres, sur les chemins de Serendip…
Ce chemin de traverse nous révèle donc un fil de vie du prénommé Laud.
RépondreSupprimerVous n'avez pas de lien direct avec lui... ce qui m'amène à ce genre de réflexion qui m'a souvent taraudée "pourquoi dans les recherches généalogiques, nous arrivet-t-il tout à coup de suivre une piste, vouloir savoir, s'attacher à des personnes qui a priori devraient y être de passage." C'est émouvant.
RépondreSupprimerPassionnant, merci.
RépondreSupprimer@anonyme.
RépondreSupprimerTout à fait d'accord avec vous. A tort ou à raison, il m'arrive de m'attacher à des personnes ( que je n'ai jamais connues, depuis longtemps décédées) et dont on devine un destin tragique. Mais peut-être, j'espère, ont-ils connu des moments de bonheur. Peut-être n'étaient-ils pas attachants ?? On ne le saura jamais...
Je suis une descendante de Laud Luda à la 6 ème génération
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