lundi 30 octobre 2017

L'affaire de l'arbre de la liberté

Le 6 mars 1794, pardon, "le 16 ventôse l'an 2e de la République française une et indivisible", sur les neuf heures du soir, c'est l'effervescence dans le bourg d'Aucun : un malfaisant a abattu l'arbre de la liberté !

Les faits

Pierre Pujos, Mathieu Garcie et Jean Massot se rendent sur les lieux du méfait. L'arbre, planté à proximité de la maison commune, a été scié à trois pans au-dessus du sol (environ 65 centimètres) et s'est cassé en deux dans sa chute.

Le maire, l'officier municipal et l'agent national font le tour du bourg à la recherche du ou des coupables, sans grand succès (il doit faire nuit noire à cette heure tardive), et décident de mettre les morceaux de l'arbre à l'abri, avant de rédiger un procès-verbal. Ils ne veulent surtout pas être accusés à tort.

Une semaine plus tard, le 13 mars, le comité de surveillance d'Argelès (aujourd'hui Argelès-Gazost) pointe deux noms : François Bergant et Jean Labernèze sont en fuite, c'est bien la preuve qu'ils sont coupables ! Deux gendarmes sont dépêchés pour les arrêter, mais ils ont beau faire le tour des maisons et visiter les granges… ils font chou blanc.

L'agent national Jean Massot s'impatiente. Flairant la menace, André Cazajous, qui fut le premier maire élu d'Aucun en janvier 1790 et dont l'épouse est une certaine Jeanne Bergant, se présente à la maison commune le 26 mars à midi : il n'a pas vu François Bergant, "cadet de la maison", depuis le 3 mars dernier. Il ne lui a pas parlé depuis lors et il ignore où il se cache.

Il déclare en outre que "tous les citoyens de la commune d'Aucun sont instruits savamment qu'il n'a jamais été son supérieur" et "il demande que la présente déclaration soit couchée sur le registre en cas de besoin". En ces temps troublés, il importe de se méfier des dénonciations, elles pourraient rapidement avoir des conséquences plus que fâcheuses…

On fait bientôt donner la garde nationale. Le 29 mars, à huit heures du soir, instruits par la rumeur, une dizaine d'hommes se rendent de l'autre côté du gave d'Azun, au hameau de Terre Nère, à la recherche de Jean Labernèze. Ils perquisitionnent les maisons Labernèze, Lacabane, Rousse, Bouic, "fouillent dans tous les coins de leurs bâtiments", en vain.

Deux jours plus tard, ils se transportent dans la section de Labat, à la recherche de François Bergant. Cette fois, les perquisitions s'effectuent chez Peinougué, Carrieu, Lacontre, Artigalets. Sans plus de succès.

Mais bientôt, la municipalité a d'autres sujets de préoccupation, nomination des instituteurs, question religieuse, réquisitions diverses, et il n'est plus question de l'affaire dans le registre des actes communaux. Peut-être faudrait-il consulter les archives du comité de surveillance d'Argelès pour connaître le mot de la fin, c'est malheureusement un peu loin de mon camp de base.

Les protagonistes

J'ai néanmoins tenté d'en apprendre davantage sur les deux suspects. En l'absence de registres d'état civil numérisés pour la période comprise entre 1790 et fin 1802, j'ai consulté les sites de Geneanet et de Filae.

J'ai facilement identifié Jean Labernèze. Je savais déjà qu'il était charpentier (c'est peut-être lui qui a manié la scie ?). Je découvre qu'il a vingt-six ans au moment des faits et qu'il s'est marié l'année précédente. Le voilà donc en cavale.

J'ai plus de difficultés avec François Bergant qui ne semble pas avoir intéressé beaucoup de généalogistes jusqu'à présent. Peut-être s'agit-il d'un beau-frère d'André Cazajous, puisqu'il semble plus ou moins attaché à sa maison, mais je ne puis rien affirmer.

Rappel historique

Les arbres de la liberté, le plus souvent des chênes ou des peupliers, ont repris la coutume plus ancienne des arbres de mai, destinés à fêter l'arrivée du printemps.

Plantation d'un arbre de la liberté à Paris
Source Gallica.bnf.fr 

Le premier aurait été planté en mai 1790 par le curé de Saint-Gaudent, dans le département de la Vienne, qui lança ainsi une mode. En 1792, on en comptait plus de 60 000 dans tout le pays, ornés de rubans ou de cocardes tricolores et parfois coiffés d'un bonnet phrygien.


Symbole républicain qui fut souvent déraciné durant la Restauration, s'il n'avait pas dépéri auparavant… mais savez-vous qu'il subsiste toujours à l'avers des pièces françaises de un et de deux euros ?

2 commentaires:

  1. C'est joliment écrit, comme d'habitude, mais là, tu nous laisses sur notre faim... A moins que tu ne prépares la suite et le dénouement pour un prochain billet ?

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    1. Hélas non, je n'ai pas le fin mot de l'histoire. Il faudrait consulter des archives qui ne sont malheureusement pas en ligne et Tarbes est un peu loin de Vincennes…

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