Fermer les églises et chasser les prêtres, ou à tout le
moins leur refuser la moindre fonction publique, présentent quelques
inconvénients pour les municipalités : qui va désormais s'occuper de
l'instruction des enfants ?
La Convention s'est penchée sur la question. Le décret du
29 frimaire an II(1),
relatif à l'organisation de l'instruction publique, institue un enseignement
libre, laïc et gratuit. Mais devant l'immensité de la tâche, il revient aux
communes de prendre en charge l'organisation des affaires scolaires.
Nommer des
instituteurs
Dans le bourg d'Aucun, c'est un afflux soudain de
candidatures : ils sont une vingtaine à s'inscrire sur le registre des
actes communaux, dix-sept hommes et trois femmes, entre le 28 février et
le 2 avril 1794. À se demander si les postulants n'y voient pas un moyen de
faire preuve de patriotisme ou d'échapper à des réquisitions plus périlleuses.
À moins que l'appât du gain…
En l'état des textes, il n'est nul besoin d'apporter la
preuve de ses capacités à enseigner. Un simple certificat de civisme suffit.
Parmi les candidats, je compte mon ancêtre Alexis Fourcade
Ors et sa sœur, Paule Fourcade Laforgue, de quelques années sa cadette.
Il est intéressant de noter que les hommes déclarent vouloir
"enseigner à lire, écrire, les
principes de l'arithmétique, les principes de la grammaire française,
l'explication des droits de l'homme et la constitution française", à
quelques variantes près dans la formulation. Plus modestes, les femmes
souhaitent simplement "enseigner à
lire et les principes de l'écriture", ce qui en dit long sur la
confiance qui leur est accordée, aussi bien en matière de mathématiques que de droits civiques.
Le 2 avril 1794, deux instituteurs sont élus et un
troisième, présenté par la section de Labat, distante d'environ une lieue, est
accepté(2).
Deux institutrices (dont la sœur d'Alexis, Paule Fourcade) sont également
élues.
Recenser les enfants
à scolariser
Dès le 9 avril 1794, notre "ami" l'agent
national Jean Massot(3) requiert
le maire et les officiers municipaux de demander aux citoyens d'Aucun d'envoyer
leurs garçons et filles de 6 à 18 ans devant les instituteurs et
institutrices.
Sans grand effet, apparemment, car il réitère sa requête le
29 mai et menace même les récalcitrants de les dénoncer comme rebelles,
rien que cela !
Début juin, deux listes sont établies : la première
comprend 60 garçons, de 6 ans pour les plus jeunes jusqu'à
17 ans pour les plus âgés, si j'en crois les indications portées sur le
registre, à considérer néanmoins avec précaution ; la seconde comprend
63 filles, également de 6 à 17 ans.
AD 65 Registre des délibérations d'Aucun 45 E dépôt 32 vue 84/292 |
J'y trouve deux fils d'Alexis Fourcade, le jeune Jacques
(alors âgé de 10 ans et non pas de 9 comme indiqué sur le document) et le
jeune Bernard (âgé de 8 ans, plutôt que de 6). J'en conclus que l'aîné, Etienne,
qui avait vu le jour en décembre 1779, est vraisemblablement déjà décédé :
il n'apparaît pas sur cette fameuse liste. Gabriel, né vers 1790, n'y figure
pas davantage, en raison de son trop jeune âge. Quant à Jean Louis, mon ancêtre
direct, il est né en mai 1793 et ce
n'est encore qu'un nourrisson.
Mais envoyer les enfants à l'école au mois de juin, alors
que la saison d'été nécessite la participation de toutes les petites mains dans
les champs ou pour garder les bêtes ? Mauvais calcul ! D'ailleurs,
l'un des instituteurs ne tarde pas à jeter l'éponge :
"Je bas signé André Lacaze citoyen d'Aucun
déclare par la
présente démission que je couche sur le présent registre ne vouloir
faire aucune espèce de fonction en qualité d'instituteur conformément
à la nomination que m'en avoit faite les citoyens de la commune
que je remercie très fort les pères et mères qui m'avoit accordé leur
confiance pour l'enseignement de leur fils, que veu le petit nombre
qui m'étoit confié ne suffisoit pas pour m'occuper de manière que
je déclare n'être plus instituteur, Aucun le neuf messidor an 2me de la
République une & indivisible."
présente démission que je couche sur le présent registre ne vouloir
faire aucune espèce de fonction en qualité d'instituteur conformément
à la nomination que m'en avoit faite les citoyens de la commune
que je remercie très fort les pères et mères qui m'avoit accordé leur
confiance pour l'enseignement de leur fils, que veu le petit nombre
qui m'étoit confié ne suffisoit pas pour m'occuper de manière que
je déclare n'être plus instituteur, Aucun le neuf messidor an 2me de la
République une & indivisible."
Oserai-je dire que son expression n'était pas fluide et qu'il
avait aussi quelques soucis avec l'orthographe ? Mais, à y regarder de
près, c'est peut-être le greffier qui est à blâmer.
De la gestion des affaires scolaires, il ne sera plus
question dans le registre des actes communaux avant février 1804.
(1) Décret du 19 décembre 1793, également appelé décret Bouquier, il vient
compléter un décret du 30 octobre 1793 lequel prévoit une école dans
toutes les localités de plus de 400 habitants et l'admission des enfants
en classe à partir de 6 ans. Sur ce sujet, voir P. Chevallier, B.
Grosperrin et J. Maillet, L'Enseignement
français de la Révolution à no jours, Editions Mouton, 1968
(2) Deux d'entre eux, empêchés, seront remplacés dès le 18 avril suivant.
(3) Voir les billets publiés le 25 septembre et le 2 octobre derniers.
C'est très interressant. Voilà une nouvelle piste à explorer, ... pour les jours d'hiver.
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup de chance : les registres des actes communaux ont été mis en ligne, ce qui n'est pas le cas dans tous les départements, je pense, et ils couvrent largement la période de la Révolution.
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