L'un des acquéreurs de la métairie des Rochettes, François
Maitreau, est un des mes ancêtres à la sixième génération.
Une courte biographie
Fils de Joseph Maitreau et d'Anne Coulbault, il avait été
porté sur les fonts baptismaux de l'église de Concourson le 19 février
1746. Son parrain, Urbain Réveillé, était un de ses oncles du côté paternel et
sa marraine, Claudine Guittière, était sa grand-mère maternelle. Jusque là,
rien que de très classique.
François épouse à vingt-et-un ans, le mardi 14 juillet
1767 (non, ce n'était pas encore un jour férié), la jeune Marie Bernier, qui aura
seize ans la semaine suivante. Dix enfants vont naître de cette union, de
juillet 1769 à juin 1790, quatre garçons et six filles. Trois d'entre
eux meurent en bas âge, les sept autres atteignent l'âge adulte et se marient à
leur tour, certains plusieurs fois. Tous ceux-ci vivront le difficile passage
de l'Ancien Régime au XIXe siècle…
Marie Bernier, née sous le règne de Louis XV, décède en
août 1826, sous celui de Charles X, à l'âge de soixante-quinze ans,
après avoir connu le règne de Louis XVI, la Révolution, le Premier Empire et la
Restauration. Mais qu'en est-il de son époux François Maitreau ?
La disparition de
François Maitreau
Il est présent au mariage de sa fille Anne en
juillet 1793, à Saint-Pierre-des-Verchers. Mais quelques années plus tard,
lors des noces de sa fille Jeanne en février 1797 dans la même commune, son
épouse signe "Marie Bernier veuve
Maitreau".
C'est dans l'acte de mariage de son fils André, en
juin 1806 à Concourson, que je vais dénicher une information plus précise.
J'y lis la mention suivante : "fils
majeur de défunt François Maitreau décédé le 21 nivôse an II en la
commune de Coron". Il serait donc mort le 10 janvier 1794.
Las, les tables décennales de Coron, comme celles de la
plupart des communes du Maine-et-Loire, ne commencent qu'en l'an XI,
c'est-à-dire en 1802 ! Les registres paroissiaux de Coron s'arrêtent en
1791. Les registres d'état civil prennent le relais ; mais s'ils commencent
bien en 1792, ils comportent néanmoins des lacunes importantes : aucun
acte entre décembre 1792 et mars 1797, soit plus de quatre années manquantes !
Faut-il rappeler que la région a connu pendant cette période
les affrontements sanglants entre républicains et royalistes, avec leur cortège
de saccages, d'incendies et de destructions de toutes sortes ? Sans parler
du passage des colonnes infernales du général Turreau…
L'acte de notoriété
J'en avais fait mon deuil, si je puis dire, lorsque,
feuilletant le registre de Coron pour quelque obscure raison qui m'échappe
aujourd'hui (je ne tenais pas de journal de recherches à l'époque), je tombai
sur une double page.
AD Maine-et-Loire Coron NMD 1792-AN X vue 49/174 |
Le texte commence ainsi :
"Aujourd'huy le vingt floréal de l'an cinq
de la République une et indivisible à
dix heures du matin,
pardevant moy Jean Baptiste Duval
agent municipal de la commune de Coron
élu le premier germinal dernier pour
recevoir les actes destinés à constater les
naissances mariages et décès des citoiens ;
sont comparus les citoiens André Maitreau
et Anne Maitreau femme Renard…"
de la République une et indivisible à
dix heures du matin,
pardevant moy Jean Baptiste Duval
agent municipal de la commune de Coron
élu le premier germinal dernier pour
recevoir les actes destinés à constater les
naissances mariages et décès des citoiens ;
sont comparus les citoiens André Maitreau
et Anne Maitreau femme Renard…"
Nous y voilà ! Nous sommes le 9 mai 1797. Anne et
son frère André sont accompagnés de trois témoins, habitants de Coron :
Charles Maret, maçon de soixante-deux ans, son fils Charles, vingt-et-un ans,
et Pierre Serisier, tisserand, le seul des trois capable de signer. La suite du
texte explique leur présence (je respecte l'orthographe du scripteur) :
"… le vingt un nivose de l'an deux, sur
les deux heures de l'après midy ils ont été
instruits par la clameur publique qu'il gissait
un cadavre sur la routte de Coron à Vezins
près le petit bois de la Roche, alors s'y
étant transportés, ils ont reconnus que c'était
le corps du dit citoien François Maitreau
père des dits André Maitreau et Anne Maitreau
femme Renard…"
les deux heures de l'après midy ils ont été
instruits par la clameur publique qu'il gissait
un cadavre sur la routte de Coron à Vezins
près le petit bois de la Roche, alors s'y
étant transportés, ils ont reconnus que c'était
le corps du dit citoien François Maitreau
père des dits André Maitreau et Anne Maitreau
femme Renard…"
Quelques lignes plus loin :
"et ont reconnus qu'il avait été atteint
d'une balle dans l'œil gauche qui
luy a sorti par l'oreille droitte
qu'il a receu par les insurgés de la Vendée."
d'une balle dans l'œil gauche qui
luy a sorti par l'oreille droitte
qu'il a receu par les insurgés de la Vendée."
François Maitreau avait quarante-sept ans, lorsque son
existence fut ainsi brutalement interrompue.
Dans un premier temps, j'avais cru comprendre qu'Anne
Maitreau et son jeune frère André, à l'époque âgé de huit ans, s'étaient rendus
sur les lieux pour y reconnaître le corps de leur père. Mais une lecture plus
attentive de leurs fiches respectives dans ma base de données me fait changer
d'avis.
Le matin de ce funeste 10 janvier 1794 (le vingt-et-un
nivôse an II si vous préférez), Anne était en train d'accoucher à
l'Auvernière, commune de Concourson, à plus de vingt kilomètres des lieux du
drame…
Et maintenant ?
Bon, j'ai trouvé l'acte de notoriété relatant le décès de
mon ancêtre. Mais plusieurs questions demeurent, pour lesquelles je n'ai pas de
réponse à ce jour :
- Que faisait François Maitreau sur la route de Coron à Vezins le 10 janvier 1794, en pleine guerre civile ?
- Qui l'a formellement identifié ? les Maret père et fils et le citoyen Pierre Serisier ? mais alors, comment le connaissaient-ils ?
- Quand et comment Marie Bernier a-t-elle été informée du décès de son époux ?
- S'agit-il d'une balle perdue, d'un acte destiné à interdire la circulation sur cette route ce jour-là ou d'une volonté délibérée de tuer mon ancêtre François Maitreau ?
- L'affaire est-elle liée à ses opinions politiques, à l'acquisition d'un bien national (la métairie des Rochettes), ou à toute autre cause qui m'échappe ?
- Pourquoi Anne et son frère éprouvent-ils soudain le besoin, en mai 1797, plus de trois ans après les faits, de faire entériner le décès de leur père ? serait-ce lié à une question de succession et d'héritage ?
Une vie qui semble couler tranquillement, puis ce récit devient un suspense avec davantage de questions à la fin.
RépondreSupprimerJ'adore la façon dont tu conduis cette biographie.
J'avais découvert cet acte de notoriété il y a déjà un certain temps, mais je ne savais trop comment m'y prendre pour raconter cette histoire… et puis j'ai récupéré le document sur la métairie des Rochettes ces dernières semaines et cela m'a donné des idées !
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