J'ai brièvement évoqué le sujet la semaine dernière, j'y
reviens plus en détail aujourd'hui.
Quelques mots, tout d'abord, sur la vente des biens
nationaux. Il est d'usage de distinguer :
- Les biens du clergé[1], dits de première origine, vendus en exécution des décrets de mai et juillet 1790,
- Les biens des émigrés, dits de deuxième origine, visés quant à eux par les décrets de septembre 1792 et juin 1793.
Plusieurs décrets définirent ensuite les règles à appliquer
pour l'aliénation de ces biens nationaux :
- Estimation de leur valeur, à partir du revenu qu'ils fournissaient ou par expertise,
- Faculté de diviser les lots mis en vente,
- Vente aux enchères publiques,
- Délais de paiement accordés aux acquéreurs.
Le document que j'ai consulté aux Archives départementales
du Maine-et-Loire permet d'en apprendre davantage sur la façon dont se sont
déroulées les opérations pour la métairie des Rochettes.
La description du bien
mis en vente
La métairie des Rochettes est située sur la commune de
Concourson.
Selon le procès-verbal d'adjudication, elle est "composée de logement pour le fermier,
grange, étables, cours jardins, neuf cent cinquante-quatre boisselées de terre
labourable et pâtis, vingt-trois journaux de prés, cinq quartiers de bois
taillis, vingt-six boisselées de vignes".
Notons au passage l'ancien système de mesure des superficies,
fondé sur le travail du paysan, avant l'entrée en vigueur du système métrique[2].
La boisselée[3]
correspond à la surface de terre pouvant être ensemencée avec un boisseau de
grains ; le journal est la surface de champ labourée ou la surface de pré
fauchée par un homme en une journée. Ce qui peut varier d'une région à l'autre,
en fonction de la nature du terrain… Mais qui pourra me dire à quoi correspond
un quartier de bois ?
Un peu d'histoire à présent. Selon le Dictionnaire de
Célestin Port, le domaine des Rochettes avait été acquis par Louis XI en
1469, afin de doter le chapitre royal de l'église Notre-Dame, sur l'île de
Béhuard, sur la Loire en aval d'Angers. Le bien revint ensuite au curé de Denée, paroisse voisine de Béhuard,
et il en constitua le temporel[4]
jusqu'à la Révolution.
La procédure
d'adjudication
Nous sommes maintenant le 11 février 1791 à Vihiers.
L'adjudication a lieu au chef-lieu du district, en présence
des membres du Directoire du district et à la diligence du procureur général
syndic du département, François Armand Vollaige. Deux commissaires, Honoré
Borit et François Cognée, nommés par la municipalité de Concourson, sont
présents.
La publicité de la mise aux enchères a été assurée par des annonces
faites au prône des messes paroissiales du district et par des affiches "apposées dans tous les lieux ordinaires et
accoutumés".
L'estimation a été faite sur la base du bail, car le bien
est affermé à un certain Jean Nicolas et à son épouse, suivant acte authentique
passé devant notaire le 8 avril 1785.
Il s'agit d'une vente à la bougie ou à la chandelle, comme
cela se pratique encore de nos jours dans certaines circonstances. Lors des
enchères, lorsque plus personne ne se manifeste, une mèche est allumée, de
façon à accorder un délai suffisant à un surenchérisseur éventuel, parfois une
seconde mèche, puis une troisième, selon la procédure définie au départ. À
l'extinction du dernier feu, le bien est adjugé au dernier enchérisseur.
Les enchères allèrent sans doute bon train ce jour-là, car
c'est au seizième feu que la métairie des Rochettes revint finalement aux sieurs
François Maitreau et René Baumont, "solidairement
et par moitié".
Le prix et les
modalités de paiement
Sur la base du bail, le bien est évalué à la somme de
20 362 livres et 10 sols par Charles Renard. Les enchères ont
commencé à 24 000 livres, proposées par un certain François Grignon
Getterie.
La propriété des Rochettes est finalement vendue pour la
somme de 48 000 livres. Conformément aux décrets, les acquéreurs ont
quinze jours pour régler 12% du prix, soit 5 760 livres. Le solde est
payable en douze annuités de 4 664 livres, moyennant un intérêt
annuel de 5%.
J'ai vérifié, en faisant appel à mes vieux souvenirs de
mathématiques financières. Je trouve pour ma part des annuités constantes plus
élevées d'une centaine de livres, mais ne pinaillons pas.
Tant que l'intégralité de la somme n'aura pas été versée,
les acquéreurs "jouiront de la dite
métairie en bon père de famille, sans y commettre de dégradations et
malversations, au contraire l'entretiendront en bon état de réparation, leurs jouissance
et exploitation devant être continuellement surveillées".
Et voilà comment la métairie des Rochettes changea de
propriétaire, sinon d'exploitant, dans les premières années de la Révolution.
Il me reste maintenant à passer en revue les différents protagonistes de
l'affaire.
[1]
Difficile d'estimer la part des propriétés du clergé dans les terres du
royaume, les chiffres variant de façon significative d'un ouvrage à l'autre
(jusqu'à 20% du territoire pour certains auteurs).
[2]
Le mètre, dix millionième partie du quart du méridien terrestre, sera adopté
par la Convention le 1er août 1793.
[3]
Selon Odile Méthais-Thoreau, in Le Puy
Notre-Dame, la boisselée de Saumur est équivalente à 4 ares et
40 centiares (440 mètres carrés pour les citadins comme moi).
C'est passionnant de découvrir un exemple d'une adjudication d'un bien national.
RépondreSupprimerC'est l'époque et le sujet qui m'intéressent actuellement. Merci pour cette documentation précise et, comme d'habitude, tu rends l'événement passionnant ce qui n'était pas facile.
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