lundi 22 septembre 2014

Travaux à La Pouëze (1)

Je poursuis la lecture des registres paroissiaux, combinée avec celle du Dictionnaire historique du Maine-et-Loire, de Célestin Port, et je m'arrête aujourd'hui à la Pouëze, au nord-ouest d'Angers. Une bourgade de sept cents âmes au début du XVIIIe siècle, avec à l'horizon d'un côté la forêt de Longuenée et de l'autre des landes.

La Pouëze sur les cartes de Cassini
Source La France à la loupe

Certains de mes ancêtres y ont vu le jour, s'y sont mariés et y furent enterrés, du temps où Louis XIV régnait sur le royaume de France. Là, ou bien dans les paroisses voisines  de Vern-d'Anjou, du Louroux-Béconnais, de Bécon-les-Granits, ou de Saint-Clément de la Place qui s'appelait alors Saint-Jean des Marais. Des ancêtres du côté de ma grand-mère paternelle, qui n'avaient pas encore migré vers la ville, mais dont je sais peu de choses, sinon qu'ils étaient métayers, closiers, journaliers ou couvreurs d'ardoise…

Pour tenter d'en apprendre davantage sur leur environnement, rien de tel que les registres paroissiaux, pour peu que le curé soit un tantinet bavard. C'est le cas de Louis Maugars.

Ce dernier est intéressant à plus d'un titre. Il succède au sieur Joseph Buffebran du Coudray, qui n'avait fait qu'un bref passage dans la paroisse. Il signe son premier acte dans les registres le 22 mai 1733 et son dernier acte le 1er mars 1771, trente-huit ans plus tard. Une longue présence donc, qu'il met à profit pour embellir l'église, mais aussi la cure et ses dépendances, pour établir un catalogue des baptêmes, mariages et sépultures inscrits dans les registres depuis 1592, pour dresser la liste des curés et vicaires qui l'ont précédé ou accompagné dans son ministère et pour noter la nature et le coût des travaux effectués.

Une mine d'informations, donc !

Commençons par l'église, dédiée à Saint-Victor. Jacques Ragot, l'un des prédécesseurs de Louis Maugars, avait entrepris la construction de la chaire et ce que le curé appelle la "boisure" du chœur de l'église, ainsi que l'installation de bancs pour le catéchisme dans la nef.

En 1734, Maugars fait blanchir les murs de la nef et du chœur à ses frais, puis poursuit les travaux d'aménagement et d'embellissement tout au long des années suivantes : achat de fonts baptismaux en marbre, construction d'une sacristie, rehaussement du sol et carrelage de la nef, carrelage du sanctuaire et du chœur, réfection du confessionnal, enduits sur le pignon et les murs extérieurs, déplacement de la table de communion pour dégager la porte de la sacristie, pose d'une horloge, travaux sur le clocher… de quoi donner le tournis aux paroissiens !

Le curé procède également à divers achats : un rituel en deux volumes, reliés en cuir, des vases et des "bouquets d'hiver" (composés de fleurs de toutes couleurs en soie et papier de soie), un psautier, une croix de cuivre pour les processions, un dais de satin, brodé de soie et d'argent, pour la Fête-Dieu, une chape, des chasubles brodées, des rideaux d'indienne pour les vitraux du grand autel et pour le tabernacle, un miroir pour la sacristie, que sais-je encore.

Il n'hésite d'ailleurs pas à donner de sa personne et semble avoir lui-même fabriqué quatre reliquaires en bois doré, si j'en crois le paragraphe suivant, rédigé à la fin du registre de l'année 1758 :

"En cette année ont été placés aux pieds des quatre colonnes
du grand autel quatre reliquaires de bois doré, où l'on a mis
les reliques qui étoient dans des soleils anciens de bois argenté,
et qui ont coûté chaque au moins quatre livres pour l'or, le bois,
et les autres matières, sans l'ouvrage de menuiserie, sculpture,
et dorure, fait par monsieur le curé, et qui auroient coûté au
moins autant, si on l'avoit fait faire par des ouvriers,
et le tout a été donné par mr. le curé à l'église…
"

Je remarque que Louis Maugars, car c'est son écriture, parle de lui-même à la troisième personne, cela ne vous rappelle rien ? Cet homme d'église avait également des prédispositions pour la gestion, car il ne nous épargne pas le coût des travaux, en livres, en sols ou en écus, indiquant si les dépenses ont été assumées par lui-même ou par la fabrique ou si elles ont été financées par une quête. Il aime également la précision :

"En cette année ont été acheté(s) les fonts baptismaux de marbre qui
ont coûté soixante trois livres tous posés, sans la nourriture des ouvriers
."

C'est moi qui souligne.

Cette lecture nous fait prendre conscience de la place centrale occupée par la religion sous l'Ancien Régime. C'est également l'occasion d'enrichir son vocabulaire. Je vous propose aujourd'hui les trois mots suivants : vergettes, orfroi et rechaussumer.

Les vergettes sont de petites baguettes ou bien des tiges métalliques pour renforcer la solidité d'un vitrail. Ici, je pense qu'il s'agit des tringles pour les rideaux :
"En cette année 1757 ont été acheté(s) des rideaux d'indienne
pour le grand autel et une couverture de tabernacle
de même étoffe aux dépens de la fabrique qui ont coûté
avec les vergettes, … et cordons la somme de cinquante
livres douze sols
."

L'orfroi est une large bande richement brodée d'or ou d'argent, destinée à l'ornement des chapes, chasubles et dalmatiques, nous dit le Larousse en ligne :
"En cette année a été achetée la chape à fleurs de toutes couleurs dont
l'orfroy à fleurs d'argent, galons et frange d'argent fin et a coûté
cent quarante livres
." Rien que ça !

Chape romaine
Source Wikimedia Commons

Rechaussumer, terme apparemment usité seulement dans le Maine, c'est enduire à nouveau avec de la chaux :
"En cette année a été rechaussumée en dehors toute la nef
de l'église…
"
Les hommes de l'art sont des chaussumiers, terme qui avec le temps est devenu un patronyme dans les pays de Loire.

Un seul regret, finalement : l'église actuelle, comme de nombreuses autres dans cette région, a été édifiée au XIXe siècle sur l'emplacement de l'ancien édifice, tombé en ruine. Peu d'espoir, donc, d'y retrouver la trace des travaux minutieusement décrits par messire Louis Maugars.

La semaine prochaine, j'évoquerai le presbytère (qui abrite aujourd'hui la mairie !) et ses dépendances, qui furent également l'objet des soins de leurs occupants successifs.


3 commentaires:

  1. Quand les curés sont bavards, en effet, on apprend une foule de choses intéressantes sur la vie et la piété des gens de cette époque. Les registres des BMS peuvent être passionnants - pour qui sait les lire attentivement. Merci Dominique de nous les faire découvrir.

    RépondreSupprimer
  2. Quelle chance de trouver des registres où les curés sont bavards.
    Ce n'est pas le cas dans les communes que j'étudie !
    Je suis frustrée :-(
    Très bel article !

    RépondreSupprimer
  3. Passionnante illustration du gros village où vos ancêtres demeuraient, à travers ces travaux.
    En Savoie dans un des villages où je fais des recherches d'ascendants, via les registres du Tabellion j'ai repéré (en zapant sur le sommaire d'une année) des travaux de l'église : des silhouettes paraissent s'animer lorsqu'on a croisé certains noms...
    Dans l'attente de la suite
    Nésida

    RépondreSupprimer

Votre commentaire sera publié après approbation.