Je poursuis la lecture des registres paroissiaux, combinée
avec celle du Dictionnaire historique du Maine-et-Loire, de Célestin Port, et
je m'arrête aujourd'hui à la Pouëze, au nord-ouest d'Angers. Une bourgade de
sept cents âmes au début du XVIIIe siècle, avec à l'horizon d'un
côté la forêt de Longuenée et de l'autre des landes.
La Pouëze sur les cartes de Cassini Source La France à la loupe |
Certains de mes ancêtres y ont vu le jour, s'y sont mariés et
y furent enterrés, du temps où Louis XIV régnait sur le royaume de France.
Là, ou bien dans les paroisses voisines
de Vern-d'Anjou, du Louroux-Béconnais, de Bécon-les-Granits, ou de
Saint-Clément de la Place qui s'appelait alors Saint-Jean des Marais. Des
ancêtres du côté de ma grand-mère paternelle, qui n'avaient pas encore migré
vers la ville, mais dont je sais peu de choses, sinon qu'ils étaient métayers,
closiers, journaliers ou couvreurs d'ardoise…
Pour tenter d'en apprendre davantage sur leur environnement,
rien de tel que les registres paroissiaux, pour peu que le curé soit un
tantinet bavard. C'est le cas de Louis Maugars.
Ce dernier est intéressant à plus d'un titre. Il succède au
sieur Joseph Buffebran du Coudray, qui n'avait fait qu'un bref passage dans la
paroisse. Il signe son premier acte dans les registres le 22 mai 1733 et
son dernier acte le 1er mars 1771, trente-huit ans plus tard.
Une longue présence donc, qu'il met à profit pour embellir l'église, mais aussi
la cure et ses dépendances, pour établir un catalogue des baptêmes, mariages et
sépultures inscrits dans les registres depuis 1592, pour dresser la liste des
curés et vicaires qui l'ont précédé ou accompagné dans son ministère et pour
noter la nature et le coût des travaux effectués.
Une mine d'informations, donc !
Commençons par l'église, dédiée à Saint-Victor. Jacques
Ragot, l'un des prédécesseurs de Louis Maugars, avait entrepris la construction
de la chaire et ce que le curé appelle la "boisure" du chœur de l'église, ainsi que l'installation de
bancs pour le catéchisme dans la nef.
En 1734, Maugars fait blanchir les murs de la nef et du
chœur à ses frais, puis poursuit les travaux d'aménagement et d'embellissement tout
au long des années suivantes : achat de fonts baptismaux en marbre,
construction d'une sacristie, rehaussement du sol et carrelage de la nef,
carrelage du sanctuaire et du chœur, réfection du confessionnal, enduits sur le
pignon et les murs extérieurs, déplacement de la table de communion pour
dégager la porte de la sacristie, pose d'une horloge, travaux sur le clocher…
de quoi donner le tournis aux paroissiens !
Le curé procède également à divers achats : un rituel
en deux volumes, reliés en cuir, des vases et des "bouquets d'hiver" (composés de fleurs de toutes couleurs en
soie et papier de soie), un psautier, une croix de cuivre pour les processions,
un dais de satin, brodé de soie et d'argent, pour la Fête-Dieu, une chape, des
chasubles brodées, des rideaux d'indienne pour les vitraux du grand autel et
pour le tabernacle, un miroir pour la sacristie, que sais-je encore.
Il n'hésite d'ailleurs pas à donner de sa personne et semble
avoir lui-même fabriqué quatre reliquaires en bois doré, si j'en crois le
paragraphe suivant, rédigé à la fin du registre de l'année 1758 :
"En cette année ont été placés aux pieds des quatre
colonnes
du grand autel quatre reliquaires de bois doré, où l'on a mis
les reliques qui étoient dans des soleils anciens de bois argenté,
et qui ont coûté chaque au moins quatre livres pour l'or, le bois,
et les autres matières, sans l'ouvrage de menuiserie, sculpture,
et dorure, fait par monsieur le curé, et qui auroient coûté au
moins autant, si on l'avoit fait faire par des ouvriers,
et le tout a été donné par mr. le curé à l'église…"
du grand autel quatre reliquaires de bois doré, où l'on a mis
les reliques qui étoient dans des soleils anciens de bois argenté,
et qui ont coûté chaque au moins quatre livres pour l'or, le bois,
et les autres matières, sans l'ouvrage de menuiserie, sculpture,
et dorure, fait par monsieur le curé, et qui auroient coûté au
moins autant, si on l'avoit fait faire par des ouvriers,
et le tout a été donné par mr. le curé à l'église…"
Je remarque que Louis Maugars, car c'est son écriture, parle
de lui-même à la troisième personne, cela ne vous rappelle rien ? Cet
homme d'église avait également des prédispositions pour la gestion, car il ne
nous épargne pas le coût des travaux, en livres, en sols ou en écus, indiquant
si les dépenses ont été assumées par lui-même ou par la fabrique ou si elles
ont été financées par une quête. Il aime également la précision :
"En cette année ont été acheté(s) les fonts
baptismaux de marbre qui
ont coûté soixante trois livres tous posés, sans la nourriture des ouvriers."
ont coûté soixante trois livres tous posés, sans la nourriture des ouvriers."
C'est moi qui souligne.
Cette lecture nous fait prendre conscience de la place
centrale occupée par la religion sous l'Ancien Régime. C'est également
l'occasion d'enrichir son vocabulaire. Je vous propose aujourd'hui les trois
mots suivants : vergettes, orfroi et rechaussumer.
Les vergettes sont de
petites baguettes ou bien des tiges métalliques pour renforcer la solidité d'un
vitrail. Ici, je pense qu'il s'agit des tringles pour les rideaux :
"En cette année 1757 ont été acheté(s) des
rideaux d'indienne
pour le grand autel et une couverture de tabernacle
de même étoffe aux dépens de la fabrique qui ont coûté
avec les vergettes, … et cordons la somme de cinquante
livres douze sols."
pour le grand autel et une couverture de tabernacle
de même étoffe aux dépens de la fabrique qui ont coûté
avec les vergettes, … et cordons la somme de cinquante
livres douze sols."
L'orfroi
est une large bande richement brodée d'or ou d'argent, destinée à l'ornement
des chapes, chasubles et dalmatiques, nous dit le Larousse en ligne :
"En cette année a été achetée la chape à fleurs de toutes couleurs dont
l'orfroy à fleurs d'argent, galons et frange d'argent fin et a coûté
cent quarante livres." Rien que ça !
l'orfroy à fleurs d'argent, galons et frange d'argent fin et a coûté
cent quarante livres." Rien que ça !
Chape romaine Source Wikimedia Commons |
Rechaussumer, terme
apparemment usité seulement dans le Maine, c'est enduire à nouveau avec de la
chaux :
"En cette année a été rechaussumée en dehors
toute la nef
de l'église…"
de l'église…"
Les hommes de l'art sont des
chaussumiers, terme qui avec le temps est devenu un patronyme dans les pays de
Loire.
Un seul regret, finalement :
l'église actuelle, comme de nombreuses autres dans cette région, a été édifiée
au XIXe siècle sur l'emplacement de l'ancien édifice, tombé en ruine.
Peu d'espoir, donc, d'y retrouver la trace des travaux minutieusement décrits
par messire Louis Maugars.
La semaine prochaine, j'évoquerai le presbytère (qui abrite aujourd'hui la mairie !) et ses
dépendances, qui furent également l'objet des soins de leurs occupants successifs.
Quand les curés sont bavards, en effet, on apprend une foule de choses intéressantes sur la vie et la piété des gens de cette époque. Les registres des BMS peuvent être passionnants - pour qui sait les lire attentivement. Merci Dominique de nous les faire découvrir.
RépondreSupprimerQuelle chance de trouver des registres où les curés sont bavards.
RépondreSupprimerCe n'est pas le cas dans les communes que j'étudie !
Je suis frustrée :-(
Très bel article !
Passionnante illustration du gros village où vos ancêtres demeuraient, à travers ces travaux.
RépondreSupprimerEn Savoie dans un des villages où je fais des recherches d'ascendants, via les registres du Tabellion j'ai repéré (en zapant sur le sommaire d'une année) des travaux de l'église : des silhouettes paraissent s'animer lorsqu'on a croisé certains noms...
Dans l'attente de la suite
Nésida