Cette expression, appliquée aux dernières années du règne de
Louis XIV m'a suffisamment interpellée pour que j'éprouve le besoin d'en
apprendre davantage.
C'est le titre d'un livre de Marcel Lachiver(1),
publié en 1991 par Fayard. Parution épuisée, m'apprend le libraire, mais il
m'indique aussitôt qu'il peut commander la réimpression d'un exemplaire sans
supplément de prix. Moins d'une semaine après me voici donc avec le volume dans
les mains. Un pavé de près de six cents pages, à lire le crayon à la main.
Un véritable ouvrage d'historien, avec tableaux, cartes,
graphiques, documents complémentaires, abondante bibliographie et table des
matières. Selon Wikipédia, l'auteur est un spécialiste du monde rural, dans la
lignée de l'École des Annales.
L'École des Annales
De quoi s'agit-il ? Petit détour par l'Encyclopaedia
Universalis, qui me renvoie à un article sur l'anthropologie historique. L'École
des Annales tire son nom d'une revue(2) fondée par deux historiens, Marcel Bloch et Lucien Febvre, après la Première
Guerre mondiale.
Délaissant l'histoire narrative, qui privilégie les
institutions, les guerres, les traités et les personnages illustres (qui firent en d'autres temps la matière de
nos manuels scolaires), elle ouvre de nouveaux champs de recherche, mettant en
œuvre une approche pluridisciplinaire.
Elle fait notamment la part belle aux sources qui permettent
une analyse statistique : registres paroissiaux, recensements, actes
notariés, mercuriales(3),
relevés de toutes sortes… Elle s'intéresse en priorité à l'histoire économique
et sociale, aux mentalités, aux usages, à l'impact du climat sur les modes de
vie, etc. Bref, de quoi intéresser au premier chef les généalogistes. Il
s'agit, ni plus ni moins, de la vie de nos ancêtres. Loin des fastes de la
Cour, l'immense cohorte des populations rurales…
Relèvent notamment de ce courant Fernand Braudel, Georges
Duby, Pierre Chaunu, Emmanuel Le Roy Ladurie ou Jacques Le Goff (pour citer
ceux que je connais plus ou moins).
L'hécatombe de la fin
du XVIIe siècle
Mais revenons au livre de Marcel Lachiver. Il comprend deux
grandes parties : la première, intitulée Une triste fin de siècle, est consacrée aux récoltes
catastrophiques des années 1692 et 1693 et à leurs conséquences ; la
seconde, Autour du grand hiver, à la
funeste année 1709.
Voyons d'abord la première partie. L'auteur estime qu'en
deux ans la population de la France, qui
s'élevait à vingt-deux millions d'habitants avant la catastrophe, a perdu
environ un million et demi de personnes.
Le phénomène est dû à un tragique enchaînement. Deux années
particulièrement froides et humides, 1692 et 1693, ont entraîné des récoltes
désastreuses qui ont elles-mêmes provoqué une hausse considérable du prix des
céréales et un manque cruel de produits alimentaires de première nécessité. La
famine consécutive a affaibli les populations et facilité le développement des
épidémies, d'où une impressionnante surmortalité en 1693 et 1694.
Toutes les régions n'ont pas été touchées dans les mêmes
proportions. Le Massif central a perdu près d'un quart de sa population, alors
que la Bretagne a plutôt bien résisté, grâce à la culture du sarrasin.
Le chapitre qui ouvre cette première partie est
particulièrement intéressant, dans la mesure où l'auteur passe en revue le mode
de vie rural. Il comporte d'intéressants développements sur les travaux des
champs, les animaux de trait, le calendrier des différentes tâches, l'outillage
utilisé, les céréales cultivées et consommées. Il y est également question de
la mortalité infantile, d'accidents et de morts violentes, de la présence des
loups…
L'auteur évoque le climat et les conditions de vie de la
décennie qui a précédé, avant d'évoquer les années 1692 et 1693, les plus
froides et les plus humides de la période. Un chapitre entier est consacré aux
mesures prises pour assurer le ravitaillement des villes et celui des armées en
campagne(4),
pour secourir les plus pauvres, mais également pour tenter de réprimer les émeutes
et contenir les mendiants et les errants. Un autre chapitre détaille ce qu'il
appelle L'effroyable hécatombe.
Bref, vous l'avez compris, cette première partie de
l'ouvrage nous permet de mieux comprendre la vie et la mort de nos ancêtres en
ces temps ô combien difficiles.
(à suivre)
(1) Marcel Lachiver, Les années de misère, la
famine au temps du Grand Roi, Fayard, 1991
(2) Annales d'histoire économique et sociale,
revue historique fondée en 1929, dont le titre a varié au fil du temps, éditée
aujourd'hui par l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
(3) Selon le Petit Larousse illustré, bulletin reproduisant les cours des denrées
vendues sur un marché public (Mercure est le dieu latin du commerce).
(4) C'est l'époque de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, qui dura de 1688 à 1697,
et opposa Louis XIV à une coalition européenne formée par l'Angleterre et
l'Ecosse, les Provinces-Unies, le Saint-Empire romain germanique, l'Espagne et
la Savoie.
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