Le vendredi 11 décembre 1711, messire Guillaume
Boulliaud, curé de la paroisse Saint-Médard de Thouars et prieur de la
Pommeraie-sur-Sèvre, n'y tient plus. Il prend la plume et couvre de son
écriture nerveuse cinq pages du registre dans lequel sont habituellement
inscrits les baptêmes, les mariages et les sépultures de ses ouailles.
La veille, une violente tempête a causé d'innombrables
dégâts dans la région, mais ce n'est que le dernier épisode d'une longue
succession de désordres qui ont affligé la population depuis plusieurs années.
Le prêtre reprend la chronologie des événements. Il évoque
d'abord la canicule de l'été 1708, qui survint aux alentours de la fête de la
Madeleine (22 juillet), brûlant les fruits sur les arbres et étourdissant
les moissonneurs dans les champs.
Il relate ensuite le froid intense qui s'abattit sur le
royaume le 6 janvier 1709, ce fameux grand hiver : "Les campagnes estoient couvertes d'oyseaux
de toutes espesses, morts par la vigueur du froid, mesme les domestiques".
Après une accalmie début février, "le
vendredy vingt deuxieme jour du mesme mois de fevrier, le froid recommença,
tout de nouveau, beaucoup plus grand que le premier, qui tua les bleds(1)
sortis de terre, les vignes et les arbres, en sorte qu'il ne se requeillit ni
bled, ni vin, ni fruit et qui causa une désolation universelle…"
L'un des frères de Guillaume, le vénérable messire Pierre
Boulliaud, qui fut aussi curé de Saint-Médard de Thouars avant lui, âgé et
malade, n'a pas résisté à la froidure. Il est inhumé dans l'église, "devant le grand et principal autel",
le 9 janvier.
Guillaume Boulliaud continue à énumérer les malheurs qui se
succèdent. Le seigle contaminé par un champignon, dont le développement est
favorisé par le temps humide et les températures fraîches, qui provoque des
convulsions et des nécroses. Les épidémies de 1710 qui touchent "les gens de tout âge, de tout sexe et de
toute condition", messire Philippe de Liniers, chevalier seigneur de
Soulièvres ou Nicolas Barrière, jeune marchand de draps et de soie, aussi bien
que de modestes paroissiens.
L'année 1711 ne vaut guère mieux : "premièrement il n'est pas tombé une goutte
de pluie pendant les mois de may, de juin, de juillet, d'aoust et de septembre,
en sorte que tout a souffert." Le 6 octobre, c'est un séisme qui
sème l'effroi. Il a notamment causé de gros dégâts dans la ville de Loudun, à
quelques lieues à l'est de Thouars. Les secousses se répètent durant plusieurs
semaines.
Arrive ce fameux 10 décembre, qui a provoqué chez
Guillaume Boulliaud l'impérieuse nécessité de décrire la succession des
malheurs du temps : "Depuis le
dit jour sixième dudit mois d'octobre dernier, les pluies ont esté continuelles
et les vents impétueux mais particulièrement le jour d'hier, 10e
Xbre, depuis deux heures du matin jusqu'à quatre heures du soir".
Dès le lendemain, 11 décembre, le curé fait
l'inventaire des dégâts, en compagnie du sieur André Thomas, entrepreneur et
architecte, "de messire Pierre
François de Laville, seigneur de Baugé, conseiller du roi, sénéchal du duché
pairie de Thouars, messire Hierosme Marillet, procureur général dudit duché, et
messire Henry Berthre, receveur des tailles de l'élection dudit Thouars, ces
deux derniers marguilliers de notre église" ; les dommages sont
estimés à la somme de cinq cents livres.
Eglise Saint-Laon de Thouars, par Louis Boudan, 1699 Lavis d'encre de Chine et aquarelle Source Gallica |
Mais c'est l'église Saint-Laon qui a le plus souffert. Vers
dix heures du matin, une pierre de la flèche se détacha et tomba sur la voûte
du chœur, alertant les religieux et les paroissiens réunis pour entendre la
messe : ils eurent tout juste le temps de sortir avant l'effondrement du
clocher. Seule une pauvre femme, qui "se
tenoit tous les jours à la porte de notre église pour y recevoir les aumolnes
des fidèles", fut ensevelie sous les décombres.
Et le prêtre de conclure : "Nous avons escrit toutes ces choses, comme nous avons dit cy dessus,
pour servir de mémoire véritable à la postérité et avons signé ; nous
n'avons rien dit des dommages que l'abbondance des eaux a causé en plusieurs
endroits du royaume, nous laissons aux gens de lieux à en faire le détail.
Guillaume Boulliaud curé de St Médard".
Une précieuse relation, rédigée par un témoin privilégié des
caprices du temps…
Sources
AD Deux-Sèvres, Thouars, BMS 1711-1715 – 1 MIEC 120 R 353
(vues 65 à 68/283), quelques pages qui constituent un bon exercice de
paléographie, soit dit en passant.
(1) Comme vous le savez sans doute, le terme "bled" désigne toutes les
céréales panifiables.
Très intéressant de découvrir ces aléas climatiques qui ont affecté parfois durement le quotidien de nos ancêtres. Je suis récemment tombé, par hasard, sur une notice historique dans les registres paroissiaux de Dieppe, où était mentionné un épisode neigeux exceptionnel (plusieurs mètres en une seule nuit) et les efforts faits par les habitants pour faire face à ce véritable mur de neige, lors de ce fameux Grand hiver 1709.
RépondreSupprimerDepuis longtemps je "fréquente" les BMS, l'on y trouve très souvent en effet narré les aléas de la météo. Les écrits des curés sont très instructifs! Nos dérèglements climatiques ont existé de tout temps, et ils en parlent à de multiples reprises! Combien de catastrophes arrivées au cours des temps feraient aujourd'hui les gros titres de la presse! La Seine a dernièrement "fait parler d'elle", certes!.... Comment raconterait-on aujourd'hui que le 1er mars 1658, une violente crue de la Seine arracha les deux arches du côté de l'île Saint-Louis emportant dans un flot violent une vingtaine de ces habitations, provoquant de surcroît la mort de 60 personnes!
RépondreSupprimerCe curé est bavard pour notre plus grand plaisir, il est très précis dans sa relation des événements.
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